[3ème partie de la recension]Daniel Clément : L’Echo des autres, l’analyse basique en anthropologie, Québec, Presses de l’Université Laval, Paris, Hermann, 2017


Recension par Louis Moreau de Bellaing

Daniel Clément : L’Echo des autres, l’analyse basique en anthropologie, Québec, Presses de l’Université Laval, Paris, Hermann, 2017

3ème partie de la recension

Au chapitre 15, « Le propulseur et le boomerang », le mythe en exergue montre d’abord un serpent sous terre qui arrache une de ses côtes et la lance dans la plaine. Un garçon la trouve et dit à un autre garçon :  « Ceci est un boomerang pour toi et moi ». L’autre garçon l’utilise et tue beaucoup de renards volants (des roussettes). Le premier garçon le reprend, le lance dans les airs où il vole, fait un grand trou dans le ciel et disparaît. Mais les deux garçons le voient redescendre avec un sifflement et se ficher dans le sol où le serpent caché l’agrippe. Les deux garçons tirent sur le boomerang sans pouvoir le sortir. Peu à peu ils s’enfoncent dans la terre, où le serpent les saisit. Un grand trou d’eau surgit à cet endroit. L’auteur note que, dans l’invention du propulseur et du boomerang, il s’agit moins de mises en relations de techniques et d’animaux que d’inventions proprement dites à partir d’observations de comportements animaliers ou d’autres faits environnementaux. Mais, rajoute-t-il, l’étude des liens entre techniques et animaux demeure nécessaire parce qu’elle permet de voir  « comment les techniques sont pensées dans les cultures et comment les résultats des réflexions sont instructifs non seulement dans le cas de processus inventifs, mais aussi parce que l’ étude d’autres données peuvent révéler divers aspects » y compris technologiques. L’auteur commence par le propulseur, très ancienne technique préhistorique, qui se présente sous la forme d’une planchette ayant un dispositif d’accroche où vient se fixer une pointe ou une queue de sagaie. Il sert à propulser à une distance plus grande que celle possible manuellement cette pointe ou cette queue de sagaie. Mais la planchette sert aussi de bâton à fouir, de pelle à braises, de plat pour porter des aliments. Avec le boomerang et la lance, il est l’outil de chasse par excellence. Un deuxième mythe associe les roussettes (renards volants) au propulseur, parce que les roussettes volent comme l’embout (la pointe) des propulseurs. Mais l’auteur note également que les roussettes (renards volants), rassemblées sur une même arbre, se querellent dans le mythe et, semble-t-il, dans la réalité.. Il note aussi qu’elles se suspendent par les pieds à un crochet semblable à celui auquel l’embout (la pointe) du propulseur s’accroche. Les querelles des roussettes peuvent ressembler à celles dans les relations familiales chez les humains. Enfin, c’est peut-être en observant le crochet auquel la roussette se suspend pat les pieds que des humains inventent le crochet qui joint l’embout de la sagaie au propulseur. A propos des lances dans un mythe, elles sont de trois sortes : deux pour le combat et l’une, en acacia, pour la chasse. Lances avec barbe et lances sans barbe. La fibre du figuier ou la cire d’abeilles sont utilisées, dans le mythe comme dans le réel, pour fixer le « nez » du propulseur et certaines de ses composantes. Or les renards volants (roussettes) et les chauve-souris consomment la fibre du figuier, le nectar des fleurs et la cire des abeilles. Certains propulseurs ont deux coquillages pour équilibrer l’embout. Dans le mythe, le fixatif de l’embout est la cire d’abeilles. Les roussettes s’enivrent notamment avec des nectars de fleurs et se querellent dans certains arbres comme le figuier. Quant aux lances, dans le réel, elles sont peintes en rouge pour les cérémonies. Or, dans le mythe, sont associées à cette couleur de la lance les roussettes rouges et non les roussettes noires. L’auteur revient sur son hypothèse selon laquelle les humains imitent le crochet du propulseur à partir de celui auquel se suspend la roussette. Il pense que c’est l’aile du renard volant (le roussette) qui ressemble au crochet fixant l’embout du propulseur, ce dernier étant porté par le chasseur sur ses épaules. Les mythes, dit l’auteur, utilisent des faits éthologiques ou environnementaux pour penser les sociétés. Mais, en l’occurrence, le mythe fait plus que cela, il présente minutieusement non seulement une série d’armes de jet, mais également les techniques utilisées pour les fabriquer et les assembler. Le mythe devient ici un lieu privilégié pour penser les techniques. Le boomerang est constitué d’un bois courbé qui, en se retournant, revient à son point de départ. On trouve des boomerangs, non seulement en Australie, mais dans différentes parties du monde. La reprise du mythe en exergue du chapitre, avec les deux garçons, montre qu‘ils ne se servent pas de boomerang, mais de bâtons de jet pour tuer les roussettes. Mais celles-ci, grillées dans un four, ressuscitent et s’envolent. Les rapports de parenté entre les deux garçons peuvent être, malgré la similitude des âges, d’oncle à neveu. Le mythe renvoie à un système de parenté à huit sections dont deux auxquelles appartiennent les deux garçons. Le boomerang apparaît dans un mythe très proche du précédent, où les garçons s’en servent pour tuer des oiseaux, puis un serpent. Mais c’est le serpent Arc-en ciel, le serpent ancestral qui les avale. Les maintenant vivants dans son corps, il leur fait créer des sites humains. Dans un troisième mythe, le boomerang disparaît et c’est le serpent Arc en Ciel qui avale les deux garçons, tandis que leur père, une petite chauve-souris, les sauve. L’auteur s’interroge ensuite sur les alliances et les oppositions entre les roussettes (renards volants) et les serpents. Les renards volants peuvent, dans les mythes, être des chauve-souris. Le serpent Arc en ciel peut, dans certains mythes, les aider, les allaiter, faire tomber la pluie etc. Il est apparemment allié avec eux. Dans un autre mythe, le serpent tue les épouses d’un mammifère volant. Celui-ci blesse le serpent avec sa lance, qui reste dans la plaie. mais ce sont des renards volants qui, à la demande du serpent, retirent la lance et partent avec lui. L’explication de l’auteur fait valoir que les renards volants (les roussettes) ou les chauve souris qui montent dans les arbres sont les proies des serpents qui sortent de la terre et de l’eau et montent aussi aux arbres. Seule une chauve-souris, dite fantôme, mange des serpents. « Ses moeurs prédatrices, dit l’auteur, sont amplement suffisantes pour en faire l’étymon du mythème relatif au serpent devenu, pour la cause, la proie d’une chauve-souris ». « Ce qui nous amène à penser, dit-il, que les renards volants (roussettes) sont davantage considérés comme les alliés des serpents et non l’inverse ». En revanche, les chauve-souris seraient davantage leurs ennemies. Mais une espèce de serpents comprenant les pythons et les boas a une couleur brillante qui l’associe à des cristaux de quartz. Ceux-ci figurent comme substances magiques et médicinales en Australie. Association du serpent à l’Arc en ciel et à la pluie (il monte aux arbres, mais est un animal aquatique). Il a également la capacité d’hiberner. Dans les arbres, les pythons saisissent les roussettes, les écrasent, pour ensuite les avaler en entier, la tête la première. Mais pourquoi, se demande l’auteur, dans le mythe, le serpent lance-t-il aux deux garçons l’une de ses côtes qui leur sert de boomerang ? Dans la société, on croit que les haches de pierre, les pointes de lance, les massues et les boomerangs proviennent du serpent Arc en ciel. Les os de ses côtes pénètrent dans la terre pour devenir un arbre acacia qui reste le préféré pour fabriquer les outils et les armes, dont le boomerang. Plus encore, les autochtones croient que le boomerang est vivant comme un humain et qu’il respire le même air qu’eux. L’auteur achève son argumentation par un syllogisme : l’énergie du serpent est dans l’arbre, l’énergie de l’arbre est dans le boomerang, donc le serpent est dans le boomerang. Je lui laisse la parole pour la conclusion : «(Y a-t-il) possibilité de voir dans la morphologie des racines des arbres ou d’autres parties comme la jonction d
’une branche au tronc la forme anticipée de l’arme de chasse ? Se pourrait-il que, dans le cadre de l’innovation aborigène d’une arme déjà en service – le bâton de jet…-, l’authentique arme qui revient vers soi aurait eu comme origine simplement la forme donnée par le matériau de base suivi d’essais et d’erreurs ayant finalement mené à la réalisation d’un tel instrument ? ».

Dans la dernière partie du livre consacrée à l’organisation socio-parentale, au chapitre 16, l’auteur pose, dès son titre, le problème non des définitions de la famille, mais plutôt de la signification et du sens de ce qui émerge, en toute société, lorsqu’un couple d’individu(e)s décide de s’unir sexuellement pour avoir des enfants ou choisit d’en adopter. Dans l’extrait de mythe mis en exergue du chapitre, un homme dit à son épouse : « Viens avec moi chercher de l’écorce de bouleau ». Ils partent, vont vers des arbres. Ils se retrouvent devant un être non humain qui les tue. Leur seul enfant est une fille. Comme ils tardent à revenir, elle va les chercher. Elle voit qu’ils ont été tués. Tout ce qui reste, c’est un jeune frère minuscule. L’être non humain a mâché l’utérus de la mère sans le briser. C’est tout ce que la fille peut ramener chez elle. Le jeune frère est élevé par sa soeur. Adulte, il est confronté à de nombreuses situations dont il sort toujours vainqueur. Il établit les fondements d’une société en devenir. L’auteur note un fait important qui ruine toute prétention à vouloir définir comme unité fondamentale et universelle la famille. Dans la réalité comme dans le mythe, c’est la perspective du sujet (souligné par moi) qui détermine comment définir l’unité. L’auteur relève que, dans une société amérindienne qu’il connaît bien, la femme au foyer est près du feu et constitue le centre de la vie familiale. Il y a proximité de sens entre un lieu et ses occupants. Il y a également une unité composée de deux membres ou plus liés par des liens de consanguinité ou d’alliance, ce qui établit un lien entre le concept de famille et de maisonnée. L’auteur insiste sur le fait que les mariages ne donnaient lieu à aucune cérémonie, qu’ils étaient multiples ; comme les décès d’adultes étaient fréquents, pouvaient se répéter plusieurs fois dans une vie. Des couples se formaient qui n’avaient pas d’enfants. Le mariage préférentiel était celui entre cousins croisés. Les cousins parallèles étaient appelés « frères » et exclus comme partenaires conjugaux. Un cousin croisé c’est-à-dire par exemple le fils de la soeur du père pouvait s’unir avec une fille de frère de la mère. En revanche une fille de la soeur de la mère ne pouvait s’unir avec un fils de la soeur du père, et une fille du frère de la mère ne pouvait s’unir avec un fils du frère du père. La société étudiée par l’auteur pratiquait une exogamie de bandes. ou de subdivisions de bandes, c’est-à-dire que le conjoint était choisi dans une autre bande ou une autre division de bande que la sienne propre. La définition de la « famille » implique quatre aspects qu’on peut considérer comme communs :1/ des règles relatives à l’inceste 2/ la division des tâches entre les sexes 3/ la pratique du mariage supposant la reconnaissance d’une relation de paternité 4/ l’omniprésence de l’autorité mâle. Il y a absence de terme pour désigner ce qu’on appelle en Occident la famille, mais l’auteur fait remarquer qu’une entité sociale peut exister dans une société sans être dénommée. « Notre objectif, dit-il, est moins de nier l’existence de ces unités, qu’elles soient de type élémentaire ou autre, que d’examiner les représentations que s’en font les sociétés ». Il rappelle que la mobilité territoriale avait ses exigences et qu’aucune organisation ne pouvait se permettre de n’être pas flexible. Les produits de la chasse, de la pêche, de la cueillette étaient souvent le résultat d’activités individuelles, mais il y avait aussi des chasses collectives et la plupart des activités de production nécessitaient la présence d’au moins deux personnes. Outre la polygynie et l’adoption généralisée, la société connaissait un système de termes d’adresse qui dérivait d’identités reçues en même temps que les noms de personnes. Les aînés fixaient le choix des noms et des comportements associés selon leur interprétation de rêves, de signes et de présages qu’ils n’avaient aucune difficulté à exprimer. Le remplacement des adultes décédés par des enfants nouveaux-nés se faisait indépendamment du sexe de l’enfant et avait pour conséquence de très nombreuses pratiques de travestisme pendant l’enfance et l’adolescence. Qui plus est, on allait jusqu’à prendre des travestis comme conjoints, en raison des talents des deux sexes qu‘ils avaient développés. L’auteur cite par ailleurs une société matrilinéaire et matrifocale où le mariage n’existe pas, où des visites de nuit rendent possibles des rapports sexuels entre n’importe quels partenaires et où les adultes masculins sont les pères sociaux des enfants.. En final, l’auteur constate l’absence de termes non équivoques pour la famille (en particulier la famille nucléaire), l’ethnocentrisme de démarches visant à prouver ou dénier son existence (la Sainte Famille ou rien du tout). Il pose une question à laquelle, dans le chapitre suivant, il va s’efforcer de répondre : au vu des sociétés étudiées par l’ethnologie, que considèrent-elles comme digne d’attention au point qu’il n’y ait aucune ambiguïté dans les différentes nomenclatures de leur organisation socio-parentale ?

Effectivement, la réponse est donnée par l’ensemble du chapitre 17, « La parenté première : le modèle Ute, où, à partir de cette société et de sa nomenclature socio-parentale, ce ne sont pas directement des mythèmes, en l’occurence des parenthèmes, qui peuvent correspondre, non seulement aux relations de parenté et aux fonctions attribuées à chaque parent, mais la terminologie de la parenté – sur laquelle, faute de place, je ne pourrai donner tous les détails que fournit l’auteur -. Cette terminologie n’est pas fixe mais flexible. Elle emprunte sa signification au mythe ou au parenthème, à travers un animal dont les attributs (ruse, bon chasseur, etc;) sont connus. Mais, si j’ai bien compris, la flexibilité de cette terminologie permet de désigner non seulement le parent de référence, mais les fonctions multiples que peut accomplir chaque individu du groupe consanguin. L’auteur note, en citant Leach, que l’emploi de chacun des termes de la terminologie parentale pouvait être perçu comme porteurs de plusieurs sens qui demeurent associés malgré des contextes d’utilisation différents. « Pour l’analyse basique, l’étude des termes de parenté a comme objectif de mettre en lumière le sens que revêt le système global aussi bien que celui qui préside à la dénotation de chaque parent … ». « Un parenthème est défini commun relatif à la parenté. Il a la même signification qu‘un mythème, rythème et techno-thème dans leur domaine respectif. L’analyse basique consiste à remonter aux sources des savoirs et des manifestations sociales, culturelles, et religieuses… Le modèle Ute a les caractéristiques suivantes : 1/ un code pratiquement unique 2/ des termes de parenté qui en principe n’ont qu’un seul autre sens hors du domaine de la parenté 3/ des traits de caractère attribués aux divers parents en fonction du code 4/ des relations entre humains influencées par ce code. » L’auteur retient plusieurs parenthémes : le loup, l’ours, la tortue, l’hermine.… La priorité est accordée aux êtres animés réels et non aux êtres mythologiques. L’auteur fait précéder les termes mythologiques par les termes relatifs aux êtres animés. Les mythes ont un sens et renvoient à des étymons bien précis environnementaux ou autres. Les actions des êtres mythologiques s’appuient sur des comportements ou des caractéristiques qu’il est possible de restituer de façon empirique. Enfin, les liens entre la terminologie de parenté et celle de personnages mythologiques, les manières de faire des êtres surnaturels fondées sur celles d’êtres animés bien réels peuvent montrer que les termes de parenté reposent avant tout sur les caractéristiques de ces derniers. Le Loup, premier parenthème évoqué par l’auteur, est, pour les Ute, le plus grand chasseur. Il n’est pas mangé. Le nom pour Loup semble s’équivaloir à celui pour Dieu. La place du père dans l’organisation peut être rapportée à celle d’un loup comme leader et chasseur d’un groupe. La cohésion des familles était maintenue par le respect dévolu  au chef de groupe dont le statut provenait de ses habiletés à la chasse et de ses succès à diriger les activités du campement. L’importance de la chasse est attestée par l’association du loup avec le père du père, figure autoritaire. Il y a réciprocité entre grand-père et petit-fils, par exemple par l’échange d’un lapin. Un oiseau est choisi pour être associé à la mère du père. Les oiseaux sont des cueilleurs de graines. Les femmes étaient des cueilleuses de fruits et de graines. Dans les mythes, les petits oiseaux sont souvent représentés par des femmes.. Le troisième parenthème, celui du Couguar (un carnivore de la famille des félidés), est le pendant du parenthème Loup. Le couguar, est, lui aussi, le plus fort. Il l’est aussi dans les mythes. Il s’y oppose à Ours qui l’égale parfois. Les carquois des chasseurs en peau de couguar apparaissent souvent dans les mythes. Une fille peut être échangée en mariage contre un carquois de chasseur. Les jeunes qui n’étaient pas habiles à la chasse et n’attrapaient pas de chevaux avaient des difficultés à se marier. Le couguar est très habile à la chasse aux chevaux. Le parenthème serpent à sonnette concerne un animal puissant dont les proies sont variées. Il est associé avec le grand père paternel dans un mythe. L’ensemble des données linguistiques montre que les termes relatifs au serpent à sonnettes et au couguar laissent à penser que le couguar a peut-être remplacé le serpent dans la conception parentale et mythologique des Ute. La convergence des mots pour le PèreMère et le serpent est plus marquée que celle pour le PèrePère et le couguar. Autre parenthème, le renard argenté est fréquent sur la majorité du territoire Ute. Le Renard fait pendant à Petit oiseau qui est la grand-mère paternelle. Il y a trois sortes de renard dans la région : le renard argenté, le renard roux et le kit fox. Les fruits et les végétaux sont importants dans le régime alimentaire du renard argenté. L’un des aliments les plus importants pour les Ute, les noix de pin, est consommé par le renard argenté. Les autres renards, celui roux et le kit fox consomment aussi des noix de pin comme les Ute. Un renard quelconque est associé à la grand-mère maternelle. Quatrième parenthème : le mouflon (un gros mouton). Apparemment il n’a pas de rapport avec la chasse, mais les cornes du mouflon servent à fabriquer les arcs des chasseurs. L’outil spécialisé pour rendre les flèches droites étaient en corne de mouflon. Les produits du mouflon étaient utilisés pour la nourriture, mais également pour confectionner des vêtements autant pour les femmes que pour les hommes. Des instruments de musique étaient fabriqués avec son scrotum et ses onglets. Dans la famille élargie, le frère aîné semble avoir autorité sur tous les membres du groupe. mais la relation peut glisser de frère aîné à oncle paternel. Un garçon pubère est emmené à la chasse par un parent plus âgé qui tue un gros gibier et baigne le garçon dans le sang de la bête. Dans de nombreux mythes, les héros doivent démontrer leur habileté à la chasse au mouflon pour pouvoir se marier. Des Rêveurs de mouflons, spécialistes de la chasse à cet animal, avaient des chants spéciaux pour les attirer. L’oncle maternel peut être le responsable de l’éducation et de l’initiation cynégétique des mâles adolescents. Son association sémantique avec le mouflon agit comme catalyseur des forces recherchées. Etre investi du pouvoir du mouflon, être baigné dans son sang, lors de l’abattage du premier gibier, c’est aussi obtenir la capacité d’en abattre beaucoup d’autres, de les tuer à la chasse, étant devenu l’un d’entre eux. Le même terme de parenté peut désigner des enfants, fils et filles du plus jeune frère du frère aîné ou de l’oncle qui est donc aussi, en tant qu‘oncle paternel aîné des enfants de son frère cadet, en position de mouflon. On retrouve ici la flexibilité de la terminologie comme médiation entre mythes et individus, qui enrichit leurs possibilités. Le parenthème tortue a trait au frère cadet du père. Mais il n’y avait qu’un seul terme pour désigner les frères du père. Ce terme unique, ou un terme distinct pour le frère cadet, a comme même référent la tortue. Il semble que l’association FrèrePère/tortue s’est répandue et qu’elle a prévalu sur celle de FrèrePère/mouflon. La tortue est dépeinte comme un pourvoyeur et ses denrées sont gratuites. Ailleurs, elle a le pouvoir de faire monter l’eau d’un cours d’eau. L’eau étant essentielle pour la survie des humains, des plantes et du gibier, la tortue est associée, chez les Ute, aux sources d’eau. A la puberté, l’adolescent était baigné, une fois qu’il avait tué son premier gibier. L’adolescente subissait la même pratique lors de ses premières règles. Le parenthème tortue s’éclaire : qui cont
rôle la tortue contrôle l’eau et le gibier. Le frère cadet du père, en relation réciproque avec son neveu, sert de médiateur pour l’appropriation de ce pouvoir. Le parenthème Mocassin (chaussure) attribue à la soeur du père la présentation de ses premiers mocassins à un enfant tandis que la mère du père lui présente le porte-bébé qu’elle a fabriqué. Comme pour les autres vêtements, les femmes étaient responsables de la fabrication et de l’entretien des mocassins pour le groupe. Le sens du parenthème se résume en une tâche spécifiquement féminine transmise de génération en génération. Dans le mythe, l’ours grizzly (l’ours brun) a été choisi comme représentant du frère aîné de la mère, l’oncle maternel senior. Il est choisi comme tel parce que c’est lui qui fournit les filles à marier. La Danse de l’Ours, qui est, en fait, la danse de Grizzly est l’occasion pour les jeunes gens de se rencontrer et de se courtiser. Les filles choisissent leur partenaire, parce que, dans le mythe, ce sont les Ourses qui choisissent ceux avec qui elles s’accouplent. Le terme mocassin est utilisé pour la soeur du père, mais il est utilisé aussi pour plusieurs filles ou soeurs de la mère de l’enfant. Il y en a qui sont des cousines croisées, mais elles sont désignées, comme les autres, pour fabriquer les mocassins et les entretenir pour leurs futurs conjoints. Le parenthème suivant concerne le Coyote. Le frère cadet de la mère est le pendant du parenthème Tortue du côté paternel. L’association d’un coyote et d’un oncle est celle de la transmission de savoirs et de savoir- faire à un novice pubère et inexpérimenté. C’est‘ donc à lui, en situation de matrilocalité, de lui enseigner l’art de la chasse et, plus précisément, celui de la ruse et de la traque. Si le garçon tue un coyote, il tiendra les pouvoirs de cet animal, notamment l’ingéniosité et la ruse. Mais si Coyote dupe, il est aussi dupé, comme si la dupe lui était nécessairement associée autant positivement que négativement. Dans l’état actuel des connaissances, on ne peut affirmer une convergence entre coyote et oncle maternel. Le dernier parenthème est celui de l’Hermine. Il est le référent du frère aîné de la mère. L’hermine est un animal carnivore, chasseur et d’une grande férocité. Il est tout à fait approprié pour le frère aîné qui a à apprendre la chasse à un jeune apprenti. L’hermine devient, pour ce jeune, le modèle à imiter. Un mythe montre le rôle d’Hermine. Il se rend à un trou, enlève son couvercle. Les bisons sortent, chaque bison sort, les Corneilles se réveillent ; une fois les bison sortis. Hermine s’en va et se change en Indien. Dans un autre mythe, Hermine est le substitut du frère cadet pour le frère aîné. Il y a donc association avec un frère. Pour les trois parenthèmes qui restent, chez les Ute il y a des parents partagés (père, mère, fils). Ces associations semblent aller de pair avec leur terminologie parentale axée principalement sur les animaux comme premier référent. Si j’ai compris, le système de parenté Ute se caractérise par le fait qu’il y a disjonction, en ce qui concerne les liens de parenté, entre parenté et mythologie. En conclusion, pour résumer ce que dit l’auteur, au moins tel que je l’ai compris, dans le système Ute la mythologie ne comporte pas de liens de parenté et donc ne permet pas de les rapporter à des liens humains. De ce fait les parenthèmes sont centrés sur l’individu qui peut faire référence à plusieurs parenthème simultanément. L’individu apprend individuellement de chacun de ses parents et retransmet à un parent de générations suivantes ce qu’il a appris. Le système consiste donc à inculquer à chacun des membres du groupe plusieurs attributs animaux relatifs à la chasse et à la cueillette, comme le montrent, à mon avis, l’étude de la terminologie et celle des mythes. C’est dans ce cadre, dit l’auteur, que la vie quotidienne se déroule et qu’un Ute s’accomplit en apprenant ce qu’il doit apprendre pour vivre et survivre. J’ajouterai seulement : en commun.

Le chapitre 18 , « La parenté seconde : le modèle creek », met en exergue, comme dans les autres chapitres, un mythe. Des êtres sont rassemblés qui montrent des qualités différentes. Certains courent sautent dans les arbres. Ils sont comme des couguars ; le maître du souffle dit : « Désormais ils sont tels que des couguars ». D’autres bondissent et courent. Ils sont comme des cerfs ; le Maître du souffle dit :  « Désormais ils sont tels que des cerfs ». Leur ayant donné forme sur la terre, le Maître du souffle leur dit de ne pas se marier dans leur espèce, mais avec des gens d’autres clans. S’ils le faisaient, ils ne s’accroîtraient pas. Dans la réalité, chez les Creek, chaque individu trouve sa propre place dans chacune des institutions que sont la maisonnée, la famille, le clan, la phratrie, la moitié clanique, le village et la moitié villageoise. Plusieurs commentateurs ont été désorientés par le manque d’explication des autochtones lorsqu’ils étaient questionnés sur les raisons motivant les associations des clans entre eux dans les phratries particulières. Sous prétexte qu’elles n’ont aucun sens à première vue, des informations sont rejetées sans aucune tentative d’y chercher une part de vérité ou au moins le commencement permettant de découvrir les véritables motivations du phénomène étudié. Pour l’analyse basique, toute information doit être analysée, pour restituer les interprétations vernaculaires (celles des autochtones) à la lumière des connaissances qui existent, même si elles sont restreintes. Il faut aussi observer ce que les autochtones regardent, pour saisir comment ils l’organisent. Il s’agit d’analyser le système clanique, les phratries, la répartition des clans et des agglomérations en moitiés. Il s’agit de découvrir les bases ou les étymons des principales configurations (les clans majeurs, les deux moitiés et l’arrangement en phratries). Ces formes se présentent comme un ensemble de plus de 5O clans portant des noms d’animaux (l’Ours, le Castor…) ou de plantes (la Pomme de terre, les Noix..), des désignations météorologiques (le Vent) ou minéralogiques( la Terre fraîche) ou celles anatomiques (les Poils pubiens) ou celles de substances (le Sel).). Chaque clan comporte plusieurs lignées ayant un ancêtre féminin commun. Les clans sont en principe exogames, mais il y a des dérogations. Le Raton laveur et le Renard ont été des offenseurs de l’exogamie, mais le Renard ne peut être empêché de circuler la nuit. Les deux clans seront donc considérés comme un seul clan le jour et comme deux clans séparés la nuit. Les moitiés ne sont pas exogames, sauf celle dites « les Blancs » qui l’auraient été anciennement. Si le clan a pour éponyme un animal ou une plante, ses membres ne peuvent pas en manger. Mais les clans de l’Ours et du Cerf auraient été obligés de  s’abstenir de ces viandes et les autres clans auraient été en dette vis à vis d’eux. Il apparaît donc que la règle était plus ou moins respectée. La première moitié est la plus importante, c’est celle des  « Blancs » , la seconde est nommée « Celle d’un autre langage ». La première moitié a la préséance. La seconde moitié est désignée de multiples noms, alors que la première n’en a qu’un. Les « Blancs » sont considérées comme une caste supérieure. La motivation ou l’étymon du système des moitiés doit être cherché dans la première moitié, puisque la seconde dérive en quelque sorte de l’autre. Aux « Blancs »  revenaient le rôle de pacificateurs, « Ceux d’un autre langage » étaient des guerriers. Les deux groupes distincts s’affrontaient lors de tournois de jeux. Les moitiés séparaient autant les agglomérations les unes des autres que les clans entre eux. Un mythe illustre le début des institutions de clans, de moitiés et de phratries. Les Creek étaient ensevelis dans un brouillard obscur et ne pouvaient se voir entre eux. Ils avaient formé des groupes qui ne pouvaient communiquer qu’en s’appelant. Le sens du toucher leur permettait seul de subsister., Le Vent dissipa le brouillard. Le premier groupe qui vit la terre et les objets de la nature reçut le nom de clan du Vent. Les premiers objets animés qu’observèrent les membres du clan du Vent furent une Mouflette, et un Lapin. Ce clan doit toujours protéger ces animaux. Les groupes qui émergeaient du brouillard qui se dissipait adoptaient, chacun, comme patronyme, le premier animal vivant qui était sorti du brouillard avec lui. D’après le mythe, les principaux clans étaient le Vent, l’Ours, l’Oiseau et le Castor. Ils formaient la moitié dite « les Blancs ». Le Vent était supérieur aux autres clans. Les clans de la moitié opposée étaient notamment le Raton laveur, la Pomme de terre, l’Alligator, le Cerf et le Couguar. Les autres clans étaient considérés comme secondaires. Les regroupements des clans entre eux se faisaient dans une phratrie. Il y avait neuf phratries principales dont les quatre premières faisaient partie des « Blancs » et les cinq autres étaient considérées comme « Ceux d’un autre langage ». L’auteur analyse le système des moitiés suivi des clans principaux, des liens qui les unissent, des places qu’ils occupent au sein des phratries.. Les moitiés semblent être le fondement de l’organisation socio-parentale. Elles répartissent toutes les composantes en deux camps. Les clans les plus fréquemment associés à la moitié principale, les « Blancs, sont le Vent, l’Ours, l’Oiseau et le Castor. Pourquoi l’ensemble des clans qui composent la moitié principale sont-ils dits « Blancs »? Pourquoi sont-ils dits pacificateurs ? Selon le mythe d’origine, c’est le Vent qui, dissipant le brouillard obscur, a permis l’émergence des premiers clans. Les activités annuelles se répartissaient en deux groupes bien distincts, correspondant à la saison d’été et à la saison d’hiver ; cette similitude est essentielle pour comprendre la division socio-parentale en moitiés. La période d’été était consacrée à l’agriculture et aux récoltes, celle d‘hiver était réservée à la chasse. Etaient chassés le cerf, l’ours, le castor, la loutre, le raton laveur, la mouflette, le couguar, le dindon sauvage. L’ours est d’autant plus pacifique que durant l’hiver il dort. Autrement dit, il hiberne. Les castors ne sont pas plus actifs, l’hiver, que les ours, lorsqu’ils passent leur temps à voyager sous l’eau, de leur hutte à leurs provisions. Quant aux oiseaux, si l’on ne tient compte que des plus gros oiseaux blancs tels que la grue d’Amérique et le pélican, ils sont tous des oiseaux migrateurs dont le passage se produit l’hiver. La couleur blanche est aussi celle de cette saison avec des chutes de neige. L’esprit des Creeks a lié la saison hivernale, la couleur blanche de la neige, celle d’oiseaux blancs ainsi que les activités ralenties de certains animaux. Il se trouve, de plus, que, à l’opposé, la guerre n’était jamais menée en hiver. La paix est du domaine de l’hiver, certains animaux sont dits pacifiques en raison de leur inertie pendant l’hiver ; le blanc devient représentant d’oeuvres pacifiques. Qui plus est, à la charnière de l’hiver et du printemps, le mois de Février est appelé le « mois du vent », la contrée des Creeks étant soumise, chaque année, à des tornades. Est reconnue la force et la puissance su Vent à qui est donnée la première place comme clan. Il s’agit d’examiner maintenant certaines associations internes de quelques phratries. La première phratrie menée par le Vent comprend la Mouflette, le Poisson, le Lapin, la Loutre et la Tortue. D’après le mythe d’origine, les trois animaux ont été les premiers, le brouillard obscur se dissipant, à voir se lever le soleil. Qu’ont-ils éprouvés, si tant est que le mythe le dise ? Et qu’éprouvent les Creeks, s’ils voient un lever de soleil? Pour le savoir, cela supposerait la
connaissance même incomplète du subjectif collectif et individuel sur des textes ou des propos vernaculaires traités en analyse de discours. Dans la mythologie, la mouflette est connue par son jet nauséabond prenant la forme de flèches ou de lances. Elle est bon chasseur. Les Creek l’associent à leurs activités de chasse. Elle est associée aussi au Vent qu’elle a accompagné dans le brouillard originel. Elle porte des rayures blanches. De même, le Lapin mue et devient blanc grisâtre pendant l’hiver. Lui aussi fut un compagnon du Vent dans le brouillard obscur. Liés au Vent, Poisson, Loutre et Tortue partagent un élément : l’eau. Mythiquement, la loutre est un maître-pêcheur. Les hommes du clan du Poisson sont réputés habiles pêcheurs. La tortue est aussi réputée comme maître de l’eau. Le Castor, l’Alligator, la Loutre, les serpents aquatiques sont les seuls clans aquatiques mentionnés dans les phratries, rassemblés sous l’égide du Vent. La seconde phratrie est celle où. prédomine le clan de l’Ours qui inclut notamment le Loup, le Sel, une plante inconnue, la Mousse d’Espagne et la Terre fraîche. Les Ours utilisent la Mousse d’Espagne pour faire leur litière, ils se bouchent l’anus avec des matériaux, par exemple de la terre fraîche. Ces faits éthologiques pourraient constituer la motivation – l’etymon – des appellations de Mousse d’Espagne et de Terre fraiche. Quant au Sel, peut-être les Creeks se rendaient-ils, pour se le procurer, à des sources d’eau naturelles. Le Loup est considéré comme l’oncle de l’Ours. Par ses pratiques prédatrices, Loup a permis à certains types de plantes à fruits de croître davantage et de rendre ainsi disponibles des aliments importants pour le développement de Ours. La troisième phratrie comporte trois clans : Oiseau, Remède et Poil pubien (autant pour les hommes que pour les femmes). Oiseau est le symbole de la cueillette La médecine creek est fondée sur la préparation de médicaments à base de plantes. Les Oiseaux sont des cueilleurs soigneux – qui soignent – par excellence. En ce qui concerne le Poil pubien, une légende met en scène deux jeunes filles éprises d’un héros qu’elles cachent. Elles sont en train d’épiler des peaux de caribous et s’esclaffent. Leur mère cannibale leur demande ce qui les amuse. Elles répondent qu’elles rient des geais qui jouent avec les poils de caribou volant au vent. L’oiseau est le mésangeai du Canada. Il garnit son nid de matériaux comme le poil de caribou. Le nom du mésangeai signifie aussi la vulve. La quatrième phratrie ne comporte qu’un seul clan, celui du Castor. Mais elle entretient des liens avec d’autres phratries, notamment celles où figurent le clan de l’Oiseau et celui de l’Alligator. Castor et Alligator sont associés à l’eau. Mais la fréquence de l’association Oiseau/Alligator est plus grande que celle de l’Alligator et du Castor. La présence d’oiseaux dans un plan d’eau géré par un castor est plus la norme que l’exception. Pendant que le castor s’affaire sous l’eau, les oiseaux montent la garde et, à l’approche d’un chasseur, peuvent avertir les castors. Les cinq phratries suivantes relèvent de la deuxième moitié de l’organisation socio-parentale. La première phratrie comprend, comme clan, l’Alligator, l’Oiseau, le Tani (une sorte de gros dindon) et le Faucheux. La mythologie attribue à une femme du clan Tani la production du maïs, en se lavant les pieds. On disait qu’elle l’écosse de ses plaies. Le tani a les pattes garnies d’excroissances à la manière des pattes de dindons recouvertes d’écailles ou des pattes cornées d’alligators. Quant au Faucheux, il vit dans les champs de maïs et exsude des sécrétions désagréables analogues à la saleté apparente (les pied lavés et rincés) qui, dans le mythe, produit le maïs. L’étrange association entre alligators et dindons vient du fait que, comme les serpents, ils proviennent d’oeufs et en pondent. De plus les alligators ont des pierres dans leur estomac, les dindons de petits cailloux. Il y a des protubérances sur la tête des dindons qui rappellent les arêtes osseuses sur la tête des alligators. Le dindon porte sur sa poitrine le scalp de sa victime. Il pousse un glougloutement en la scalpant, tout comme les Creeks poussent un cri en scalpant leur ennemi. Les éperons du dindon étaient transformés en pointes de flèche, la peau de l’alligtator pouvait être utilisée  comme bouclier. Ce qui justifie la place de ces deux clans dans la deuxième moitié, celle qui, l’été, fait la guerre. La sixième phratrie (la deuxième dans la deuxième moitié) a, comme clan principal, le Raton laveur. Lui sont liés notamment le clan de l’Aigle, celui de la Noix, celui du Renard et celui de la Pomme de terre. Aux temps mythiques, un groupe vit, en sortant du brouillard obscur, un tas de pommes de terre sauvages près d’un raton laveur et d’un renard. Ils sont devenus un seul peuple. Les pommes de terre sauvages, celles dites en chapelet, sont consommées par le raton laveur en grande quantité ; l’ animal est appelé laveur,parce qu’il examine dans ses mains, en le manipulant, l’aliment qu’il va manger. Le renard est omnivore comme le raton laveur et mange sans doute des pommes de terre en chapelet. Les deux animaux, le renard et le raton laveur, mangent des noix de caryer, ce qui les associent au clan de la Noix. Enfin les Aigles et les Ratons laveur ont une excellente vision, ce qui apparente les deux clans. Les médecins creek se mettent, comme les ratons laveurs, des cercles autour des yeux, ce qui leur permet, disent-ils, de voir dans le noir. Je ne retiens, pour achever cette revue de phratries, qu’un fait intéressant qui associe le clan du Cerf à celui du Crapaud. A première vue, ces deux animaux n’ont rien de commun. Pourtant leur étymon – c’est-à-dire la motivation qui les associe – est un comportement commun. L’auteur a écouté des vocalises de cerf en croyant écouter des vocalises de crapaud ou de grenouille. Leurs vocalises étaient semblables. Daniel Clément conclut le chapitre, notamment par les remarques suivantes : « Les clans (sont) des entités qui non seulement organisent les rapports sociaux d’une communauté donnée,…, mais qui encore régularisent, au sein d’un système d’échanges complémentaires, les rapports des clans totémiques (à animal éponyme) entre eux…Le système clanique prend comme modèle ou comme miroir le milieu ambiant, mais prend en compte l’équilibre inhérent au même milieu. …Tous les clans ont des pouvoirs qui leur sont propres. Il n’y a pas un seul clan qui n’ait pas son pouvoir ».

Dans sa conclusion générale Daniel Clément tire quelques réflexions de l’utilisation d’une démarche (plus qu’une méthode ou une théorie) nommée par lui, fort modestement, analyse basique. Comme tout bon savant, il laisse entrevoir que cette démarche peut mener à de la théorie, des théorisations et, en tout cas, à des renouvellement de concepts. Mais, en ce qui concerne les rapports entre mythes et mythèmes, rites et rithèmes, techniques et techno-thèmes, organisations socio-parentales et parenthèmes, il lui paraît quelque peu abusif de travailler sur des sociétés, non seulement sans les connaître en reprenant seulement leurs mythes, mais de n’accorder aucune créance, aucun intérêt à ces mythes, sous prétexte qu’ils sont tissés d’invraisemblances. De la même manière, critique-t-il avec véhémence le fait de ne pas écouter l’interlocuteur ou l’interlocutrice, ou de rejeter une partie de ses dires, sous prétexte qu’ils ne sont pas croyables. Le mot véracité me paraît bien choisi, car il ne s’agit pas de vérité provisoire, ni même d’exactitude; Daniel Clément pense qu’en anthropologie et en sciences sociales, ce qu‘il appelle la présomption de véracité (les italiques sont de moi) est nécessaire. Elle l’est, en tout cas, dans l’analyse des idéologies, si négatives soient-elles comme le nazisme, car, à négliger la mise en rapport, par les individus et les groupes eux-mêmes, de phénomènes qui, en principe, n’en ont aucun, comme par exemple, le soi-disant degré de civilisation ou d’humanité et des marques physiques, mentales ou autres, c’est précisément la véracité du phénomène chez ceux qui le produisent qui est banalisée, voire déniée, alors que ses conséquences sont là. Daniel Clément ne dit pas : « Il n’ y a pas de fumée sans feu », mais simplement que n’importe quel phénomène créateur ou destructeur, déjà dans la vie sociale, mais encore plus lorsqu’on veut l’étudier, notamment en sciences sociales mérite mieux que d’en rester sur lui à l’opinion, à la croyance ou à l’élitisme.

En France, un élève de Balandier, Gérard Althabe, aujourd’hui décédé, me semble assez proche de l’analyse basique. Il a entraîné, chez de jeunes et moins jeunes anthropologues, hommes et femmes, des études de terrains tout autant à partir de mythologies locales que dans la mise en rapport des imaginaires avec le réel vécu des individus et des groupes. Je pense aux travaux de Laurent Bazin sur la Côte d’Ivoire et sur l’Ouzbékistan, à ceux de Julie Peghini sur l’île Maurice, ou à des chercheuses plus âgées comme Annie Benveniste sur Soveto et sur des migrations du Proche-Orient vers la France, à Monique Selim sur Canton, sur le Bangladesh et le Laos. Je m’en tiendrai en conclusion à deux remarques

:1/ A mon avis, aucun travail d’anthropologie ou de sociologie ne peut être fait, même dans la théorie, sans être précédé d’une analyse basique du phénomène étudié. C’est ce qui se passe dans le meilleur des cas, mais Daniel Clément y ajoute cette idée, qui déjà mène, au delà de la signification, vers le sens, que des correspondances, des mises en miroir au sens du reflet (plus que de l’imitation), des « échos » sont repérables entre des phénomènes sociaux. Il cite par exemple, dans la modernité le rapport entre l’industrie et la musique techno qu’il serait intéressant d’analyser dans toutes ses dimensions. En ce qui concerne les mythes, des analyses de mythes ou mythèmes ne peuvent être faites, en analyse de discours quelle que soit le type de ce genre d’analyse qui a été choisi, sans une analyse basique préalable sur les rapports aux mythes, à l’imaginaire et aux idéologies dans la ou les sociétés retenues. Sinon, même si les résultats d’analyses de discours faites sur des mythes ou des idéologies sans analyse basique préalable peut, provisoirement, vérifier quelques hypothèses et donner quelques connaissances, le risque d’erreurs, quelquefois non vérifiables, paraît beaucoup plus important que dans les cas où cette analyse basique a été faite.

2/ Le prolongement de l’analyse basique, en ce qui concerne les mythes, les rites, les techniques, les relations socio-parentales et, j’ajouterais, les idéologies, relève, lorsque, sur ce point, la ou les sociétés sont mieux connues, d’analyses de discours sur des textes vernaculaires ( autrement dit, si c’est possible, dans la langue où ils s’expriment et sur ce qu’en disent ou en ont dit ceux et celles qui vivent ou ont vécu dans cette ou ces sociétés, pour connaître l’imaginaire, l’idéologique, le symbolique et la ou les société(s) ou/et groupes. J’ai fait une ou deux allusions à ce problème dans mon propos, notamment sur l’éprouvé d’un lever de soleil. Mais il y a aussi les éprouvés de la souffrance, ceux de la joie ou du plaisir qui ne sont jamais abordés, comme si individus et groupes vivaient empiriquement sans passions et sans sentiments. S’il y a du différent dans l‘humain, il y a aussi du commun. Dans quelle mesure ce différent et ce commun se trouvent-ils approximativement maintenus avec le minimum d’excès, quel que soit le type de société, le régime politique ou l’époque, autrement dit sans l’hubris qui est l’excès lorsqu’il se déchaîne ? A propos de certains rituels, Daniel Clément a employé le mot « supplice ». A mon avis, en anthropologie et en sciences sociales, l’analyse des passions, qu’elles soient positives ou négatives, nous reste très largement à faire.