Anthropologie d’un service de cancérologie pédiatrique, De la parole au choix, Paris, L’Harmattan, 2011, Coll. Anthropologie critique


Recension par Louis Moreau de Bellaing

Anthropologie d’un service de cancérologie pédiatrique, De la parole au choix, Paris, L’Harmattan, 2011, Coll. Anthropologie critique

Jean-Michel Zucker rappelle les jalons du parcours que va suivre Marie Bonnet : le service, l’équipe soignante, les paroles de l’enfant, le pouvoir symbolique des médecins, le contrôle de la douleur, l’ambiguïté de la relation des enfants avec leurs parents, que ce soit dans la guérison ou dans la fin de vie. Il attire l’attention sur la nécessité d’un soutien psychologique pour les soignants.
Dans son introduction, l’auteure, après avoir noté l’importance de la législation dans le domaine hospitalier en général et spécifiquement en celui-ci, pose ses questions qui concernent toutes d’abord l’enfant malade, puis son rapport avec ceux et celles qui l’entourent, en l’occurrence rapport de parole. «C’est une forme de compréhension, dit-elle, centrée sur les acteurs et leurs différentes perceptions, qui est en final recherchée». Elle est modeste, car elle fait beaucoup plus que cela. Enumérant ceux et celles à qui peut servir son livre (au milieu hospitalier, aux sciences humaines et sociales, et à d’anciens patients), elle oublie quelque peu de dire que la recherche du sens qui fait tout son propos, y compris quand elle parle de l’organisation du service et de la prise en charge,  fait apparaître les approximations, les contradictions, les dons, les échanges, les droits et leur signification, cmais aussi les excès possibles, tant de la part des médecins et des soignants que des familles. On ne légitime pas la mort, mais on peut légitimer tant soit peu  le processus qui mène à la vie (la guérison) ou à la mort.
Sur ce point, Marie Bonnet fait oeuvre nouvelle. Car c’est bien de l    a condition humaine qu’elle nous parle, de ses drames (dont celui-ci est une spécification). Nous disons bien, pour filer la métaphore théâtrale, drame et non tragédie. Car si la tragédie s’achève par la mort ou la disparition du héros ou de l’héroïne (Horace, Iphigénie, Titus et Bérénice), et si la condition humaine suppose toujours en final la mort, le drame, comme le montre Marie Bonnet, ne s’achève pas toujours par la mort. Les trois-quart de ceux et celles qui sont victimes de cette «maladie orpheline» rare qu’est le cancer des enfants guérissent. C’est le processus de leur guérison qui est un drame, mais ce processus peut tourner en seul processus de mort et devenir tragédie.
L’anthropologue-psychanalyste investit les lieux, les temps, les personnes, la parole des enfants, celle des parents, les actes et la parole des médecins, ceux et celle des soignants. Elle y met en oeuvre non seulement la «méthode» anthropologique, mais aussi, à notre avis, très discrètement l’approche analytique. Il nous est impossible d’entrer dans les détails de cette quête de sens, ce serait présupposer aux yeux des lecteurs la vérité du livre.
Nous ne ferons que deux légères objections au propos de l’auteure. La question de la narrativité est soit insuffisamment posée, soit insuffisamment développée. En fait, Marie Bonnet nous rappelle les paroles «nues» des protagonistes et les commente. Elle nous montre le «combat», par leur parole et par les actes, pour la guérison ou pour l’accompagnement dans l’agonie. Certes elle n’oublie surtout pas ceux et celles qui ont survécu, leur lapsus («mon grand’père est mort d’un cancer, comme moi»), ni, pour ceux et celles qui vont mourir, tel mot, telle expression repérables.
Mais il nous semble que l’intéressent beaucoup plus l’investissement de la parole, ce qu’elle porte en elle de la personne et de ses groupes d’appartenance (le cas de Marc) que la narrativité avec ses signifiants et ses signifiés.
Sur la question du contrôle de la douleur, Marie Bonnet s’explique en montrant la difficulté que rencontrent les médecins face, d’une part, à la législation  en place se rapportant à la fin de vie à l’hôpital et face, d’autre part,  aux familles trop souvent prêtes à judiciariser ce qu’elles perçoivent comme «erreurs» ou «excès d’expérimentation».
Néanmoins, si le cas de Martin – où il y a judiciarisation – donne raison aux médecins et s’ils reconnaissent leurs torts dans le cas d’un enfant mal pris en charge, ceux de Caroline (une enfant de six ans) et de Marc (un adulte de vingt ans) qui, l’un et l’autre, vont souffrir alors qu’ils sont déjà en soins palliatifs, paraissent moins convaincants.
Légitimation avons-nous dit. Le mot n’est peut-être pas très bon. Mais pourtant c’est bien de cela qu’il s’agit : reconnaître, en se mettant en cause soi-mêmes comme chercheur(euse), le sens de ce que disent et font des êtres humains en groupes et individuellement, implicitement et explicitement et avoir le courage de montrer où, quand et comment apparaît l’excès.