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Albert Le Dorze, Cultures, métissages er paranoïa, Paris, L’Harmattan, 2014, Coll. dirigée par Jean Nadal.
Recension par Louis Moreau de Bellaing
Sur le livre d’Albert Le Dorze, Cultures, métissages et paranoïa, trois auteurs de formation différente, dans un texte diffusé sur le site du CIPA (Collège International de Psychanalyse et d’Anthropologie), se sont efforcés de s’associer, pour donner une vue synthétique du livre et inciter les lecteurs et les lectrices futurs à en saisir toute l’importance. Il s’agit de Michel Brouta, psychiatre et psychanalyste, de Marie-Laure Dimon, psychanalyste, présidente du Collège International de Psychanalyse et d’Anthropologie et de Louis Moreau de Bellaing, sociologue un peu anthropologue. C’est ce dernier qui essaie ici, de rendre compte de leurs différents points de vue.
On pourrait dire que Michel Brouta s’intéresse en quelque sorte à l’historique de la question culture et métissage. Il ne reprend pas ce que Le Dorze dit sur la paranoïa, mais tente d’expliquer comment l’auteur, à partir de nombreux textes, est parvenu à nous montrer la portée historique de l’esclavage et notamment celle de la créolisation à travers le langage parlé de l’esclave, enfin le poids du colonialisme. Mais c’est surtout à partir des productions non seulement africaines (Senghor), mais aussi des Caraïbes (Césaire, Glissant, Fanon) qu’il insiste sur la rupture qu’elles instituent avec le passé esclavagiste et colonial. Sur ce point, les textes cités par Le Dorze et ses commentaires sont explicites. Michel Brouta note que les auteurs retenus par Le Dorze n’emploient pas leur propre langue (le créole), mais la langue du dominant (en l’occurrence le français). Or, comme l’a montré par ailleurs Daniel Maximin, c’est bien à la fois dans leur propre culture et dans celle du dominant que les Carabéens, par exemple, puisent les éléments qui leur servent à construire leur propre culture.
Marie-Laure Dimon se différencie dans son approche, de celle de Michel Brouta. Ce qui l’a intéressée dans le propos de Le Dorze, c’est, d’une part ce qu’il dit de l’évolutionisme et de l’anthropologie confrontée à l’évolutionnisme, mais aussi de l’anthropologie ayant à voir avec la psychanalyse et avec le social. Toutes les questions qu’elle pose et se pose nous semblent aller en ce sens. Elle veut s’éloigner de l’évolutionnisme freudien et Le Dorze l’aide , en quelque sorte, à y voir plus clair sur ce qui se passe entre le psychique, le social, le culturel et le corps. Elle montre au mieux, en reprenant des citations faites par Le Douze, comment, par exemple, le racisme, celui d’un jeune enfant, désarticule littéralement ce qu’on pourrait appeler l’appartenance humaine toujours en construction. « Maman, regarde le nègre », dit un petit garçon à sa mère. Comme le disent des auteurs, notamment Denis Duclos, critiquant le « rétrovolutionisme » de J. C. Amselle, dans une telle phrase l’autre ne devient jamais soi, il reste l ‘autre.
Les commentaires de Le Dorze sur les paranoïas de Breivik et de Merah montre l’acmé de cet effroi devant l’autre. Certes les psychiatres consultés considèrent Beivik et Merah comme des délirants. Breivik avait été jugé irresponsable, mais, comme il revendiquait la responsabilité de ses crimes, il a fini par être jugé coupable. Merah est anti-blanc et antisémite ; il tue des militaires de même origine que lui, parce qu’ils sont pour lui des traîtres, des faux frères, mais il tue aussi des enseignants, leurs enfants et une petite fille, parce qu’ils sont juifs. Pour Merah, et il semble que Marie-Laure Dimon le laisse entendre, l’autre n’estautre que s’il est lui. Sinon il est à supprimer.
Le troisième commentateur du texte de Le Dorze – nous-même, non psychanalyste – s’efforce de retrouver, dans les textes cités par Le Dorze et dans ses commentaires, des éléments qui puissent enrichir une réflexion sur le légitime et l’illégitime, sans que pour autant ces concepts apparaissent. Mais c’est dans la praxis, dans la pensée et la pratique nouées, que Le Dorze lui semble apporter un nouvel éclairage sur la question de la culture, du métissage et de la paranoïa. Toute rupture, dit Le Dorze, entre religion (nous dirions sacré extérieur à l’humain) et politique ne se fait pas sans dommage. Enfin, il cite Georges Zimra, l’interprète, et nous ne pouvons que souscrire à son interprétation : la référence à une extériorité absolue est incompatible avec l’absolu d’une pensée laïque et d’une pratique civile.