Anthropologie d’une pandémie, ss dir. Monique Selim, Paris, L’Harmattan, 2020


Recension par Louis Moreau de Bellaing

Anthropologie d’une pandémie, ss dir. Monique Selim, Paris, L’Harmattan, 2020

Lorsque la pandémie apparaît dès novembre 2019 en Chine, à Wuhan, d’où les visiteurs étrangers sont aussitôt refoulés, il ne s’agit pas tant de les protéger que de les exclure du peuple national. Dès sa préface, Monique Selim montre que la pandémie va se révéler comme « un catalyseur et un analyseur » des configurations politiques. À ce titre, l’anthropologie peut susciter de « nouveaux prismes interprétatifs », plutôt que de s’en tenir seulement aux appareils conceptuels de la discipline.

« La pandémie remet en question la liberté, l’implication et l’engagement. » La France et l’Italie ont à tourner un regard clinique, face à la pandémie, vers les « délires personnels, religieux, politiques, vers les étranges reprises de force et les banals effondrements psychiques nombreux », dans lesquels la soi-disant mise en cause de la nature dans l’être humain semble s’être extériorisée.

La communication initie la construction des collectifs de travail et transforme la conception de l’autre. Des oligarchies électorales vont vers la dictature, prennent des mesures sanitaires préventives et coercitives alimentant le capitalisme libéral économique.

Il n’y a pas rupture, mais continuation et accentuation des enjeux de ce capitalisme. J’irai jusqu’à dire que, pour lui, la pandémie est une chance.

Dans une première partie, intitulée « Gestion sanitaire et figures de l’État en France », les difficultés dans les modes de gestion du sanitaire se sont heurtées, outre le retour au naturalisme, à la question du soin, du care. Du care aux femmes, le pas est vite franchi et les femmes comme soignantes, hospitalières et domestiques ainsi que comme victimes ont été encensées et sont passées « de la déclaration d’invisibilité à une survisibilisation supplicielle ». Pourtant la pandémie n’a pas œuvré en faveur de l’émancipation et « s’est abattue sur les femmes pour en faire de misérables héroïnes du malheur ».

Il s’agit, dans cet ouvrage, de sortir d’un positionnement à deux pôles : d’une part, la rébellion du sujet victime contre les injonctions sanitaires de l’État, d’autre part une obéissance aveugle et la soumission aux autorités.

La première partie, « Gestion sanitaire et figures de l’État », est consacrée à montrer comment le libéralisme économique proclame l’égalité, la liberté et la justice face aux fauteurs de troubles qui, dans une période difficile, ne se plient pas à une morale des corps et de l’environnement. Les figures de l’État qui émergent de la crise sanitaire et économique en Roumanie, en Algérie, au Cameroun, en Colombie, au Soudan, en Chine, en France et en Italie, se veulent à la fois thérapeutiques et punitives, protectrices et oppressives.

La deuxième partie, intitulée « Intimités résidentielles, subjectivités territoriales », s’interroge sur le confinement et l’après-confinement, les normes de distanciation, le confinement obligatoire et la vie quotidienne, la pandémie devenue invisible et intouchable dans nos liens sociaux, le port du masque, les musulmans français et la pandémie.

Dans la troisième partie, intitulée « Logiques existentielles », des questions sont posées sur le rapport entre confinement, déconfinement et vie psychique, « surveiller et contenir » dans la gestion de l’épidémie, sur un confinement singulier (Trieste), sur le chercheur face à la pandémie et au monde, sur le confinement des gens du voyage. La quatrième partie, « Interpellations croisées », s’interroge sur les biens communs au cœur de la pandémie, sur les logiques politiques et les rapports économiques, sur les effets de la pandémie dans une entreprise.

Dans « La Covid-19 : une morale de l’environnement », Bernard Hours montre que, pour les libéraux économiques, ce sont les corps dans leur environnement matériel qui relèvent d’une justice, d’une liberté, d’une égalité qui, si j’ai bien compris, ne sont pas produites par ces corps s’ils sont humains, mais déjà dans ces corps et se matérialisant ou non en valeurs morales. Le care est là pour prendre soin des plus amoindris physiquement, donc socialement. Quant à ceux et, plus encore, celles qui le sont complètement, ils vivent et disparaissent sans laisser de traces.

J’ajouterai que, chez les libéraux économiques, la nature a remplacé non pas Dieu, mais le lieu, la place de Dieu et cela à l’intérieur de l’humain et non hors humain, comme le sont le sacré et le religieux quels qu’ils soient (ancêtres, mythes). Chez les libéraux économiques, l’être humain est humain, parce qu’il est naturel, cause et conséquence de son corps, déterminé entièrement par ses gênes. Ce naturalisme est une caricature du sacré et du religieux.

Antoine Heemeryck aborde la question de la pandémie en anthropologue. Face à la contamination, l’État roumain n’est pas un État thérapeutique qui tente de protéger la population. Telle migrante cherche à s’enfuir par les aéroports, malgré les vols interdits. La politique de l’État, en l’occurrence, ne poursuit pas le bien public mais le profit et la spéculation sur le profit des grandes entreprises. L’action sur la pandémie se fait à coups de mesures autoritaires. Le délabrement des hôpitaux, dénoncé par les médecins, leur vaut l’hostilité des pouvoirs publics. « La stratégie du gouvernement, dit l’auteur, est celle de la contamination maîtrisée. Il s’agit, en fait, d’une mise en danger du peuple pour réduire à court terme les coûts matériels de la pandémie. Ce qui, actuellement, n’est pas nouveau en Europe.

Face à la crise sanitaire, dit Patience Biligha Tolane, depuis le 6 mars 2020, les Camerounais vivent au rythme des divergences politiques, ce qui est un moyen, pour certains responsables politiques, de montrer leur capacité à écouter la population, en optant pour l’humanitaire, et, pour d’autres, de marquer leur affirmation en tant que gouvernants en optant pour une stratégie de stabilité économique. La question de la récession économique et la colère des Camerounais conduisent le Premier ministre à ouvrir tous les lieux de loisirs. L’absence du président Bya, qui vit à Paris, est jugée irresponsable. Beaucoup de Camerounais se sont retrouvés au chômage à cause de la baisse des activités, mais les prix pratiqués ont baissé du fait d’une demande plus faible. Les membres du gouvernement, les Camerounais, la communauté internationale sont à la recherche d’une solution médicamenteuse pouvant réduire la propagation du virus en créant une immunité au sein de la population.

« On nous donne des ordres, c’est tout » note Mohamed Mebtoul à propos de la gestion de la pandémie à Oran où il y a une dizaine de décès par jour. L’élite politique rend la population responsable de la maladie, à cause de son manque de sagesse, de son indiscipline, de son incapacité à respecter les consignes du pouvoir politique. Or ces consignes relèvent elles-mêmes d’un « flou socio-organisationnel » des responsables politiques locaux qui manient à la fois l’autoritarisme et la complaisance en soi-disant bons pères de famille. Il n’est pas question de clarté, de transparence, ni de concertation. Les hôpitaux, délabrés et sans moyens, sont substitués, pour les malades, à leur médecin. Les cafés, fermés, reçoivent, sans difficulté leurs clients dans l’arrière-boutique d’où ils sortent un gobelet à la main. 60 % des travailleurs dans les entreprises de BTP sont contraints d’arrêter le travail. Le mouvement populaire Hirak souhaite reprendre progressivement les manifestations dès le mois de septembre 2020.

Olga L. Gonzalez est colombienne. Comme la plupart des pays du continent américain, la Colombie a connu un très grand nombre de morts par Covid. Le confinement a commencé dès mars 2020. Il n’a pas réussi à limiter la pandémie. L’auteure indique d’abord que l’actuel régime colombien, néolibéral, est favorable au grand capital et aux propriétaires terriens. Sa politique est autoritaire et inefficace en termes de sécurité. La pandémie a contribué à révéler les défaillances du modèle et les violences qui s’y sont développées sont le prolongement de celles que le pays subit depuis longtemps. Demeure la question des résistances collectives.

La Colombie a connu de nombreuses crises (choléra, tremblements de terre, explosions dans les mines, ruptures de barrages). Ces crises sont vécues comme des accidents, des punitions divines, non comme la gestion irresponsable d’individus privés ou publics. Ceux-ci sont rarement sanctionnés en justice. Pour éviter une rupture de digue, une messe publique est célébrée. Au moment de la pandémie, l’opposition politique a proposé un revenu de base de trois mois, pour garantir un minimum de ressources, résister à la maladie et relancer la demande. Aucune suite n’a été donnée par le gouvernement à cette proposition. En contrepartie d’une réforme augmentant les impôts, ce même gouvernement a promis trois jours sans TVA. En pleine pandémie, les acheteurs se sont précipités chez les commerçants fort satisfaits. La presse a critiqué ces trois jours et le troisième a été annulé. Les mesures à prendre et à faire sanctionner par les pouvoirs publics et la police contre la contamination sont le fait de particuliers : par exemple, des propriétaires de magasins enferment leurs employés, pour qu’ils ne soient ni contaminés ni contaminants. Avec plus de 26 000 morts par Covid, la Colombie compte parmi les pays les plus contaminés. Mais, dit l’auteure, que signifient ces morts dans un pays où les homicides sont l’une des trois premières causes de mortalité de la population ?

Barbara Casciarri situe le problème du coronavirus au Soudan dans l’après-révolution qui a amené la chute de l’ancien gouvernement. C’est un gouvernement de transition qui, au moment de la pandémie, est composé de militaires qui ont aidé la population à se révolter. Une solidarité s’est établie entre les familles, entre les groupes sociaux, aussi bien à Khartoum que dans les campagnes. « Sociabilité et convivialité denses », dit l’auteure : le confinement tend à repousser « dans l’espace domestique des hommes et des femmes qui avaient commencé à construire ensemble des pratiques ordinaires d’une nouvelle société ». Les Keizan qui font encore partie des comités de résistance, voudraient retourner à la période prérévolutionnaire. Ils sont déçus par le gouvernement de transition. Ce qui ressort des propos et des entretiens de l’auteure, c’est une interrogation sur l’issue future au Soudan de cette triple rencontre (pandémie, crise économique, révolution), accompagnée de violences sur les femmes, le tout greffé « sur un processus révolutionnaire en cours » qui met actuellement en cause le gouvernement de transition des militaires. Ce sont les « possibles futurs » de la révolution soudanaise, « pendant, après et malgré le passage du Coronavirus ».

Monique Selim et Wenjing Guo font d’abord le bilan, en Chine, de la crise de la pandémie. Le confinement forcé alimente les contaminations, la reprise économique est assurée, en revanche l’autoritarisme et la répression politiques se sont accrus. Le docteur Li avait été l’un des lanceurs d’alerte de l’épidémie. Sa mort est suspecte. « Le médecin est vécu comme une victime à laquelle chacun peut s’identifier » dont la disparition sert à manifester une critique de l’État-parti. Des agents de l’État sont envoyés dans les familles ouïgours pour surveiller leur adhésion aux politiques du Parti. Dans le combat contre la pandémie, les femmes soignantes héroïques ont eu les cheveux rasés par les hommes avant de se rendre à Wuhan : les féministes chinoises ont protesté contre ce traitement sacrificiel. Pour l’État-parti, il n’y a plus, voire il n’y a pas eu de victimes de la pandémie, « mais des héros qui marquent et marqueront les esprits ».

Catherine Deschamps traque la représentation et le vécu de la pandémie dans les professions, les vies publiques et privées. Elle refuse de « se défausser de la seule responsabilité politique sur la responsabilité individuelle ».

« La peste marqua pour la ville le début de la corruption » a écrit Thucydide, cité par Annie Benveniste. Quand règne la peur de la contamination, tout est possible. Les distances ne sont plus des normes, la peur les domine. En Afrique du Sud, des ligues spéciales ont été mises en place. Un participant de groupe de quartier déclare : « C’est notre responsabilité de citoyen et notre obligation obligatoire (sic) de dénoncer à la police. » La distance physique, dénommée sociale par les mesures sanitaires du gouvernement, doit apparemment uniformiser les comportements.

Le confinement obligatoire et la vie quotidienne dans un quartier de Paris montrent, selon un auteur, comment les rapports conjugaux, familiaux, de voisinage, sociaux sont transformés par les mesures sanitaires édictées sans aucune concertation par le gouvernement. Sur un boulevard vide d’autos et de passant.e.s, les magasins, cafés, restaurants sont fermés. Des pigeons affamés entrent par les fenêtres et se posent sur les meubles. La vie hors de soi n’apparaît que par l’écran de l’ordinateur ou de la télévision.

Lucie Gui s’interroge sur ce qu’est le port d’un masque dans une banlieue de Paris, notamment sur la figure du joggeur. Cette figure apparaît centrale à travers la gestion et l’interprétation de la crise par des acteurs sociaux. La déclaration du président de la République, fin mars 2020, explicite clairement que l’armée n’est pas convoquée pour faire régner le confinement dans les rues. La mise à domicile est nécessaire, mais l’est également, dit le président, la possibilité d’exercices physiques à l’extérieur. Cette attention du pouvoir politique est en inadéquation avec l’Espagne et l’Italie, mais en adéquation avec l’Allemagne et la Belgique. Sortir du domicile pour marcher et courir à l’extérieur est une garantie essentielle d’une santé psychique, notamment lorsqu’on n’a jamais connu de confinement. Mais une fois dehors, une voiture à gyrophare avec haut-parleur diffuse un message : Le gouvernement a ordonné un confinement total. Rentrez immédiatement chez vous.

En fait le ministre de l’Intérieur va préciser qu’il est impossible de sortir de son domicile sans une attestation qui donne les motifs de la sortie et en marque la durée. Mais la peur de la maladie va se répandre sur les réseaux sociaux et se communiquer aux individus. La violence individuelle s’exerce contre ceux qui sortent pour se promener, courir, notamment les joggeurs. Ce n’est plus seulement à l’État qu’il est reproché de ne pas mettre fin à la propagation du virus, à l’épuisement des soignants, au manque de lits dans les hôpitaux, c’est à l’individu. Un lien est établi entre la responsabilité individuelle et la crise sanitaire. Ce qui est mis en cause peu à peu ce n’est pas tant d’être joggeur et de contaminer, c’est le fait de porter un masque inutile, autrement dit mal adapté. Le port de ce masque fait du joggeur une figure politique à dénoncer. Le masque est déclaré inutile s’il n’est pas porté correctement. L’objet masque est parfois, nécessaire, mais mal posé, il provoque l’action individuelle contre le joggeur.

Le masque, pendant le confinement, est un objet, et, en même temps, le prolongement d’un acte citoyen et solidaire en l’absence de toute concertation entre les pouvoirs publics et la population. Il crée un espace de contradiction entre l’État providence français et son incapacité, en l’occurrence, à fournir ce qui est nécessaire, notamment les masques contre le Covid, masques présentés comme inutiles au début du confinement. Ils deviennent obligatoires dans les espaces clos, puis dans l’ensemble des espaces publics. Marcher sans masque, c’est, dans le confinement, être en infraction avec la loi et s’exposer à une sanction financière. Mais faire son jogging sans masque demeure autorisé.

Katia Faouès s’interroge sur les musulmans français face à la pandémie. Ils seraient cinq millions, avec une grande prédominance maghrébine (4 000 000), un pôle turc (345 000) et un autre venu d’Afrique subsaharienne (250 000). À partir des enquêtes qu’elle a menées, l’auteure indique que, sur la question de l‘information sur le Covid-19, sur celle de la pandémie, sur celle, pour chaque individu, d’une limite à la documentation immédiatement disponible, donc accessible, sur celle d’une concentration de préconisations difficiles par rapport à la pandémie, tous, sauf un iman, ont dit avoir pris connaissance des informations accessibles mais en se limitant à celles-ci et en renonçant à mobiliser une large documentation.

La seconde question était de savoir ce que les interlocuteurs ont retenu des conseils à propos de l’empathie, positifs ou négatifs. Dans les réponses, les paroles des enquêtés montrent une confiance modérée. Ils opposent des principes aux « leçons » des directives et s’inscrivent dans une quête de sens partagée par l’individu confronté à une perte des repères fondamentaux. À la rationalité instrumentale, seule reconnue par les libéraux économiques, ils ajoutent, même s’ils sont impliqués dans l’univers capitaliste, une éthique de conviction en référence à l’idée de justice sociale.

S’interrogeant sur le confinement-déconfinement et la vie psychique, Olivier Douville incite d’abord à rappeler l’aggravation de la vie matérielle des laissé.e.s pour compte dans des lieux insalubres et dans la rue. Puis il compare le confinement des soignants en hôpital psychiatrique avec celui des malades mentaux. Ce confinement commun les rapproche.

David Puaud analyse, à partir d’une cohorte d’étudiant.e.s de Sciences politiques, dont la plupart sont d’origine étrangère, « les logiques imaginaires et sociales à l’œuvre » durant la période du confinement. Le choix consistait notamment pour les étrangers et les étrangères soit à rester où ils/elles étaient dans une ville de province française, soit à retourner dans leur pays et dans leur famille. Alors que ces étudiant.e.s savaient, avant le confinement, que c’était leur dernière année de scolarité, ils/elles vivent néanmoins ce moment, le « jour d’après », comme « une rupture brutale des cadres et structures habituels de la vie », dit Nina. « J’ai pris conscience que le virus était arrivé sans frontières », dit Alexandra. Pour les forces de l’ordre, le confinement permet de « surveiller et contenir ». « Deux hommes se disputent sans se battre, raconte une étudiante qui témoigne, deux policiers les aspergent au gaz lacrymogène. Les deux hommes tombent en se tordant de douleur ». L’auteur conclut : « La « guerre sanitaire » à laquelle risque de succéder une crise économique et sociale renforce le déploiement de mesures sécuritaires et la restriction des libertés individuelles et collectives. »

Federica Misturelli, dialogue avec des étudiant.e.s de Trieste qui se trouvent dans une situation difficile, les cours à distance n’étant pas pratiqués en Italie. Les restrictions pour les sorties et les déplacements dans les villes où le confinement s’avérait nécessaire ont été, successivement, imposées, levées, imposées. Des trains évitent certaines villes. Le gouvernement s’est efforcé d’assurer que la situation était sous contrôle. Les commerçants affichent le même slogan : Excusez pour la fermeture, mais tout ira bien. Avec l’extension de la quarantaine, le récit du déni est apparu soit par négation : cela n’existe pas ; soit par réduction : le virus est là, mais il n’est pas dangereux. L’auteure pense que le faux sentiment d’immunité peut susciter des comportements dangereux.

Tassadit Yacine pense que la question de soi par rapport à la vie et à la mort dans les sociétés dites traditionnelles s’efface des représentations des sociétés modernes. En Algérie, le confinement coïncide avec le Hirak, qui réclame une transition politique. Le gouvernement en place interdit, pour des raisons sanitaires, les manifestations, mais se soucie plus de sa légitimité que de se préoccuper de la gestion de la crise pandémique et de ses conséquences. Dans les institutions kabyles, on doit toujours venir en aide aux siens avant d’aider les autres : « Avant de rendre visite à un sanctuaire, commence par ta maison. » Mais en Kabylie, le réflexe de se prendre en charge, tout en tout en réactivant la solidarité, fait partie des usages locaux prévus par le droit coutumier. En banlieue parisienne, des jeunes de l’immigration ont retrouvé les gestes de leurs parents pour aider les plus âgés.

Gaëlla Loiseau et Agnès Remy ont constaté que d’emblée les gens du voyage se sont confinés eux-mêmes. Mais les pasteurs de l’Église évangélique tsigane ont propagé, sans le savoir, la maladie dans des réunions de prières, pour conjurer l’épidémie. Pour les pouvoirs publics, notamment la police, les corps des gens du voyage sont supposés contaminés et contaminants et reçoivent des injonctions contradictoires : Bougez pas ou Dégagez.

Dans un entretien avec Catherine Quiminal, Benjamin Coriat affirme que la pandémie était prévisible, comme le sont de nouvelles zoonoses. Le niveau sanitaire en ce qui concerne l’impréparation a atteint en France des proportions excessives. La destruction des bio-diversités et la déforestation mettent en contact les êtres humains avec des virus portés par des animaux.

La multiplication de pratiques extractivistes par le monde capitaliste amène à libérer des forces et à laisser ses empreintes sur les équilibres naturels de la planète. Le capitalisme, c’est la perspective que les épidémies et les pandémies se multiplient. Mais la surexploitation de la nature n’est possible que parce que des rapports de domination entre les hommes ont été établis.

Il faut se centrer sur les grands pôles de base de la reproduction de la vie humaine : s’alimenter, se soigner, se vêtir, se loger, se déplacer, s’éduquer, se cultiver. Il faut repenser les services publics, marquer les frontières entre espaces publics et espaces privés, services marchands et services non marchands. Il faut assurer leur métamorphose dans ce que l’auteur appelle à juste titre selon moi, les communs sociaux. Un commun peut demeurer une garantie de l’accès universel aux plus démunis. La pêche chez les Soninkés et les Bozos est liée à des pratiques collectives et à des formes de redistribution équitables. Ils ne sont pas encore vendus au tout-puissant capitalisme libéral économique, rappelle Catherine Quiminal. Descola a montré que la poursuite de l’anthropisation de la planète annonce l’entrée dans une ère de ruptures et de menaces majeures. Il faut rompre, dit-il, avec la propriété exclusive et aller vers la propriété partagée dans les communs.

Monique Selim s’entretient avec Jean-Paul Gonzalez sur les relations entre les logiques politiques et les rapports économiques pour engager une approche transdisciplinaire dans l’analyse et les solutions à apporter aux maux de la santé publique pour le moment et se préparer pour le futur.

Dans un entretien avec Monique Selim, Véronique Héran fait valoir les avantages et les inconvénients du télétravail pour les salariés, mais considère qu’il ne modifie en rien, dans l’entreprise, la poursuite des objectifs et des stratégies des dirigeants.