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[2ème partie de la recension]Daniel Clément : L’Echo des autres, l’analyse basique en anthropologie, Québec, Presses de l’Université Laval, Paris, Hermann, 2017
Recension par Louis Moreau de Bellaing
Daniel Clément : L’Echo des autres, l’analyse basique en anthropologie, Québec, Presses de l’Université Laval, Paris, Hermann, 2017
2ème partie de la recension
On relève que la cérémonie de la circoncision est fondée sur les rapports de parenté et que les relations qui résultent des rôles jouées dans le rituel ajoutent une dimension nouvelle aux obligations parentales (par exemple celle de trouver une épouse pour un initié). Notons que, dans les cérémonies, les initiateurs sont des femmes, des hommes, des esprits ou des animaux. Dans une reprise du mythe donné en exergue, avec quelques variantes, il apparaît que, tandis que le lézard grandit, l’enfant-pigeon-colombe devient un jeune homme L’auteur pense que le référent au mythe est le développement des parties génitales du héros. Comme dans le mythe, lors de la cérémonie d’initiation, l’enfant est éloigné de sa famille. Dans le rite comme dans le mythe, l’enfant revient dans sa famille, lorsqu’il est circoncis. L’éloignement de la mère dans le mythe trouve sa contre partie dans le rite. Il devient chasseur dans le mythe comme il sera chasseur après le rite. En final, l’auteur fait état de rites d’anticipation, non du rituel de la circoncision lui-même, mais plutôt, de ce que le novice devenu homme et la novice devenue femme pourront faire dans la vie sociale, après avoir été initiés. Et c’est un peu à partir de ce final que Daniel Clément fait voir que l’étymon de l’opération de la circoncision est l’exposition du pénis du novice après la circoncision. Mais ce pénis boursouflé ressemble à celui du dingo, alors que les qualités requises du novice sont à l’inverse de celle du dingo. Ce dernier s’accouple avec n’importe quelle partenaire, alors que l’initié est tenu de respecter les règles de la parenté. Le dingo s’accouple en public, alors que l’initié s’écartera pour accomplir l’acte sexuel. Les jeunes filles novices sont soumises à des rapports sexuels répétés, pour les rendre femmes et épouses. L’introcision élargit leur sexe pour que, plus tard, l’accouchement devienne plus facile. Le sang pour faire pousser les cheveux et les poils pubiens concerne aussi les jeunes filles. « Il y a peut-être, dit l’auteur, des raison économiques à tout cela. Les enfants ne seront plus à charge,, mais deviendront indépendants, leur maturité économique étant confirmée dans le mariage qui devient une actualisation sociale ». Le parallélisme entre mythe, rite et vie sociale, est particulièrement visible dans cette analyse du rite de la circoncision ainsi que les « échos » entre eux.
Le chapitre 9 aborde le thème de la subincision. Elle consiste en une fente faite dans la verge sur sa partie inférieure, à partir du méat urinaire. Dans le mythe cité en exergue, un kangourou circoncit d’abord un émeu (un oiseau), puis le subincise. « Les pères tribaux rencontrèrent l’émeu sacré, constatèrent le changement de son anatomie …ils se mutilèrent d’une manière semblable et réalisèrent qu’ils étaient des hommes ». L’auteur écarte les théories thérapeutiques et psychanalytiques sur la subincision et en vient à rechercher l’étymon de cette pratique initiatique. Il écarte également l’idée que la subincision serait une pratique qui tendrait à rendre le sexe masculin semblable à celui féminin et analogiserait le sang écoulé au sang menstruel. Dans un premier temps, il retient que l’étymon de la subincision se retrouve dans la ressemblance, l’analogie de caractéristiques du pénis d’animaux divers dont le kangourou, le corbeau avec des caractéristiques du pénis d’un humain. « L‘étymon de la subincision est un caractère particulier de leur pénis » et il cite un certain nombre d’animaux : dingo, kangourou, ibis, serpent, poisson. Mais l’auteur note que les garçons d’une société (non australienne ?) se subincisent eux-mêmes entre sept et dix ans, avant d’être circoncis. Or dit-il, pour découvrir l’étymon de ce rythème, il faut trouver un élément observé qui réponde à la plupart des caractéristiques des pénis animaliers observés dans la société : méat urinaire prononcé, augmentation du jet mictionnel, replis cutanés péniens, etc.. Or cet élément existe dans la société : c’est un rhinocéros. Reste une question posées par l’auteur à propos des aborigènes australiens : est-ce que, parmi tous les animaux retenus, il n’y en aurait pas un qui aurait été à l’origine de la subincision ? Cet animal existe, c’est le chat marsupial qui se caractérise non seulement par son pénis fendu, mais aussi par le fait qu’il est un bon prédateur. Or, dans une société de chasseurs, un tel prédateur est un bon candidat pour être imité. Il se pourrait que le chat marsupial ait joué un rôle important en ce qui concerne la subincison partout en Australie. On retrouve donc ici les pré-requis de l’analyse basique : une correspondance, dans les mythes et dans le réel, entre des caractéristiques d’animaux et des caractéristiques qui permettent d’ouvrir sur les sociétés, en l’occurrence sociétés d’initiations où il s’agit de passer de l’enfance à l’âge adulte et où la subincision précède ou suit, dans les rites, la circoncision, mais aussi sociétés de chasseurs qui trouvent dans un prédateur originaire un modèle à imiter pour être de bons chasseurs.
Un beau mythe, mis en exergue du chapitre 10, accompagne le rite de la Danse du Soleil. Il s’agit d’un mythe concernant un certain nombre de sociétés amérindiennes parmi lesquelles l’auteur choisit les Sioux. Le mythe évoque un enfant malade et maigrissant. Pour le guérir, les parents font un voeu : ériger une loge de la Danse du Soleil pour ressusciter le garçon malade. Le propriétaire de la Pipe sacrée partit et annonça son intention à tous les oiseaux et les bêtes. Avec le temps, le garçon malade guérit. La loge fut érigée par l’homme et la femme avec l’aide des oiseaux et des bêtes. Une fois terminée, elle procura beaucoup de satisfaction à tous. Le propriétaire de la Pipe sacrée et son épouse étaient les donateurs, les obligés pour le bénéfice du garçon. La Danse du Soleil est, dit l’auteur, un complexe cérémoniel comportant de nombreux rites. Il note également que la cérémonie était étroitement associée, dans la société, aux exploits guerriers et à la chasse au bison. L’analyse basique va tenter de mettre à jour les étymons des différents rythèmes qui composent le rituel. Le voeu est déterminant dans la Danse du Soleil et de lui découle toute la richesse et la signification de la cérémonie. Par exemple, les danseurs, dans la cérémonie, en acceptant volontairement de souffrir d’un manque d’eau, font en sorte que, dans le futur, ce manque n’ait pas lieu, étant donné qu’il a déjà été vécu. Le temps de la cérémonie, une fois l’an, se déroule en général au solstice d’été. Elle est liée, par le voeu, à la croissance des végétaux, mais aussi et surtout, à la présence du gibier et, tout particulièrement, du bison. On pourrait dire, selon l’auteur, que la Danse du Soleil est la Danse du Bison. La présence du bison semble déterminer le site où la cérémonie se déroule. Les bisons ont l’habitude de former un cercle lorsqu’ils se sentent menacés. Or les grands rassemblements pour la Danse du soleil constituaient un campement en cercle. La pipe sacrée est, pendant la cérémonie, déposée près d’un crâne de bison. L’étymon de ce rythème serait le nuage de poussière que soulèvent les bisons quand ils se déplacent en hardes. Mais c’est l’enclos à bison qui a inspiré toute la structure où se tient la cérémonie. L’auteur insiste aussi sur l’importance du mât qui peut être un poteau ou un arbre, avec, à son extrémité, un bouquet de feuilles. On retrouve, à propos du mât, dans la cérémonie de la Danse du Soleil où l’enclos à bison devient l’enceinte cérémonielle, un mythe précédemment cité, celui du porc-épic où l’étymon est la descente de l‘araignée. L’aigle est le deuxième animal, après le bison, dont la participation à la cérémonie, notamment par ses plumes, est requise. Le sifflet des danseurs est fait, le plus souvent, d’un os d’aigle. L’oie est aussi un animal important de la fin de la cérémonie où les participants boivent de l’eau pure en imitant les sons émis par les oies. L’étymon de la Danse du soleil est, selon l’auteur, l’enclos de chasse où a lieu le festin de langues de bison. Rythèmes et étymons de la Danse du Soleil font apparaître une nouvelle vie (le renouveau printanier) après une série d’événements négatifs (guerre, foudre, etc), cette nouvelle vie permettant une série d’événements positifs (santé, nourriture, succès à la guerre). D’autres éléments que le bison seraient à approfondir, l’aigle, l’arbre et l’autel. Ce qui me semble faire tout l’intérêt de ce rite, c’est qu’il est fondé sur le désir (voeu dans le mythe) : désir de la nouvelle vie, où il peut y avoir moins de malheurs et un peu plus de bonheurs. Mythe, rythme, étymons s’associent, selon moi, un peu dans cette perspective.
La troisième partie de l’ouvrage est intitulée « Penser les techniques ». Au chapitre 11, l’auteur s‘interroge sur le rapport entre matières premières et savoir-faire. Il note qu’il est peu fréquent, en anthropologie, d’étudier à la fois les mythes et les techniques. Ce qu’il va présenter dans ce chapitre, c’est deux techniques, l’une la manière dont est produite et utilisée la teinture de pourpre, l’autre celle dont la bière peut être mise en fermentation. Il rappelle les principes de l’analyse basique. Ce qui est recherché ici, ce sont les étymons de techno-thèmes. En ce sens les citations en exergues constituent des mythes avec leurs techno-thèmes : l’une raconte comment un homme découvrit la teinture de pourpre en voyant un chien berger manger un coquillage (le murex) et le berger essuyer ensuite la gueule du chien avec une peau de mouton. L’autre évoque un brasseur de bière, qui ne parvient pas à faire fermenter de l’hydromel pour en faire de la bière. Il voit, dans sa cour, deux cochons qui se battent furieusement. La bave coule de leur gueule. Le brasseur la recueille, l’apporte dans son bassin et la bière se met à fermenter. « Ce qui guide notre recherche, dit Daniel Clément, c’est de tenter de répondre aux questions soulevées dans les mythes ou ailleurs concernant l’origine des choses ». Il prend le mythe à la lettre. Pourquoi est-ce le tapir et pas un autre animal qui donne aux hommes le poison de pêche ? Pourquoi, en Australie le boomerang est-il associé au serpent et pas à un autre animal ? Pourquoi, en Europe, le sanglier introduit le processus de fermentation de la bière ? Daniel Clément cherche dans le mythe et ses correspondances avec le réel l’origine des choses. Il n’admet pas, comme d’autres – j’évite ici le débat théorique trop long et trop complexe – que les mythes puissent se penser entre eux, à travers, par exemple, des mythèmes. rapportés les un aux autres. Ou, éventuellement, à travers des rythèmes ou des techno-thèmes. Le mythe, et ses mythèmes, le rite et ses rythèmes, les techniques et leurs techno-thèmes le guident vers leurs étymons, c’est-à-dire vers les éléments originaires, pris dans le réel par des individus et des groupes et mis dans le mythème, le rythème, ou le techno-thème. Par exemple, à propos du feu et de la technique pour le reproduire, certains mythes attribuent à un léporidé (un lièvre) d’avoir dérobé le feu, d’où son introduction chez les humains. C’est un trait physique de l’animal qui sous-tend le techno-thème. En l’occurrence ce sont les pieds noirs du léporidé qui attestent qu’il s’est brûlé en dérobant le feu et expliquent sa présence dans le techno-thème. Comme, dans un autre mythe, où c’est un oiseau qui aurait accompli ce vol du feu, le trait physique étant sa huppe rouge parce que c’est sur sa tête qu’il a transporté le feu dérobé. De la même manière, un arbre – par exemple le bambou – se frotte contre un autre arbre. Ce frottement est censé pouvoir provoquer des incendies de forêt. Le frottement est repris du mythe dans le réel ou mis, à partir du réel dans le mythe, dans son techno-thème, pour expliquer la production du feu. L’auteur développe ensuite le techno-thème de la teinture de pourpre associée à la morsure d’un chien dans le coquillage qui peut la produire. Il écarte les erreurs qui entoure ce techno-thème, semble-il assez répandu y compris en Occident. En fait, dit-il, le mollusque en question ne secrète la pourpre que lorsqu’il est mort. C’est parce que le chien écrase sous ses dents le mollusque que l’homme peut voir sa gueule teintée du rouge-rosé de la pourpre. Un préhistorien rappelle que des « marchands » en Angleterre échangeaient, au néolithique, par des intermédiaires, avec des pêcheurs du Golfe persique, des produits précieux contre de la pourpre. On peut se demander si le chien mordant le mollusque, le tuant et lui faisant produire ainsi la pourpre n’est pas l’étymon de techno-thème.
La deuxième technique présentée est celle de la fermentation de la bière. Dans le techno-thème du mythe, elle est due, on l’a vu, à la bave de porc recueillie par le brasseur et mis dans l’hydromel. Mais un autre mythe finlandais raconte l’histoire d’une jeune fille qui veut faire fermenter la bière en utilisant la bave de l’ours, ce qui ne donne aucun résultat. Elle y parvient néanmoins en se servant du miel des abeilles. Apparemment les deux mythes et leurs techno-thèmes sont différents. En fait l’auteur montre que ce que produit la bave de l’ours lorsqu’on la met dans la bière c’est la mousse. Mais, dans la plupart des mythes et des techno-thèmes se rapportant à cette technique, ce sont des porcidés et notamment, le sanglier (cochon sauvage) qui, en salivant et en mastiquant, déposent de la bave (de la salive) sur les troncs des arbres.. Le chien qui mord le mollusque et lui fait produire la teinture de pourpre, et la salive que les porcidés rejettent sur le tronc des arbres, où elle peut être recueillie comme ferment de la bière, semblent être les étymons de ces deux techno-thèmes.
Le chapitre 12 « La vannerie à la mode cassique » oblige à dire d’ abord que le cassique est un oiseau et que le carbet est une case ou une hutte. Dans le mythe en exergue du chapitre, au temps où les mariages entre humains et animaux se faisaient dans l’imaginaire, un homme se marie avec une femme-oiseau. Le beau-père demande à son gendre de construire un carbet (case) avec de jolis dessins. Mais l’homme ne connaissait pas l’art de la vannerie. C’est son petit beau-frère (le frère de son épouse) qui lui apprend à tresser. « Il faut tresser comme cela et, cela, car mon père sait très bien tresser, il faut qu’il soit fier de toi pour que tu restes ». Le beau-père inspecte le travail fini, est fier de son gendre : « Tu sais tresser aussi bien que nous » . L’auteur nous dit, dès le début, que « certains mythes de la Guyane tissent des liens étranges entre l’art de la vannerie, la culture du manioc, la presse ou couleuvre à manioc et quelques espèces d’oiseaux » (dont le cassique). L’ensemble de ces associations peut révéler une influence possible de la nature sur l’élaboration de techniques de vannerie .et le développement de la presse-couleuvre à manioc. Le mythe d’Arachné, venu de la mythologie grecque, est évoqué en préambule : Arachné, d’humble origine, tisse la laine que son père teinte de pourpre. Les nymphes l’admirent. Mais ayant dépeint les ébats amoureux des dieux, elle est transformée en araignée qui continue de tisser. Des amérindiens disent que c’est l’araignée qui leur a appris à tisser au métier, par exemple leurs filets de pêche. D’autres animaux interviennent, le paresseux (un singe ?), les grenouilles les insectes, le colibri et un autre oiseau le quasale que les femmes prennent comme motif à tisser, ce qui en fait, par identification, un oiseau séducteur. Il y a un lien mnémonique entre le bec de l’oiseau et les baguettes de tissage. La fin du mythe en exergue est alors donnée par l’auteur. Une nuit, la pluie se met tomber, le vent est violent. Les carbets des habitants du village se cassent. Une femme ne retrouve pas on fils tombé dans l’eau. Tous se mettent à crier, ils se métamorphosent en oiseaux et s’envolent,. Seul l’ homme du mythe, qui a appris le tissage demeure et apprend aux habitants de son village à tisser. L’auteur note que l’oiseau qui lui a appris à tisser est le cassique huppé distinct du cassique à cul-jaune. Un troisième oiseau lui enseigne les motifs qui ornent leur vannerie. Le héros enseignant oublie l’un des motifs enseignés. Le troisième oiseau vient le chercher. Il tire sur lui avec son arc, mais la corde casse. L’oiseau s’envole en emportant l’âme du jeune qui tombe malade et meurt. Mais désormais les villageois connaissent les motifs et les différentes formes de la vannerie. Pourtant ils ne la pratiquent pas comme technique, le héros n’ayant pas eu le temps de leur apprendre. Mais surtout, dans une variante du mythe, le troisième oiseau ne fait pas de nid. Il ne sait pas tresser. Dans le récit du mythe, certains éléments relèvent de l’organisation sociale et des rapports de parenté. Le beau-père ne s’adresse pas directement à son gendre. Le mariage à l’intérieur du clan est considéré comme incestueux, mais non l’endogamie. Le gendre est subordonné au beau-père, c’est pourquoi, dans le mythe, le beau-père du héros s’adresse à sa propre fille, pour transmettre ses ordres à son gendre. La résidence, dans la société, est uxorilocale, le mari réside dans la famille de l’épouse, mais peut aussi résider avec sa femme quelque temps dans sa propre famille. Cela pouvait servir de période de probation pour le nouveau couple. En ce qui concerne la vannerie, dans cette société-là elle est réservée aux hommes. D’où, dans le mythe, l’apprentissage du héros par le petit beau-frère. Tout se passe entre des hommes, dans la transmission du savoir-faire. L’auteur note les points de jonction, les noeuds entre les éléments humains et les éléments animaux. Les plus notables ont tous trait à l’habitation, le carbet ou case. Celui-ci était rond. Or le nid des cassiques cul-jaune est rond. De plus, secoués par les intempéries, les carbets se brisent, tout comme les nids des cassiques tombent des arbres. Autre référence mythique : les habitants des villages dressent leurs carbets en groupes, chez les cassiques à cul-jaune plusieurs nids s’agglomèrent dans un arbre. Les cassiques parlent. Mais, depuis le mythe, ils ne peuvent plus parler avec les hommes. Ils imitent comme des perroquets les cris des animaux, par exemple de la loutre. L’auteur ajoute que la forme de leur nid rappelle aussi la presse-couleuvre à manioc. L’association entre les cassiques et le manioc tient aussi à un mythe de l’arbre d’abondance d’où viennent tontes les plantes cultivées. Or les déjections de l’oiseau puant, le cassique – dont le liquide nauséabond d’une glande lui permet de faire sa toilette – produisent des racines aériennes dans l’arbre d’abondance. Les plantes peuvent effectivement prendre leur origine dans les déjections d’oiseaux, notamment de cassiques. L’une de ces plantes fait partie des matériaux traditionnels utilisés pour confectionner des paniers et des meubles. C’est dire qu’il existe une association réelle entre les cassiques, le manioc et les plantes qui servent à tresser. Mais poursuivons par un mythe. Un homme transformé en cassique voit un fruit pourri plein de vers et se dit « Cela ferait une charmante épouse ». Dans l’après-midi, une jeune femme vient vers lui et il l’épouse. Il défriche une parcelle de forêt. Or le cassique pratique le gaping. Avec son bec fermé qu’il introduit dans le sol et avec ses mandibules, il creuse en un trou et ouvre son bec pour extraire de ce trou des insectes. Ici, dit, l’auteur une technique d’alimentation rappelle une technique de copulation. Le cassique peut aussi ouvrir de cette manière un fruit. L’auteur dit ensuite que les hommes tressaient les paniers pour la préparation, le transport et l’entreposage du manioc. L’art de la vannerie est enseigné aux jeunes hommes. Au moment de l’initiation, les vanneries dont ils font étalage serviront à un supplice qui consiste à souffrir des piqûres de guêpes ou de fourmis insérés dans les vanneries. Or les cassiques cul-jaune vivent en symbiose avec les guêpes. L’auteur se pose la question, rarement posée en sciences et notamment en anthropologie, de la transmission des savoir-faire : certes elle se fait entre humains, mais, dit-il, « il apparait plus que probable que les autochtones ont pu s’interroger sur leur milieu environnant et mettre à contribution leurs observations dans l’élaboration de leurs techniques ». J’ai vu, une fois, un nid qui était tombé d’un arbre sans être endommagé. Le tressage des brindilles et des duvets ressemblait, selon moi, à un travail d’être humain. tant il était précis. On peut donc se demander pourquoi des humains, sans tellement les imiter – le mot me parait peu convenir – ne s’inspireraient pas, lorsqu’ils les connaissent, de « techniques » animalières pour élaborer leurs propre techniques. Un tableau dressé par l’auteur montre en fait une certaine similitude des manières de faire dans le tressage : longueur du brin, modes d’attache, ouverture et emploi des matériaux. Un mythe rappelle qu’une femelle cassique mariée à Yarwar, une sarigue, lui demande, sur les ordres de son père (le beau-père), de refaire la maison, comme tous les ans. Mais il la tresse n’importe comment. Elle est emportée par le vent et Yarwar meurt. Dans un un autre mythe, une grand-mère envoie son petit fils chercher la presse couleuvre à manioc. Il rencontre différents animaux, dont des guêpes, revient à chaque fois bredouille, en disant qu‘il ne l’a pas trouvée. Mais la grand-mère lui dit à chaque animal nommé : « C’est bien cela ». Finalement, elle va elle-même la chercher. Or, comme on l’
a vu, les guêpes sont liées à l’apprentissage de la vannerie. D’une part, conclut l’auteur, il y a association entre des faits animaliers et des phénomènes humains, d’autre part l’art de la vannerie et le développement de la presse-couleuvre à manioc ont pu être basés sur l’observation des nids du cassique à cul-jaune ou huppé. Il y a association entre des faits éthologiques – tressage à la mode cassique – et des phénomènes culturels.
Le chapitre 13, « Les nivrées du tapir » met en scène une sorte de porc au museau allongé (le tapir) et les poisons (nivrées, enivrement) utilisés pour attraper les poissons. Le mythe en exergue du chapitre raconte qu’un tapir s’empare d’une mère et de sa fille en les mettant dans son anus et les emmène chez lui, où il les ressort par le même orifice. Il vit avec elles. Allant à la pêche en leur compagnie, il défèque dans l’eau, en disant qu‘il est en train de faire du poison et leur ordonne de ramasser les poissons morts. Autre mythe : le chef des singes macaques coupe une liane à poison sans savoir ce que c’était et la jette dans un trou d’arbre creux. Le serpent anaconda qui y était meurt empoisonné. Un homme qui passait voit le serpent tombé de l’arbre, comprend ce qui s’est passé, prend la liane, la met dans une crique et attrape de poissons qui meurent empoisonnés. Le troisième mythe raconte qu’une femme est tuée par un serpent anaconda domestiqué. Pour la venger, une vieille femme se lave les mains dans un bol d’argile et jette l’eau dans la rivière Le serpent anaconda sort de l’eau et est tué. Mais tous les poissons de la rivière meurent sauf deux sauvés par un martin-pêcheur (un oiseau). La vieille femme, affaiblie, va dans la forêt. Son corps se détache d’elle. Ses membres deviennent des plantes à poisons de pêche de forte, moyenne ou faible puissance. L’auteur note l’association anaconda/oiseau. Le serpent, vivant dans l’eau, peut monter aux arbres. Les oiseaux font partie de son alimentation. Le mythe repose sur un savoir concomitant. Les poisons, et notamment celui d’une liane, ont des effets sur les poissons, mais aussi sur les animaux à sang froid comme les serpents. L’auteur n’écarte pas l’hypothèse d’une découverte fortuite des propriété toxiques du poison de pêche contenu dans la liane. Elle serait fondée sur l’observation d’un serpent indisposé par la sève de la liane. Un quatrième mythe raconte qu’un homme va dans un abatis brûlé pour y travailler. Il en sort noir de charbon de bois, de sueur et de crasse. Il va se laver dans une crique. Il s’aperçoit qu’en aval de lui tous les poissons meurent. Il les ramasse, les rapporte au village. il finit par dire aux habitants comment il les a attrapés. Les habitants se mettent en colère quand ils savent que c’est avec sa crasse qu’il les attrape. Il leur propose de le tuer dans son abatis et leur promet qu’il y poussera une plante. Ce qu’ils firent. L’auteur recueille les éléments du mythe : fruits noirs et cendres, cendres et charbon, plante sale non consommable, homme en sueur, poison de pêche, endroit où les hommes peuvent se laver, poissons morts, crasse, homme brûlé dans l’abatis, de nouveau cendres, préparation d’une nourriture. Un cinquième mythe raconte qu’après avoir tué tous les animaux, une grenouille ordonne à une femme de les faire griller. Lorsqu’elle termine son travail, la femme est noire de suie. La grenouille lui ordonne d’aller se laver dans le ruisseau, mais de regarder en amont sans se retourner. La femme va au ruisseau. La saleté agit sur les poissons qui remontent et meurent. En les entendant, la femme se retourne. Les poissons ressuscitent et s’en vont. La grenouille arrive pour ramasser les poissons, mais il n’y en a pas. La femme admet qu’elle s’est retournée. La grenouille conclut que les hommes iront chercher les plantes à poison de pêche en forêt au lieu d’empoisonner les poissons par la crasse des femmes au bain. Les mythes sont justifiés et leur analyse approfondie par leurs étymons : la préparation d’une nourriture à partir de cendres, la couleur que prend l’eau lorsqu’on y ajoute le poison de pêche, ceux qui dispensent le poison sont comme des personnes qui s’en vont au bain. « La saleté est au au bain ce que le poison qui colore l’eau noire est à ceux qui entrent dan l’eau pour l’y mettre », dit l’auteur. Dans un sixième mythe, un homme emmène son fils à la pêche. Lorsque l’enfant se baigne, les poissons meurent. Transporté par son père dans la forêt, l’enfant mourant regarde son sang couler par terre. Il dit à son père de surveiller les plantes qui pousseront, car de son sang jaillira des racines qui le vengeront. Or, effectivement, les racines d’un arbuste de la forêt servent à préparer le poison de pêche. L’auteur rapporte qu’une ancienne coutume consiste à laver une jeune fille pubère qui a ses premières règles avec la plante à poison de pêche. L’idée de saleté/souillure liée au sang des règles est censée augmenter considérablement l’effet du poison. Dans un septième mythe, la liane portant le poison est liée à une odeur, celle que sent le père d’un enfant dévoré par un monstre marin et dont les restes sont jetés dans la forêt. A l’endroit où sont les restes, le père trouve la liane à poison de pêche. Il constate que son fils est dans la liane, le reconnaissant à son odeur. Tous les autres mythes liés au techno-thème comportent un tapir. Une femelle-tapir qui a épousé le garçon qu’elle a élevé, étant enceinte, se fait volontairement tuer par lui, pour qu’il extraie l’enfant de son ventre. Ce qu’il fait. A chaque fois qu’il lave l’enfant dans la rivière, les poissons meurent. Et quand l’enfant meure, il se transforme en liane à poison de pêche. D’ autres mythes associent la saleté ou la crasse, le bain, le poison de pêche et le tapir, ses maîtresses ou sa progéniture. Aux trois question que l’auteur pose en final : la croyance à ces mythes est-elle isolée ou répandue ? les excréments du tapir peuvent-ils empoisonner les poissons ? le tapir consomme-t-il des poissons?, on peut répondre, en résumant son propos, d’abord que la croyance à ces mythes ou à des variantes est répandue dans plusieurs sociétés. Puis, en répondant à la troisième question, on peut répondre à la seconde. Le tapir consomme des plantes et du poisson. Il consomme notamment la ou les plantes à poison de pêche. Les excréments du tapir empoisonnent donc effectivement les poissons. Mythes, techno-thèmes et étymons se joignent pour démontrer que les consommateurs de poissons ont observé les effets des défécations du tapir sur les poissons, qu’ils ont repéré également les plantes empoisonneuses de poissons et ont cherchés une explication par les mythes avec ou sans tapir.
Le mythe en exergue du chapitre 14, « La fosse à aigle » est une description de cette fosse. Elle est creusée par un ours. Le trou de la fosse est profond. Des bâtons sont placés en longueur, recouverts de broussaille et d’herbes sèches. Les quatre côtés de la fosse sont orientés selon les quatre points cardinaux. L’appât – un animal – est placé du côté Ouest. Le chasseur est étendu dans la fosse pour pouvoir saisir l’aigle lorsqu’il vient chercher l’appât, arrivant de l’Ouest. La chasse à l’aigle se fait à l’automne. L’auteur cherche l’origine du techno-thème. L’inventeur de la fosse à aigle est, selon les mythes, un animal. Les espèces sont l’aigle lui-même, le serpent, l’ours et, apparemment le carcajou selon certains, ce qui constituerait une méprise d’après l’auteur. Le mythe suivant montre la technique à suivre. Selon les conceptions amérindiennes, c’est l’animal qui se donne au chasseur. L’aigle montre à l’homme comment capturer les aigles pour leur prendre leurs plumes. Dans un endroit escarpé, le chasseur construit une fosse pour se cacher. Au bout d’un certain temps, des pies découvrent l’appât. Un aigle aperçoit les pies qui s’envolent. L’aigle vole en cercle vers l’appât. Lorsqu’il se pose, l’homme le saisit par les pieds et le tire dans la fosse. Mais, dans son autre main, il prend l’armoise (une plante proche de la sauge), la porte à l’aigle qui la prend dans son bec, ce qui évite à l‘homme de se faire mordre et déchirer. Il prend l’aigle par le cou pour le tuer, en prenant soin de lui tenir les pieds pour éviter d’être lacéré par ses griffes. Un autre mythe fait intervenir Araignée qui nourrit les enfants de la pie, en lui indiquant un endroit pour attraper l‘aigle.. Intervient aussi le corbeau. Un chasseur doit nourrir un corbeau de la chair de son épouse, ce qu’il évite en lui substituant un ennemi. Le corbeau aime la chair humaine. Mais, dans le mythe suivant, ce sont les aigles qui punissent un homme qui leur a livré en pâture son propre neveu. Les aigles gardent l’enfant. L’oncle est tué et ses restes répandus dans la forêt. Dans un épisode, variante d’un mythe, Araignée invite un loup à manger et à fumer. Il invite aussi à manger la pie, la corneille, le corbeau, l’aigle et d’autres oiseaux. Ce ne sont pas eux les inventeurs, ni les instructeurs de la technique de la chasse à l’aigle, sauf l’aigle lui-même.. Le deuxième animal inventeur et instructeur c’est le serpent. Celui-ci se déclare chasseur d’aigle. Des serpents invitent un jeune homme à entrer dans une loge organisée comme une fosse à aigle. Mais l’auteur dit qu’il faut distinguer la fosse à aigle de la loge où se tiennent le chasseurs. Dans la loge, il y a deux rondins (comme les bâtons de la fosse), mais qui servent d’oreillers aux hommes quand ils dorment. Les rituels de chasse sont exécutés dans la loge, en principe interdite aux femmes. Les deux rondins représentent des serpents. Les aigles mangent des serpents, tandis que les serpents préfèrent manger du duvet d’aigle. L’étymon du mythème ce sont des reliefs de plumes de jeunes aigles ( les serpents mangent aussi les oeufs des aigles) qui sont non digérés à l’intérieur des reptiles. Les serpents et les ours sont amis. Les uns et les autres hibernent l’hiver. Les serpents mangent de jeunes oiseaux, notamment des aiglons, les ours noirs chassent les aigles pour s’en nourrir. Les ours sont les troisièmes instructeurs-inventeurs en ce qui concerne la technique de la chasse à l’aigle. Deux espèce d’ours sont repérables : l’ours grizzly ou ours brun et l’ours noir. Or les ours noirs ne sont pas carcajous, donc les carcajous ne sont pas des animaux inventeurs-instructeurs de la technique de la chasse à l’aigle. Les ours noirs et les ours bruns se partagent les deux côtés d’un fleuve. La société est elle-même divisée en deux moitiés. Dans le rituel de chasse, un pied d’animal est la représentation métonymique de celui qui agit comme chef de la loge. Ce pied d’animal est celui d’un ours. Il possède des coussinets plantaires particulièrement graisseux. Or cet espèce d’ours perd ses coussinets plantaires pendant l‘hiver, alors que le carcajou ne les perd pas. Reste à analyser l‘intervention des femmes, quand elles interviennent dans le rituel de chasse. Elles peuvent y venir, lorsqu’elles ont leur règles, mais à condition qu’auparavant, le leader de la chasse ait placé des braises au quatre coins de la loge. Il dispose sur les braises quatre boules d’armoises (sorte de sauge). La femme jette sa robe par dessus sa tête et inhale la fumée aux quatre coins. Après cette cérémonie, les hommes sont confiants d’attraper beaucoup d’aigles. Dans l’association aigle/ours, l’aigle n’est pas celui qui surveille les agissements de l‘ours, le pouvoir de l’ours est supérieur à celui de ce dernier. Ce pouvoir peut attirer un aigle dans une fosse où il y a un ours. Ces images sont les étymons des rapports de pouvoir entre l’ours et l’aigle. Je termine par une longue citation de l’auteur qui fait bien comprendre l’entremêlement des techno-thèmes et de leurs étymons avec la réalité de la technique de la chasse à l’aigle. Car cette technique est l’une de celle qui me parait emblématique de l’implication du mythe, des techno-thèmes et de leurs étymons avec le réel de la technique : « Les chasseurs d’aigles ont probablement développé une technique de chasse à partir de structures érigées à cet effet. Des observations sur la présence d’aigles « attirés » par les ours, l’abri creusé des ours, l’hibernation, la capture des oursons par les aigles, la présence d’ours noirs et d’ours bruns, une identification des humains et des ours généralisée ont favorisé une mise en relation entre le rapport des Amérindiens aux aigles, celui des ours à ces oiseaux, et celui des Amérindiens aux ours. Ces liens établis, les autochtones ont pu reproduire (et non, à mon avis, imiter) la posture de l‘ours dans la fosse pour attraper les aigles, d’où l’apparition de la technique ». Pour moi, c’est le social investissant des éléments naturels qui produit des techniques culturelles et sociales. « Le social explique le social » disait Durkheim.