Bernard Hours et Monique Selim : L’Empire de la morale, Paris, L’Harmattan, 2020, Coll. Anthropologie critique


Recension par Louis Moreau de Bellaing

Bernard Hours et Monique Selim : L’Empire de la morale, Paris, L’Harmattan, 2020, Coll. Anthropologie critique

Les morales et les moralisations apparaissent aussi bien dans les imaginaires que dans la quotidienneté concrète des populations. Distinguons les morales de ce qui est plus sérié par rapport à elles, les idéologies, les éthiques et les droits, qu’ils soient, positifs ou négatifs, mais des morales peuvent trouver dans les idéologies, les éthiques, les droits, une terre d’asile proche.

Les éthiques se distinguent plus étroitement des idéologies par leur spécificité (notamment professionnelle), mais une éthique abrite toujours une ou des morales. Enfin les droits s’accompagnent nécessairement d’une ou de morales, celle de la propriété, de la transmission, etc. Elles comportent presque toujours des vecteurs de moralisation .La morale s’accompagne du droit, qui est juste ou inique, et comporte lui aussi des vecteurs de moralisation.

Lorsque la morale est apparue en même temps que les religions, autrement dit avec le sacré, elle s est introduite le plus souvent dans les invariants ou repères limite que nous vivons quotidiennement. A l’inverse, les invariants-repères limite peuvent s’être introduits dans la morale. Ces invariants-repères-limite ne sont pas directement moraux. Comment la transmission, l’égalité, le pouvoir, le social pourraient-ils être directement moraux ? Des moules religieux, fondés sur le sacré hors humain, ne sont pas toujours destructeurs et peuvent recueillir de l’humain à construire. La morale et la moralisation ne sont pas nuisibles, en soi, à autrui et à soi-même; quand elles s’en tiennent strictement aux fondamentaux, sans se laisser, engluer par un sytème – le capitalisme – qui, depuis presque cinq siècles en Grande-Bretagne, deux siècles et demi en Europe et plus d’un siècle dans le monde, fait régner sa toute-puissance à la fois matérialisée et dogmatisée.

Si je donne ce préambule à mes propos sur et ouvrage, l’Empire de la morale, c’est pour situer, de mon point de vue et telles que je les ai comprises, l’étendue et l’extrême importance du problème que les auteurs posent. Ces auteurs ne sont pas des débutants, ont déjà une partie de leur vie en recherche derrière eux. De la même manière que je souhaitais autrefois que le livre de l’historien Robert Mandrou Introduction à la France moderne, soit lu et répandu et, aujourd’hui, les ouvrages de l’historienne Sophie Wahnich sur la Révolution française, ou également, en anthropologie, le livre de David Puaux sur une affaire judiciaire, je souhaite que ce livre, l’Empire de la morale soit largement répandu et commenté. Mon propre commentaire va suivre au plus près les propos des auteurs, quitte à ajouter ici et là, les remarques, ou éventuellement des objections que leur texte m’inspire.

Le livre comporte quatre parties : Des droits politiques aux droits moraux, Une communauté morale globale, Les nouvelles voies sexuelles de l’héroïsation morale, Protéger et sécuriser : la bonne gouvernance morale au XXI°siècle.

Dans l’introduction du livre, faite par les deux auteurs, dès l’abord, nous est présenté un monde fracturé, dont les fractures se donnent à penser comme des affrontements en terme de normes contradictoire. Conflit primaire entre un Bien et un Mal vécu comme l’adhésion à des valeurs exclusives, sans référence, malgré une avalanche de régulations éthiques. Bienveillance à l’égard des semblables, attitude modeste et attentive aux clics enthousiastes ou haineux des réseaux sociaux, ces phénomènes ouvrent un gouffre, tant Ia violence et le sectarisme envahissent la scène sociale et politique à une échelle globale dont les déclinaisons sont explicites et convergentes. II s’agit de saisir les ressorts récents et actuels du présent, afin de l’interpréter et de l’observer dans sa brutalité et d’observer également les séquences qui l‘ont précédé.

Dans un premier temps, la réflexion porte sur un changement de paradigme majeur qui s’opère entre le XXème et le XXIème siècle (années 90). Largement hérités des Lumières et du XVIII° siècle, les droits politiques s’effacent progressivement pour laisser la place à des droits que l’on peut qualifier de moraux, dits aussi droits humains. Cette formulation me parait un peu trop réductrice. Je pense que les droits politiques reposent sur une sorte de soubassement humain psychique non déterminé ni déterministe, une sorte de grille de significations : temps, distance, liberté , altérité. Les droits humains dont parle Bernard Hours sont historiquement ceux agités en permanence au coeur de catastrophes et de violences chroniques, grâce à l’attention des médias. Qui est le sujet de ces droits ? Que signifie l’inflation de ces droits accordés à de multiples catégories, sans qu’ils soient réellement mis en oeuvre ? Le changement de paradigme modifie profondément la nature du sujet humain qui parcourt l’histoire de l’humanité et révèle les mutations de groupes d’hommes et de femmes qui la constituent. Sur la modification profonde de la nature du sujet humain, on ne peut dire ni qu’il y a effacement (c’est moi qui souligne) des droits politiques, ni modification (c’est moi qui souligne) profonde du sujet de l’histoire. C’est toujours l’être humain, seul ou en groupe, qui est le sujet de l’histoire. Iln’a pas attendu la philosophie des Lumières et le droit naturel, (grosso modo la liberté, la sécurité, la propriété, la résistance à l’oppression, l’égalité, la fraternité, la responsabilité et la justice ) pour les éprouver, les ressentir et les vivre. Et la liste n’est pas close, mais elle n’est pas infinie. Pour ma part, je m’en tiendrai à un déplacement apparent et à un trouble difficile à vivre dans la nature du sujet de l’histoire qui reste fondamentalement la même parce que cette nature est éprouvée, vécue, ressentie par les sujets de l‘histoire en groupes et individuellement, à toute époque et en tout lieu, même là où – c’est encore le cas des femmes- ils sont le plus écrasés. Les auteurs me diront peut-être : ce que tu dis, le ressenti, l’éprouvé, le vécu, sont trans-historiques.Je répondrai : non. Ils contribuent à faire l’histoire, ils sont toujours de l’histoire. Il n’y aurait plus un être humain sur la terre depuis longtemps s’ils n’étaient pas constitutifs, au moins du point de vue psychique, de chaque être humain, même s’il veut les ignorer. Quand je dis nature humaine, je ne veux pas parler de nature naturante, même s’il y a le corps. Les droits politiques humains – et non humanitaires seulement – et sur ce point je ne suis d’accord, ni avec Alain Caillé, ni probablement avec Gauchet qui ont eu le courage de poser le problème.
Les déclarations des droits ont explicité, pour un type de société nouvelle, la société moderne (que j’appelle aussi société de l’entre nous), ce qui, depuis des millénaires, pouvait être repris en partie par les sacrés, mais pouvait aussi demeurer masqué par les prescriptions et les proscriptions du sacré lié toujours, jusqu’à il y un peu plus d’un siècle, au politique et à la politique, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui pour la nouvelle société qui veut la liberté de conscience. Je n’ai rien contre le sacré, je n’y crois pas et j’ai choisi volontairement la société moderne. Mais, contrairement à Marc Augé qui pense que les sociétés du sacré ne survivront guère face à le société moderne, je pense que certaines pourront concilier leur sacré toujours hors humain avec les droits politiques (au deux sens du terme politique) des êtres humains. La tentative d’effacer les droits politiques au profit de soi-disant droits moraux et celle de modifier la nature du sujet de l’histoire – ne fut-ce qu’avec le trans-humanisme qui prétend refaire la nature humaine – sont réelles et il faut lutter contre ces tentatives de perversion.

Encore faut-il au moins une hypothèse pout tenter de montrer que les individus seuls et en groupes rencontrent les mêmes invariants anthropologiques et ont toujours à choisir par rapport à eux : la responsabilité ou l’irresponsabilité, la liberté ou la servitude, cela, de part et d’autre, à des degrés divers.

La deuxième partie fait apparaître une communauté morale solidaire qui se manifeste par la production de marchandises morales. Ces marchandises sont des valeurs non au sens de marchandises réelles à qui leur valeur marchande donne un prix, mais les valeurs non marchandes et sans prix – le don, l’empathie, la reconnaissance sociale réciproque. Elles sont mises sur le marché et débitées sous formes de cotisations, dons, contributions volontaires, le tout faisant appel à une vertu morale qui consiste à participer financièrement à une oeuvre quelconque dite de bienfaisance et de protection. Ce marché s’élargit d’autant plus que les inégalités et les silences sur elles augmentent. Le Bien comme don devient un investissement financier économique. Le vivre en commun et la part d’engagement que cela suppose sont profondément modifiés.

Dans la troisième partie sur les sexualités, l’idéologie morale trouve un terrain tout préparé. Elles sont un tremplin efficace de la généralisation de la morale à tous les champs sociaux. Les femmes sont les victimes et les héroïnes de ce processus de moralisation. Les féminismes eux-mêmes s’affrontent dans une concurrence morale.

Dans la quatrième partie, la bonne gouvernance suppose une morale gestionnaire, sécuritaire, devenue morale de l’économie de marché, dans une société globale ou pseudo-société qui dissimule l’autre, celle dans laquelle une bonne partie des populations essaie de vivre en poursuivant sa construction.

La conclusion, c’est que l’autre comme adversaire tend à devenir la figure du Mal. Mais aussi toute position décalée devient égalité. La morale exerce une influence morale sur l’humanité. Il semble qu’à défaut de projet mobilisateur, l’énoncé de convictions immédiates plus ou moins provoquées soit ce qui reste de la souveraineté du peuple. C’est la convocation morale du Bien et du Mal qui fait sens dans la démocratie oligarchique actuelle. La condamnation actuelle de la violence revient à délégitimer tout mouvement social et politique contre les inégalités et les ordonnancements dominants. Au sein des sciences sociales, abonde le flou sur l’acception du mot morale et ce dans l’ignorance volontaire du symbolique et de l’imaginaire. La morale a toujours servi à légitimer des rapports de domination et d’aliénation dans les rapports sociaux. La fonction architectonique de la morale étaye les structure sociales, économiques et politiques. La citation de Sartre montre que la liberté sert à destituer l’hypostase de la morale. Il ne s’agit ni de scepticisme, ni de cynisme, mais plutôt de tenter une actualisation épistémologique qui se nourrit d’une position d’anthropologue.

Dans le premier chapitre de la première partie Des droits politiques aux droits moraux, dès le préambule de la partie, Bernard Hours note que l’homme, hier sujet politique, devient sujet dans l’environnement, créature re-naturalisée dotée d’une conscience morale. La nature elle-même serait dotée de cette conscience, comme une bio-diversité devenue morale à force de totalisation environnementale. Désormais, droits politiques et devoirs moraux se télescopent.

Le premier chapitre de la première partie s’intitule Naturalisation du sujet politique. La société civile intègre de plus en plus de diversité multiple. La perte de repères centraux (souligné par moi) semble affaiblir la citoyenneté. La perception d’instances collectives centrales est effacée par internet et les réseaux sociaux.

Les droits sont des capacités attribuées à des sujets qui en bénéficient du fait de leur statut d’humain homme, femme ou enfant par exemple. La distribution gratuite des droits ne garantit aucunement leur mise en oeuvre et la jouissance possible de ces droits par des personnes réelles. On abordera d’abord le modèle emblématique des droits de l’homme. Puis on en viendra à la question du citoyen politique naturalisé et dépolitisé. Les droits sont désormais acquis comme marchandises morales par le sujet sur un marché des droits. En conclusion, on montrera comment des personnalités juridiques sont attribuées à des objets de l’environnement tels les fleuves.

Le corpus juridiques droits de l’homme inscrit un projet d’émancipation par les droits, un programme de construction de la démocratie politique autour de la figure du citoyen. L’individu échappe à l’enfermement du Moyen-Age, progressivement allégé, sans être totalement levé. Au XVIème siècle, en Angleterre, les enclosures, éviction des parcelles et clôtures privées, ouvrent la voie, à une évolution économique et sociale d’appropriation privée des terres, et à l’émergence d’une bourgeoisie dynamique en quête de statut.

La citoyenneté sert de fondation à la légitimité politique. Les droits naturels ne sont pas distincts du citoyen politique qui en hérite. L’attrait abstrait de ces droits naturels est plus facile à exposer que les droits politiques. L’homme est une créature de la nature et dans la nature. Mais il n’est pas que cela, il est sujet social et politique .

En même temps que le sujet citoyen politique s’efface, l’ONU devient l’entité politique de surplomb. mais l’affaiblissement du statut de citoyen fait disparaître les obligations (dites devoirs) et l’autorité de la loi. A la place de l’entité politique républicaine de 1789, une autre entité politique se met en place. Elle est multilatérale, internationale, sans frontières, peuplée d’acteurs étatiques qui vont s’engager dans quarante ans de guerre froide et d’impuissance onusienne. La notion d’émancipation collective s’estompe depuis 1789. Le sujet politique, l’homme des Lumières, laisse progressivement la place à un homme, une femme génériques, exemplaires de l’espèce. Selon Hannah Arendt, le droit, qui conditionne tous les autres, c’est celui d’appartenir à une communauté politique qui garantit la jouissance concrète des droits par son autorité légitime.

Par l’autorité légitime de la communauté politique, le droit est le droit d’avoir des droits. Le citoyen est un sujet de droit comme il est un sujet des droits. Mais l’homme des droits de l’homme se présente désormais comme exemplaire de l’espèce humaine, pure créature naturelle dans la bio-diversité qui disposerait des droits, de droits humains justement, mais non en tant qu’exemplaires de l’espèce humaine, statut aussi large que possible.

Les années qui ont suivi la chute de l’URSS ont vu se développer les grandes ONG humanitaires d’aujourd’hui. Les victimes sont secourues au nom des droits (de l’homme) à être protégées contre la violence étatique et, en l’occurrence, totalitaire et anti totalitaire. Cette période signale un moment idéologique droit de l’hommiste qui a engendré l’importance de l’action géopolitique humanitaire et la création de ministères ad hoc dans plusieurs pays.

L’action humanitaire repose sur trois piliers qui la rendent nécessaire. L’affirmation de l’universalité des droits de l’homme renvoie à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Il s’agit d’un énoncé politique et moral, d’une aspiration légitime qu’il est facile de partager, mais dont la mise en oeuvre constitue une gageure, une utopie nécessaire. Après l’échec de la Société des nations (SDN), l’impuissance de l’ONU à constituer un vecteur de progrès durable plutôt qu’une enceinte de voeux pieux mâtinée de cynisme étatique, est bien réelle.

Il faut s’interroger sur la nature de la communauté qu’on peut évoquer. Sans citoyens (du monde) dans un champ politique qui demeure national, l’idée d’une société civile globale, rêve de gouvernance globale des institutions multilatérales, demeure à l’état de projet. Reste encore la communauté naturalisée, l’espèce humaine dans la nudité de sa vie «nue» (Ariistote), celle que l’on trouve dans les camps d’extermination, de réfugiés, de transit, où s’affairent les humanitaires avec une logistique nécessaire qui produit des soins mais pas beaucoup de dignité.

La dignité de l’espèce se mesure à son corps vivant et sauvé. La mort se présente comme l’ultime indignité dans cette représentation des autres. Le sujet de droits est finalement devenu un objet de soins, d’attention bienveillante, mais sans aucune place pour la réciprocité condition d’une vraie relation. La victime est présumée souffrante, passive, sans ressources, demandant de l’aide, accablée et sans ressorts. Mais demandeuse de quoi et qui en décide ?

Ces clichés donnent des représentations presque colonialistes du malheur d’autrui. Car la frustration est toujours éludée. L’autre me vaut, il ne m’est pas inférieur, même victime, il n’est pas que victime et possède sa dignité qui va au delà des besoins physiologiques de son corps en danger. Le malheur présenté dans les mailings des ONG n’est pas que chez les autres.S’y donne à voir la représentation diabolique de la revendication et de la réciprocité frustrée et humiliée par des décennies d’actions humanitaires peu attentives à autrui, à son altérité et à sa dignité négligée involontairement ou mal évaluée. Le médecin, l’infirmière sont là pour sauver. Ils n’ont pas le temps et ce n’est pas leur métier de se pencher sur les états d’âme des victimes. La place de l’autre fréquemment éludée suppose un premier pas qui limitera la dimension de violence dé toute intervention hors de chez soi. Il y a bien ingérence dès la mise en orbite de l’action humanitaire. Il y eut absence de débat public qui eut permis, de maintenir l’obligation (devoir) de soigner, obligation (devoir) d’ingérence, puis, obligation d’ingérence transformée en droit d’ingérence comme si l’ingérence pouvait être un droit. L’ingérence est une violence et la violence ne constitue pas une solution durable. L’action humanitaire a contribué à l’émergence de la vie comme corps biologique en danger. Le sujet qui est un objet de soins, est un corps biologique d’homme, de femme ou d’enfant de l’espèce humaine. Jusqu’en 80, seules les victimes des sociétés occidentales étaient prises en charge psychologiquement. Les autres n’étaient que des corps. L’attention aux personnes s’est désormais améliorée grâce à des anthropologues, psychanalystes comme Olivier Douville.

Lors de catastrophes, la communauté politique requise pour asseoir le droit peut être fragilisée, voire détruite. Ce sont donc des intervenants extérieurs et étrangers qui portent secours à des corps hors société. Comme on l’a vu pour les réfugiés venus d’autres continents que l’Europe, l’altérité humanitaire laisse peu de place à la dignité sociale, culturelle, politique des populations secourues.

La renaturalisation de la place des hommes et des femmes dans les écosystèmes de l’environnement participe de l’effacement de la dimension politique des humains au profit de leur insertion dans les contraintes de l’environnement.

L’invocation anti-totalitaire des droits de l’homme est remplacée aujourd’hui par le concept de droits humains. Le passage de l’homme à l’humain indique explicitement un passage de l’homme à l’espèce. L’espèce dispose plus de droits naturels que de droits politiques. La vie est devenue une capitalisation de ressources diverses, de jouissances comme de pathologies douloureuses. Ces derniers supposent une centralité de l’individu, de l’électeur démocratique dont l’espèce n’a que faire puisqu’elle est biologique naturelle radicalement apolitique. C’est le corps du sujet qui est devenu le sujet. Le corps d’hommes exemplaires de l’espèce est devenu sujet de discrimination. Le sujet des droits a connu une re-naturalisation progressive dans le cadre d’une désacralisation naturalisée autour de la figure de l’espèce et non pas du sujet. Des droits d’un homme devenu abstrait en 1948 au droit à une vie biologiquement sûre et sans discrimination,le sujet des droits a connu une re-naturalisation progressive dans le cadre d ’une dé-socialisation naturalisée autour de l’espèce et non plus du sujet. De multiples communautés revendiquent le droit de jouir de leur identité afin de consommer paisiblement leur vie, leur droit à l’inclusion et à la non discrimination. Les aides ont une utilité objective, mais ne favorisent pas l’émergence de structures politiques et de citoyens responsables. Faire de la recherche d’une vie meilleure comme aspiration humaine est toujours légitime. Ce droit provoque beaucoup d’illusions, car aucune instance n’est en mesure d’ assurer cette réalisation sauf à être politique dans un champ politique.

L’auteur rappelle, ce que sont les droits : ils supposent une instance apte à en garantir la réalité at l’application à des personnes précises identifiées dans la cohorte de l’espèce humaine. La revendication d’un droit s’appuie sur sa formulation écrite et la jurisprudence ou les précédents en la matière. S’il y a discrimination, elle est subie par des personnes individuelles qui font valoir leurs droits devant les tribunaux.

La place prééminente de l’individu bardé de droits divers, distribués par des instances ou des autorités sans contours institutionnels clairs est largement fictive. Le droit d’être soi n’est fécond qu’en société et les droits ne valent que s’ils sont articulés à des lois réellement mises en oeuvre par des instances ayant l’autorité et la capacité nécessaires. L’aliénation des individus capturés par le marché de marchandises de toute sorte – morales et numériques notamment – constitue notre quotidien et la quête désespérée d’une centralité ou totalité perdue, c’est-à-dire une crise profonde de la démocratie politique. Les droits de l’homme sont dépolitisés et ce qu’on appelle les droits humains sont naturalisés.

L’auteur rappelle que la surexploitation de l’environnement est tardif et correspond à l’extension du capitalisme. Auparavant il s’agissait beaucoup plus d’une sorte de négociation avec la nature au sens d’environnement. Il note qu’une sorte de sacralité légitime les droits et, qu’au delà de cette sacralité, c’est la protection de l’environement qui déclenche les revendications. Celles-ci ont tendance à s’étendre à des entités naturelles qui ne relèvent d’aucune religion et donc d’aucun sacré. L’éco-système acquiert une personnalité juridique susceptible d’assurer sa protection. Il devient sujet (des droits à protection) et de droit tout court comme un personne. Le processus de renaturalisation de l’économie capitaliste englobe les écosystèmes et les sociétés, voire les individus qui sont censés devenir ressources humaines.

Si les fleuves ont une personnalité juridique, sont reconnus comme sujets de droits, où est le sujet humain ? Cette renaturalisation à l’extrême fait le jeu des libéraux économiques et de leur marché qui devient lui-même nature. Il y a, dit l’auteur, dé-politisation, dé-socialisation et, j’ajouterai, déshumanisation.

Dans le deuxième chapitre de la première partie, intitulée L’égalité fictive des droits, l’auteur montre que les nouveaux instruments d’information, Internet par exemple, s’adressent au sujet numérique qui devient naturel. L’égalité dans l’espèce est proclamée, mais que devient, l’autre social et politique ? La montée des inégalités est un effet global du capitalisme global autrement dit, aujourd’hui, aucune nation n’y échappe. Les « princes rouges» de la Chine post-maoïste sont devenus les graines innées de l’élite du monde actuel. Ils sont issus d’à peine 2 % de la population mondiale. Les «rouges» tout court sont encore dans le revenu de subsistance, mais avec une chance de pouvoir l’améliorer. La répartition globale des ressources donnerait, selon Piketty, 760 euros à chaque personne. Tout au plus un million et demi de personnes vivent de rentes de situations. La plupart en exploitant une partie de la population de leur pays ou d’ailleurs. Parce que le citoyen politique est devenu un citoyen consommateur; la dignité sociale se distribue selon les revenus et la capacité de les dépenser ou de les investir pour ceux qui en ont assez et disposent du capital. De les investir financièrement et de les mettre en paradis fiscaux pour profiter des revenus.

Le but du libéralisme et néo-libéralisme économiques est de mettre les exclus au travail pour qu’ils puissent participer au « banquet consumériste »; mais on peut observer cette fracture entre solvables et insolvables qui structure le paysage du XXIème siècle.

Destiné un moment à permettre de devenir plus indépendant, le micro-crédit est devenu un outil d’endettement banal plutôt qu’un outil d’émancipation économique.
Les inégalités créent un fossé croissant entre les plus riches et les autres membres des sociétés. Les plus grosses fortunes constituent une classe transnationale. La domiciliation du capital dans les paradis fiscaux souligne la mobilité géographique du capital dans un marché globalisé. Les stratégies globales d’une oligarchie milliardaire en état de sécession fiscale (Piketty), souligne le caractère global des inégalités. Les primes de départ délirantes de pdg d’entreprise pour des performances impossibles à évaluer, révèlent une inflation salariale en haut de la pyramide tandis que les salaires de la majorité stagnent, baissent, tandis qu’augmente le temps de travail.

Les risques de réactions et de protestations sociales sont bien identifiés et des pare-feux sont mis en place, notamment à travers la rhétorique sur les droits qui néanmoins amène des interrogations concrètes sur la portée de ces droits par des acteurs sociaux : provoquer la fascination ou le dégoût à l’étalage de la richesse, afficher la réalité des inégalités dans chaque société nationale.

L’action humanitaire a affiché à l’échelle planétaire l’universalité des droits de l’homme devenus droits humains, dont la rhétorique technocratique s’est emparée pour dire aux populations : ce n’est pas normal. On va vous aider à supporter cela. Ces mêmes instances internationales ont répandu l’idée respectable que chacun doit accéder à une dignité minimale, à l’éducation, à la santé. Les inégalités excessives provoquent une indignation morale largement exprimée aujourd’hui dans les indignations politico-morales. Une scène morale se nourrit de protestations et d’Indignations proto-politiques qui sont aussi des spectacles. Mais l’affirmation abstraite de l’égalité des droits de chacun ne mène nulle part si elle n’est pas assortie de l’énoncé de droits précis et des instances capables de les imposer. Le droit à l’égalité a peu de signification concrète. Ce qui fait sens, c’est la perte de la dignité relative (santé, éducation) qui fait obstacle à la jouissance d’une vie en bonne santé ou interdite d’un accès suffisant à l’ éducation. L’égalité des chances, la capacité d’accès aux services (santé, éducation) sont des références pertinentes partagées, mais qui sont néanmoins en contradiction avec le caractère patrimonial et cumulatif des richesses dans l’économie financière actuelle et les coûts croissants de la santé et de l’éducation. Les inégalités socio-économiques ne sont légitimes que si elles préservent l’égalité des chances et contribuent à améliorer le sort des plus désavantagés

L’Etat social est la première instance qui distribue, valide et. met en oeuvre les droits. Mais il est de plus amputé par sa dépendance financière face au marché dont il devient un peu l’Etat-Providence. Les organisations internationales (Europe, Nations-Unies) ont une capacité d’intervention plus forte, parce qu’elles dépendent moins que les Etats, du marché et de la dette. Mais leur intervention demeure largement potentielle et rare. Elles s’enlisent dans le contre-productif ou les chantages financiers. Les organisations internationales fiancent les ONG à grande échelle. Les ONG luttent contre les inégalités excessives et apportent leur soutien à des victimes. Mais elles sont distributrices de pis-aller, d’emplâtres, de calmants près de populations ciblées. Les solutions ne sont pas entre leurs mains, elles sont dans celles des pouvoirs politiques à qui elles peuvent servir d’alibi ou d’adversaire. Dans un contexte ou sévissant un néolibéralisme absurde et une concurrence sauvage, seule la société civile semble à même de s’occuper de solidarité. Les ONG en font partie, mais ne sont pas sa voix. Quant aux philanthropes, ils financent écoles, hôpitaux, tout en exploitant au maximum leurs salariés. La souveraineté des Etats s’affaiblit face à l’économique, aux dépens du politique et de la politique.

La démocratie politique occidentale est fragilisée, car le contrôle social qui fonde la citoyenneté est thatchéro-reaganien. Il creuse tellement les écarts que la légitimité sociale, politique s’affaiblit par l’accroissement rapide visible et médiatisé des inégalités. La passion de l’inégalité se développe aujourd’hui autant chez les oligarques que chez les super-cadres. Le néolibéralisme thatchéro-reaganien creuse tellement les écarts que la la légitimité morale, sociale, politique des inégalités fait problème. Ce qu’on appelle «l’ascenseur social» est réservé à quelques -uns, et du coup comme moyens d’’action et de pressions légaux ou illégaux. Ce qui est sans commune mesure avec une association dite de la société civile.La capacité d’accès au pouvoir économique et politique se fait par la pression exercée sur les décisions politiques. Cela coûte cher, mais rapporte gros.

La légitimité morale des inégalités est mise en cause par l’exploitation des salariés, collaborateurs, agents, par des stratégies et montages financiers, par la sécession fiscale des plus riches (Piketty). Les citoyens sont -face aux difficultés croissantes d’accès aux services publics, lorsqu’ils ne sont pas privatisés, notamment ceux de la santé et de l’éducation qui protègent la vie et les chances d’ascension sociale, clés d’une existence gratifiante. Aujourd’hui, la défense des droits prend la forme de luttes contre l’exclusion et les discriminations. Les citoyens formulent une exigence essentielle, celle d’un droit à l‘accès égalitaire aux biens et services qu‘ils soient publics ou privés.

Enfin, la crise du politique résulte, dans une large mesure, de l’incapacité de nombreux Etats à installer une justice fiscale pérenne, condition économique de la justice sociale dans les régimes démocratiques. C’est de la construction d’une puissance publique efficace et légitime qu’il s’agit pour maîtriser les inégalités.

L’égalité ne se décrète pas, elle se produit et ce sont les Etats qui sont en charge, politique de cette mission. Le marché produit des inégalités accrues, sauf pour une infime minorité qui se perpétue face à la concurrence effrénée qui détruit le tissu sociale et signale l’impuissance, volontaire ou non, des Etats. Les tentatives de solidarité ont acquis une visibilité aussi marquée qu’elle est récente. L’action humanitaire des ONG a des effets ambigus. Elle a eu au moins le mérite de maintenir le flambeau d’une solidarité minimale, cela vis à vis des pauvres lointains, mais aussi des pauvres proches dont le nombre a éclaté. Mais la violence se perpétue dans les entreprises et le chantage à l’emploi se développe lorsque le chômage règne. La fiction égalitaire des droits est un alibi dont abusent les institutions. Les tentatives de solidarité se présentent comme des issues, des sorties de l’étau mortifère des inégalités. Elles somment l’Etat d’assumer sa fonction de redistribution, faute de quoi c’est la société qui s’effondre et le marché avec elle. C’est à la société de signifier à l’Etat son refus en le renvoyant à ses missions économiques et sociales, notamment celle de donner un sens partagé aux inégalités légitimes qui peuvent contribuer au bien commun comme saine gestion des communs.

Monique Selim signe le troisième chapitre de la première partie intitulée Une globalisation morale. Elle pose d’emblée la question : dans les nouveaux maillages des phénomènes économiques, sociaux, politiques, ethnologiques, que devient le sujet, sa liberté, sa conscience ? La perspective anthropologique se fixe pour objectif de reconstruire l’intelligibilité des logiques subjectives dans le cadre du processus de globalisation à spectre et à effets totalisants (sinon totalitaires LMB). La globalisation est le moment où est dissous l’antagonisme structurel capitalisme/communisme. Elle marque la conversion de l’ensemble des pays du monde au capitalisme. Elle s’accompagne d’une intensification des outils numériques qui aboutit à capturer, sous un mode toujours plus étreignant les sujets. Il faut noter que l’antagonisme structurel qui, en Occident, opposait capitalisme et communisme s’est déplacé et s’imprime maintenant sur Islam et Ocident.

La globalisation capitaliste a eu également pour effet d’imposer au sujet un univers extérieur et intérieur entièrement façonné par le marché. Le marché oriente les sujets vers des supermarchés idéels dans lesquels ils vont construire leur idiosyncrasie : religions, sexualités, parentalités, jouissances, tropismes, transformées en marchandises symboliques et concrètes. La banalisation et la valorisation d’un pouvoir fort avancent vite et la juste restriction des droits progresse dans les esprits dans l’idée qu’il faut se défendre contre l’ennemi intérieur et extérieur qui menace la société, le pays, la culture, la civilisation et, plus profondément soi (et non moi LMB) dans son for intérieur.

La menace de cet ennemi étranger mobilise les défenses psychiques et politiques personnelles et collectives, fait céder les droits, puisque la logique de suspicion établit la culpabilité avant la réalisation de la faute (Delmas-Marty et Wahnich). L’autorité comme figure de domination (au sens d’excès illégitime de domination) resurgit parée de maintes qualités en termes économiques, politiques, psychiques et moraux imprégnant les subjectivités comme autant de régulations indispensables au bien-être individuel et collectif.

Les cascades cognitives enferment le sujet dans l’appartenance numérique dans laquelle il s’est logé. La mêmeté et l’identité imposée l’emprisonnent, lui collent littéralement à la peau, sans qu’il puisse s’en détacher.

L’idéologie morale met son sceau sur le XXIème siècle. Cette cristallisation morale tous azimuts est le résultat de tensions de plus en plus fortes provoquées par l’extension de plus en plus grande des normes du marché capitaliste qui accentuent les inégalités et ne parviennent plus à les légitimer face à des expositions spectaculaires de richesses et de dénuement. Le marché apparait, aux yeux de tous, de plus en plus immoral, mais cette immoralité du marché n’appelle de ses voeux qu’une moralisation d’ensemble dont la traduction est l’émergence d’une véritable matrice morale avec une multiplication de marchandises morales.

L’appel à sauver le monde, les peuples, les autochtones, les SDF, les femmes, les réfugiés, etc. invoque la responsabilité individuelle et tire sa force de la culpabilité personnelle. Le monde s’humanitarise et les dons humanitaires soulagent la culpabilité.

Monique Selim aborde a question de l’idéologie morale dans les sexualités. La centralité des sexualités refoulent aux marges les rapports sociaux, économiques et politiques. Les femmes sont les grandes héroïnes de l’idéologie morale. Maintenant plus facile pour une diversité heureuse et jouissive des contraintes de la survie quotidienne. L’intersectionnalité importée des USA, fait triompher une vision de la société comme régie par les seules interactions personnelles. L’inter-activisme en sciences sociales, la banalisation des sexualités et la dénonciation de stigmates qui pèsent sur les groupes sociaux octroient une liberté inestimable dans une partie du monde. Dans le même moment, on observe avec la globalisation du genre, une re-substantialisation des identités sexuées qui fait penser l’orientation sexuelle comme quasiment innée et comme une marque d’être. La planète, le climat, la nature sont les grands projets de ce siècle, renvoient le politique aux placards de l’histoire et placent la morale au sommet des mobilisations citoyennes dans lesquelles les femmes occupent une place centrale; leur nature supposée faisant le trait d’union avec la nature idéalisée. L’humanité s’est inscrite en rupture avec le reste des vivants et aujourd’hui c’est cette rupture fondatrice, l’anti-spécisme qui est dissoute. Le spécisme réintégrant l’humanité dans le règne des espèces et des êtres animés et inanimés. L’indignation dynamise de nos jours le cosmopolitique, dès lors qu’il n’y aurait plus de choix hors du marché, éco-système des éco-systèmes. Dans un univers d’émotions morales démultiplié par l’illusion d’une communauté morale fondée sur des valeurs qui seraient partagées plus durablement que dans l’instant du temps réel numérique.

Les auteurs abordent la deuxième partie, présentée sous le titre : Une communauté globale morale. L’économie de marché globalisé a besoin d’une communauté morale globale, source de toute légitimité. Le capitalisme peut procurer une dignité fragilisée du côté de la morale, quand la financiarisation produit à grande échelle injustices et inégalités. L’action humanitaire contemporaine, le développement de la philanthropie et des fondations d’entreprises mutent le spectacle du malheur devenu le mal en théorie du bien. L’engagement bénévolant tous azimuts tend à rendre invisible la question sociale et à métamorphoser la solidarité en investissement moral, stratégique.

Le quatrième chapitre du livre, et premier chapitre de la deuxième partie s’intitule : Le blanchiment du capitalisme et est signé de Bernard Hours. On peut distinguer l’ethique et la vertu qui vont ensemble et représentent des exigences matérialisées à des valeurs culturelles, sociales ou religieuses, de la simple moralité qui n’est qu’un avatar dégradé de la morale en morale de la consommation ou consommation morale. Au centre de la moralité, on découvre plutôt qu’une exigence authentique, l’autogratification de soi ou le conformisme. L’émergence de marchandises morales globales se définit par leur double caractère moral et global. La double référence se fait, d’une part à une notion de bien, d’autre part à une validité étendue, globale, universelle, qui introduit le caractère exemplaire d’un modèle renforçant la dimension de bien moral. Ce modèle se prête à des échanges, à des flux de transactions comme les marchandises matérielles. Dans quelle mesure ce « bien » moral n’est-il pas un « bien » économique, est-il une marchandise ou un service doté d’une valeur morale ? La trilogie, droits de l‘homme, action humanitaire, démocratie est le noyau dur de l’idéologie occidentale anglo-saxonne qui inspire la globalisation. Au début du troisième millénaire, elle représente, avec le capitalisme et l’économie de marché, le projet civilisateur occidental.

Dans les années soixante, la contestation portait plus sur l’arbitraire de la domination et de l’oppression que sur des références systématiques aux droits, références communes. La lutte contre les formes soviétiques de l’action étatique a mis sur orbite les droits de l’homme comme corpus intangible moral et politique. Auparavant il s’’agissait de sujets opprimés dans des contextes de violences. Aujourd’hui, les droits de l‘homme rendent emblématique toute lutte qui devient un enjeu global, et délocalisé, puisque aucune instance localisée n’est en mesure d’en assurer l’application (ce qui l’assurerait en partie, ce serait, l’explicitation au sens de processus) et l’explication (au sens de produit) de ce que j’appelle les pivots de légitimation. C’est la signification et le sens de ces pivots de légitimation qu’il s’agit de produire quotidiennement dans le monde et de parvenir à institutionnaliser socialement et politiquement (au sens du politique). Au sens de la politique c’est déjà fait au moins en partie par les droits. Les droits humains ne sont pas seulement des droits renauralisés, ils sont positivement aussi une formulation plus accessible des droits de l’homme. Mais tout n’est pas et ne doit pas être du ressort des droits et du droit. Par exemple, dans le cas de la pandémie, la signification de la distance par rapport à la proximité, la signification du temps, de l’espace occupé, de le liberté individuelle et collective, de la fraternité matérielle entre les individus, demeure la même, partout et toujours. C’est le sens qui change selon les types de société et les sociétés elles-mêmes, voire selon les classes, les catégories sociales. J’ai fait un glossaire des pivots de légitimation qui sont nombreux, mais pas infinis. (LMB)

Tout se passe comme si les droits délocalisés et universels, étaient virtuellement mesurables à chaque instant, en temps réel, partout sur la surface de la planète. Effectivement l’application des droits n’est pas mesurable en temps réel, partout dans le monde. Ce qui l’est ce sont les pivots de légitimation qui sont les mêmes pour tous et toutes, partout dans le monde, mais jamais exprimés consciemment et verbalement par tous et toutes, pour tous et toutes. Du coup, quand il y a, par exemple, une pandémie, c’est la liste des mesures à prendre qui est donnée, à la queue leu leu, certainement, pour la plupart,nécessaires, mais personne ne les explicite et ne les explique verbalement et consciemment, quand il s’agit d’’individus et /ou de groupes. La signification de la distance par rapport à la proximité, celle du temps, de l’espace occupé, de la liberté individuelle et collective, du pouvoir, de la volonté, de l’obligation de soi-même par rapport à d’autres que soi-même et d’autres par rapport à soi-même sont pensés et pratiqués par des milliards d’individus, refusés, le plus souvent, implicitement à des degrés divers de délégitimation et d’illégitimation par rapport aux excès légitimes, par un nombre bien moindre d’individus sinon l’humanité serait morte depuis longtemps.

La nouveauté récente, datant d’à peine un siècle, c’est qu’un nombre important d’entre les hommes ne veulent plus du sacré. Celui-ci- s’arrange toujours, plus ou moins habilement, avec les pivots de légitimation. Là où il disparait, dans le meure où la nouveauté s’internationalise -on pourrait dire tend à se mondialiser- il n’y a pas trente-six choix. Le choix c’est soit le sacré en respectant l’internationalisation de la nouveauté, c’est-à dire la liberté de conscience. Si l’individu vit dans une société qui, politiquement, au deux sens du terme, ne veut plus, du sacré, il doit respecter, se plier à l’internationalisation de la nouveauté. Le deuxième choix, c’est vivre dans une société du sacré. La plupart de ces sociétés du sacré tentent de respecter l’internationalisation de la nouveauté. Le troisième choix ce sont les refus du sacré, refus internationalisés, et liberté de conscience onusialisée (l’ONU, etc.). Mais vivre la nouveauté, ce sont à la fois les refus du sacré, la liberté de conscience et la volonté d’expliciter et d’expliquer par des débats, et pas seulement dans les sciences sociales, les pivots de légitimation qui ont toujours existé, que, tous les êtres humains partout, depuis toujours, connaissent, ressentent et vivent, même s’ils en changent le sens. La Révolution américaine a refusé le sacré dans la politique. La révolution française a, en se servant de la philosophie des Lumières, du droit naturel et de Rousseau, fait apparaître et mis en évidence des pivots de légitimation, tout en les sacralisant, y compris la vengeance et la terreur, pivots négatifs de pivots positifs.

Mais un nouveau type de société est née de cette révolution. Il a fallu un siècle, le XIXème, pour que soit proclamée sous forme de loi la liberté de conscience.

La démocratie prend une dimension culturelle et morale, dans laquelle les choix sont opérés au nom de la lutte contre des systèmes et des globalisations, d’une histoire des systèmes et de valeurs culturelles à caractère non pas religieux, mais caricaturant le religieux. La principale difficulté est que cette caricature est une conviction partagée par au moins 50% de l’humanité. L’économie de marché capitaliste se présente comme la perfection unique des systèmes et du marché et considère tous les autres comme économiques, grâce à la globalisation.

Au siècle dernier, les vertus économiques pouvaient passer pour une rétribution en retour sur investissement vertueux, plus exactement comme gage que l’on appartient peut-être à la cohorte de ceux et celles sauvé(e)s de toute éternité.  Cette prise d’otages des vertus religieuses et morales correspond à une nécessité, celle de reblanchir le capitalisme, de lui donner un don moral et sublime. Elle a perdu une large  part de son contenu politique.

L’action humanitaire, aujourd’hui, constitue une solution de substitution confome à l’affailissement des messages religieux sur le salut. La démocratie a perdu une large part de son contenu politique au profit d’une moralisation capitaliste apte à favoriser la libre concurrence sans trop d’entraves, au risque de limiter la protection des citoyens les plus vulnérables. La société civile, les organisations nationales et internationales tolèrent les dictateurs tant que ceux-ci ont la courtoisie d’entonner les rhétoriques néolibérales sur l’économie de marché et la société civile intervient comme entité située entre l’Etat, la population le marché qui est un acteur politique, mais qui ne peut pas le dire, puisqu’il est désancré du social. Il fonctionne au dogme pseudo-religieux. L’enjeu de la concurrence ne peut être séparée de l’expression de la population sans laquelle l’autorité abusive remplace le contrat social.

La démocratie, avec son enjeu premier, la société civile, constitue une marchandise qui doit êt adoptée et consommée sans modération. Il s’agit d’une marchandise morale. Démocratie et société civile sont engagés pour répandre la bonne parole et donner du pouvoir à la société. ll ne s’agit pas de critiquer la liberté d’’expression, mais de désigner la réédification que la machination qui frappent les notions de démocratie et d’aide à la société civile. Dans les sociétés médiatiques, la liberté peut devenir une marchandise, un mal absolule, derrière le mot , en conservant des pratiques pseudo transparentes, mises en scènes systématiques qui trompent l’opinion. La démocratie devient parfaite, comme la concurrence.