Bernard Hours, Quel sujet pour quelle démocratie au XXI° siècle , Paris, L’Harmattan, 2018.


Recension par Louis Moreau de Bellaing

Bernard Hours, Quel sujet pour quelle démocratie au XXI° siècle , Paris, L’Harmattan, 2018.

La question posée est à la fois celle d’une nouvelle démocratie à fonder, à inventer et celle d’un sujet contemporain qui pourrait correspondre à cette nouvelle démocratie. C’est-à-dire d’un modèle qui, à partir de cette démocratie et de ce sujet à fonder, à inventer n’a, de fait, jamais existé, puisque, jusqu’à ce jour, toutes les démocraties ont été oligarchiques, y compris la démocratie athénienne qui dura soixante-dix ans et la république romain qui dura cinq siècles. Il s’agit donc bien d’une fondation, d’une invention à partir d’un modèle qui, dans les types de société d’avant la société moderne, ne pouvait qu’être imparfait.

Le problème posé par l’auteur est principalement celui du sujet politique (aux deux sens du terme politique : le politique et la politique). Nul ne sait en quoi, si elle échappe structurellement à la domination illimitée, la démocratie nouvelle à fonder pourrait se transformer.

Dans son introduction, l’auteur présente une synthèse actuelle du sujet tel qu’il existe dans la démocratie oligarchique : sujet entrepreneur fabriquant des marchandises matérielles, immatérielles, morales, religieuses ; sujet consommateur de ces mêmes marchandises ; sujet d’un environnement dont le statut pose question ; sujet numérique « partagé entre la solitude de l’enfermement algorithmique et l’ivresse de la communauté ».

L’auteur étudie principalement les altérations, modifications, tensions que subit le remodèle démocratique hérité de la révolution française et des Lumières.. On peut y noter l’influence de Benjamin Constant et se Madame de Staël. Il a une première application, au XIX°; siècle dans les républiques latino-américaines nées de la lutte de Bolivar contre la colonisation espagnole. Avant de trouver sa seconde application en France avec la III° République, à partir de 1870.

Le social-démocratique, celui d’une démocratie oligarchique, est aujourd’hui fragilisé par la communication numérique, les revendications populistes, le terrorisme, l‘inquiétude environnementale. L’évolution du sujet politique et social a été ponctuée d’événements majeurs : la fin de l‘URSS, l’attaque du II Septembre 2001, la crise de 2008. Les inégalités économiques se manifestent par un rejet du statut et de l’emploi, par des politiques fiscales non re-distributives, par une emprise du marché sur les Etats endettés, afin de les soumettre.

« Le monde actuel (est) orphelin, dit Bernard Hours, d’une idée d’intérêt général » Elle avait servi d’abord à assurer la souveraineté des Etats monarchiques et, à partir de la Révolution et depuis les Lumières du XVIII° siècle, servait de fondement à l’aspiration démocratique.

Successivement, l’auteur analyse le sujet et le,projet du marché hégémonique et de l’entreprise dans le libéralisme économique à son zénith, le sujet numérique,, les supposées dérives du sujet politique contemporain : le populisme et le terrorisme, le sujet humain dans l’environnement et son statut nouveau d’exemplaire de l’espèce humaine dans la biodiversité.. Enfin l’auteur analyse « la nature de la démocratie réelle, pensable aujourd’hui, face aux sujets précédemment évoqués, « en quête de repères, en manque d’une sécurité que ne lui procure plus l’’Etat, ni le marché, ni la société civile, ni l’environnement, ni les liens numériques ».

Dans le chapitre «Marché hégémonique et entreprises vertueuses », Bernard Hours n’insiste pas tant sur le marché hégémonique que sur l’entreprise productrice de sens pour les hommes et les femmes d’aujourd’hui. Mais, dans les deux cas, la production de sens est en quelque sorte accrochée à des modèles pseudo-religieux à prétention dogmatique qui font du marché un espace apparemment philanthropique et une source d’investissement de valeurs morales, sinon de repères incontournables. « La question sociale est désormais sous la tutelle des contraintes économiques et de la concurrence internationale »..L‘entreprise se prend pour la société. Les citoyens sont avant tout des consommateurs, la citoyenneté est de moins en moins politique ».. « C’est le corps qui constitue le temple de la consommation »

Le deuxième chapitre « Le sujet numérique, entre liberté et camisole », est un peu au coeur de ce qu’il y a aujourd’hui à démontrer sur le sujet démocratique. Ce que Hours voit bien c’est la contradiction flagrante, à l’intérieur de la pratique du numérique par le sujet social et politique, entre la facilité que lui donne le numérique de communiquer avec autrui, la possibilité de recevoir de lui tout ce qu’il est possible d’en recevoir, et, simultanément le double enfermement que suppose la position du sujet assis devant son ordinateur, mais soumis, même s’ill choisit, à un flux d’ informations, de données (data) qui, dès qu’il choisit, vont s’étaler devant lui. Soumis également à ce que l’auteur appelle si bien « une marchandisation collaborative », autrement dit à l’offre de marchandises collaboratives, telles l’aide à ceci ou à cela ou la demande de ceci et de cela, finalement cher payées en temps, en énergie, en investissement psychique, sans que pour autant elles contribuent à changer la vie. Hours construit son argumentation autour de plusieurs pivots : d’abord, ce qu’il appelle » l’OPA numérique ».  Entre moi et l’autre, la limite est brouillée dans un magma avec des présents absents qui fragilisent les repère identitaires du sujet psychique, « dont le moi marchandisé produit de brefs enthousiasmes, aussi bien que l’expérience d’une solitude numérique spécifique et destructrice. » (J’ai un peu transformé la phrase de l’auteur pour la raccourcir). Le deuxième pivot de l’argumentation c’est le rapport entre la maturation technologique et ce qu’un auteur Bernard Stiegler appelle la disruption. Celle-ci se définit comme ce qui va plus vite que toute volonté individuelle ou collective. Elle est une conséquence des mutations technologiques et de l’accélération de l’innovation. Ce processus bloque la socialisation. Les légitimités réfléchies ne tiennent ni temps, ni place dans la disruption. On peut écrire des volumes sur la légitimation et la légitimité. Ils auront du mal à être lu, dans un espace et un temps où la disruption règne. Raison de plus pour en parler. Pour de nombreux individus,, le futur est vécu comme une menace et non comme une promesse. Les formules incantatoires du développement durable ne mobilisent personne. Elles masquent l’absence d’un projet politique (au deux sens du terme politique) et entretiennent l’illusion d’un progrès. Troisième pilier de l’argumentation : les réseaux et espaces publics ; on pourrait penser que, dans leur forme numérique, ils sont positifs, accentuant la communication, les rapports entre les êtres humains. En réalité, un réseau est un outil technique numérique, industriel et financier, aux mains de grandes entreprises du secteur. Il n’est pas un espace public. Internet est un champ de flux d’énergie, sans le caractère structuré et pérenne de l’espace public. Les internautes sont enfermés dans des micro-communautés d’opinions uniques souvent fondées sur des mensonges et des erreurs factuelles. Quatrième pilier : le sujet digital comme bulle. L’internaute est convoqué dans une cage qu’il a lui-même créée

Le filtrage algorithmique c’est-à-d-ire des informations sélectionnées en fonction de ce qu’est l’internaute produit un sujet traqué, il est bombardé d’informations qui sont à mille lieux d’une connaissance réfléchie. créant ainsi des bulles solipsistes où chacun est enfermé avec lui-même. Dans la bulle, il n’y a pas de vérités,, mais seulement des convictions même quand elles sont absurdes. L’ espace démocratique devient un cirque émotionnel. Le sujet et l’autre sont les grands absents dans ce processus, l’autre ne peut être que rejet, diversité écartée.

Cinquième pilier de l’argumentation : l’information (big data) et les algorithmes; Je suis, nous sommes, chacun, fabricateurs d’algorithmes; Une recette de cuisine est un algorithme, c’est-à-dire un ensemble bricolé et visant à un certain but : en l’occurence bien manger. . Mais lorsqu’ils sont truqués, ils filtrent, au profit des entreprises, les désirs et les opinions des internautes. C’est l’excès illégitime de la communication qui apparait, dans la mesure où la transmission risque, précisément, au nom du profit, de nuire à la personne et à la soi-disant micro-communauté. Sixième et septième pilier argumentaire : la surveillance et le problème du passage de la coopération au travail forcé. Faute de place, je ne peux insister sur ces deux points mieux connus : surveillance par les Etats, pour qu’ils s’emparent, à des fins plus ou moins opaques, de données personnelles, surveillance des entreprises qui cherchent à connaître les goûts des consommateurs individuellement et en groupes. Enfin. surveillance qui attente à la liberté des individu(e)s. De la coopération possible par Internet, par exemple entre Benard (Hours) et moi, par cette recension que je rédige sur son livre, on passe trop souvent au travail forcé qui migre sur le temps de repos et de loisir. Le cadre emporte chez lui son ordinateur, pour achever la besogne du jour imposée par son employeur. Vie publique professionnelle et vie privée ont tendance, bien souvent, par le biais du numérique, à se confondre.

Bernard Hours intitule son troisième chapitre « Dissidences politiques, terrorisme, populisme ».Il part du terrorisme actuel pour aborder les dissidences politiques. L’idée que le terrorisme soit islamiste par définition lui apparaît, comme à moi, largement fausse. Les djihadistes viennent le plus souvent du territoire européen et marquent, non une foi nouvelle, fanatique, en l’islam mais – y compris pour des Français et Françaises de souche – un désespoir face au vide politique, aux deux sens du terme politique, le politique et la politique. Que la religion, par la conversion, y fasse fonction de bouche-trou, comme le montre Feti Benslama, on ne peut guère en douter. Et le fanatisme, la violence aveugle vont avec dans la mesure de la détresse des individus et des petits groupes touchés par la misère ou, dans les classes moyennes, par le désarroi face à l’effritement de tout repère politique au sens du politique. Hours constate un recul de l’Etat et de la manière de le reconnaître. Selon moi, l’Etat, c’est-à-dire l’exécutif et le législatif sont mis en cause, dépolitisés et économicisés, mais l’est plus encore la politique dans son ensemble avec le détachement vis à vis de ses institutions principales (Conseil constitutionnel, Assemblée et Sénat, Présidence de la République, Premier ministre et ministres) des populations dominées. . 

« Le populisme apparait là où la démocratie politique ou ce qui en tient lieu fonctionne mal et ne satisfait pas les citoyens » dit Hours Le marché n’a pas apporté la démocratie, mais l’a dévitalisée. Dans des pays qui ont connu une longue liberté politique, « l’usure est là et la crise se pointe », car la liberté « ne fut pas équitablement partagée ni ses bénéfices « .Le populisme penche du côté d’une politique rédemptrice. celle d’’une foi pour laquelle les institutions, la légalité, la légitimité sont superflues. Par iInternet, des individus en mal d’appartenance déversent leur ressentiment sur le société, « jusqu’à faire naître des tireurs fous désormais contagieux ». L’appel à une communauté fusionnelle conteste la globalisation libérale économique oligarchique et tente d’y substituer une poussée anti-démocratique inquiétante.

Le quatrième chapitre, intitulé « Quelle démocratie ? »pose, à travers une citation de Laclau (dont la veuve, Chantal Mouffe, tente de théoriser ce qu’on appelle le populisme), le problème de ce qu’il nomme « la contingence des fondements de la démocratie. ». Laclau place devant un universel vide les désaccords, les débats dont la démocratie est le lieu et qui voudraient s’affirmer eux-mêmes comme universels. La question, pour moi et il me semble pour Bernard Hours, c’est qu’à évoquer l’universel, on perd de vue le commun, beaucoup plus accessible, c’est-à-dire ce qui à la fois nous sépare et nous unit. Il n’est surtout pas à confondre avec le fameux « vivre ensemble », puisque aucune société n’a vu tous ses membres vivre ensemble. En revanche, quel que soit son type, elle les a vu, ainsi que ses groupes, vivre plus ou moins en commun; Mais cette idée de commun n’est pas elle-même à réifier. Plutôt que de contingence des fondements de la démocratie, on pourrait parler de leur indétermination. Ils n’en existent pas moins. Tout comme, pour tous les êtres humains où qu’ils soient et quelle que soit l’époque, il existe des repères- limite qui peuvent changer de forme, de contenu culturel, politique (au sens du politique), sociaux, dont l’indétermination ne peut être niée, mais qui ,néanmoins, ont joué leur fonction de repérage et de limite, sinon il n’y aurait plus depuis longtemps d’êtres humains sur la terre. Ce que l’auteur montre bien aussi c’est comment, dans un régime politique, la démocratie, qui n’a jamais existé que sous une forme oligarchique, les êtres humains produisent des excès illégitimes lorsqu’ils négligent les repères-limite – la liberté la justice, l’autorité, le don pour recevoir, celui pour recevoir et rendre (don pour l’échange). Ce qu’il montre bien aussi, c’est que ce régime politique, est subverti, dégradé par l’implication du marché non seulement dans le politique, mais dans la politique. Hours dit que le marché doit être mis hors de la société civile. Je pense qu’il veut dire que, tout comme la religion, il doit être mis hors du politique et de la politique. C’est le mixte « le marché/le politique/la politique » qui, désormais quasiment globalement, envahit les domaines qui devraient lui être e interdits et fausse le jeu démocratique oligarchique. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura plus d’entreprises ni de marché régulé, mais que c’est le politique qui, peu à peu, doit commander, à distance, le dispositif du marché et se soumettre le marché capitaliste. Le fait que des entreprise prétendent enrichir le pays ou elles se créent, alors qu’elles enrichissent d’abord et avant tout, leurs dirigeants, leurs actionnaires et ceux et celles dont elles ont besoin comme appui technique et « politique » est l’un des phénomènes qui dévaste ,depuis deux siècles, la société moderne. `

Hours aborde la question du sujet politique et social par des questions : Quel sujet ? Sujet de quoi ? Il cite Honneth : «  La réalisation de soi, les aspirations normatives sont désormais tellement intégrées dans le « profil » institutionnalisé sur lequel se fonde la reproduction sociale qu’elles ont perdu leur finalité interne et sont devenues principes de légitimation du système ». Ce que Hours appelle la « démocratie post-lumières » et que j’appelle la démocratie oligarchique, quelle qu’aient pu être au XIX° siècle et au début du XX° les révolutions qui ont tenté de la faire advenir, n’ont pas changé son lien avec le marché, au point qu’aujourd’hui le néo-libéralisme économique se présente comme la « psychologie » commune. Tout ce que l’auteur dit du soin (le care), en omettant de parler du droit au soin, peut-être parce que précisément, comme il le montre, le soin est conçu philanthropiquement comme une « aide » , un « secours » etc, mais jamais comme un droit au soin quand on est malade ou handicapé, ou misérable, vient témoigner de l’empire du marché capitaliste et non de l’institutionnalisation légitime matérielle et économique, de la médecine, de l’hôpital, du Service social, de la recherche scientifique notamment en chimie et en biologie, pour faire advenir réellement le droit au soin. On en est, du côté des Etats économicisés, à réclamer des hôpitaux et des services publics rentables. « C’est une notion anti-politique du managment social, dit l’auteur, qui laisse croire que lkes tensions, les conflits et les contradictions (à propos du care) résultent d’une absence d’attention et d’écoute ». Et il note à mon avis fort justement : « Dès lors que les logiques économiques envahissent le champ de la protection sociale,celle-ci ne peut que se réduire comme une peau de chagrin sauf à envisager un revenu universel qui se profile à l’horizon plus comme nécessité que comme utopie ». J’ajouterai que, si le revenu universel n’est qu’un palliatif, cela voudra dire que, le politique et la oolithique s’implique à ce point à l’économique que ce revenu universel (commun- peut y perdra complètement son sens, sa signification et son efficacité. Car ces dernières supposent  que   ce revenu se présente comme une refondation sociale devenue urgente. Quant à l’action humanitaire, les ONG, les entreprises sociales, au XXI° siècle – à mon avis, déjà, quelque peu, au XX° – produisent des marchandises morales.

Or ces marchandises morales ne peuvent apparaître, selon Hours, que parce que « l’idéologie des droits de l’homme a envahi la scène politico-médiatique depuis tente ans, modifiant la nature du sujet politique ». Le débat entre Hours et moi sur les droits ne date pas d’nier. Gauchet avait repéré, le premier, dans des textes déjà anciens, le risque que faisait courir à nos sociétés et à celles à qui les Etats-Unis imposent les droits, le droit de l’hommisme. Mais, à le relire, Gauchet est fort prudent. « A se fixer sur les droits de l’homme,, on a perdu de vue les fins qu’ils sont « supposés servir » et cela a provoqué une énorme faille entre la démultiplication des moyens de l’autonomie et la capacité de leur donner une forme politique  ». Hours abonde – un peu trop – en ce sens et cite de nouveau Gauchet : »L’idée démocratique, par répulsion envers la verticalité d’un guidage de surplomb, en vient à se confondre avec l’idée d’une société politique de marché ». Et Hours ajoute : « Entre les revendications consensuelles atomisées et l’hallucination consensuelle numérique, le sujet politique de la démocratie n’a pas de statut, ni de place. ». SI ce que disent Hours et Gaucher était vrai, il n’y aurait plus ni Gauchet ni Hours pour l’écrire. S’ils n’avaient pas le droit à l’expression et à l’ expression libre, ou ils n’auraient rien écrit – ce qui est peu probable -, ou ils auraient été l’un et l’autre censurés. Que, comme le dit Hours, la société tende à se réduire à une communauté morale de soins, de non discriminations, d’inclusion plus ou moins réussie, je n’en disconviens pas. Si le type de protestation légitime contre le silence sur des droits minimaux assurant une vie vivable mobilise temporairement – c’est le cas, aujourd’hui, pour les cheminots -, il ne crée pas une scène, démocratique structurée et durable où s’exprimerait un sujet politique, un citoyen démocratique, scène démocratique apte à produire une coordination, une articulation entre les particularismes présents dans la société et revendiqués comme droits à ou droit de. Qui plus est, l’idée de participation à un débat démocratique est remplacée par celle de partie prenante à une bonne gouvernance. Karl Polanyi insistait, lui, sur la nécessité de réguler trois marchandises fictives : le travail, le capital et l’environnement.

Sur les droits de l’homme, dits aujourd’hui, droits humains, je dirai seulement ceci qui ne va pas à l’encontre de ce que disent Hours et Gauchet montrant surtout ce qu’on en a fait : ils sont le texte fondateur de la société moderne, ils récusent, dès leur préambule, la création divine et font valoir la création humaine.

Ils n’ont aucune signification aucun sens s’ils ne prennent pas l’une et l’autre en deçà d’eux-mêmes, dans des fondements pas seulement démocratiques – car la démocratie oligarchique et même non oligarchique est ou serait un phénomène historique transitoire qui peut ou pourrait se transformer, s’améliorer -, mais dans les repères-limite de la condition humaine. Les trois déclaration sont certes à amender, à préciser, à compléter. Celle de l’ONU sur les droits dits sociaux est mal formulée et souvent imprécise. La réification des droits par juridification excessive est dommageable à leur fonction de référents. Le Conseil constitutionnel français dit seulement qu’il s’inspire des droits de l’homme. Mais il ne s’inspire guère de l ‘en deçà des droits, c’est-à-dire des repères limite qui assurent à minima la légitimation politique (au sens du politique) et sociale.

Hours dit que que la démocratie est à refondre et à reconstruire. je dirai plutôt, sans le contredire qu’elle est à fonder et à construire, puisqu’elle ne’a jamais été réellement démocratie et que c’est ce que certains d’entre nous, à tous les niveaux des sociétés, sont en train de faire. Pour moi, un homme qui se bat en justice pour son honneur et pour la sauvegarde de la vie présente et future de son enfant se bat, aujourd’hui, pour la démocratie, pour les droits et pour la légitimation et la légitimité sociales et politiques. Une autre qui se bat pour que son enfant malade soit aussi heureux que possible se bat pour la même cause.

Anne Querrien a sans doute raison de dire que les filles qui crient : Balance ton porc ne sont pas des cas à analyser pour savoir si elles sont dans le légitime ou dans l’excès. Elles sont à comprendre d’abord comme des êtres humains qui vivent l’absolue détresse du refus de l’autre à les considérer comme leur autre, qui subissent la jouissance de l’autre à les traiter comme des déchets.

Le savoir partagé sur Internet présente, dit Hours, un attrait majeur et constitue une alternative séduisante )au capitalisme d’appropriation et de concurrence. Mais l’internet sans marché n’est pas pour demain. Le gagnant rafle tout comme au casino. « Dans un tel contexte, les perpectives d’une sortie démocratique par le haut demeurent hautement problématique ».

Enfin Hours rappelle, tout, comme moi en bon matérialiste, que les sociétés et leurs membres sont autant naturelles que politiques (même s’il ne faut pas, comme le dit Douville, naturaliser le symbolique). Leurs mois sont à la fois de exemplaires de l’espèce humaine, des citoyens politiques et des sujets politiques (au sens du politique) et sociaux. Pour moi, l’utopie vitale dont parle Hours est déjà là, en filigrane : un univers de braves bêtes humaines d’où peut surgir les ferments d’une re-politisation fondée sur la gestion des biens communs dans la maison commune (la Terre, la planète), car chez ces braves bêtes humaines (dont je fais déjà volontairement partie) ,le désir politique et (‘est moi qui met ce »et ») celui du débat démocratique ne meurent pas. Cet univers, après mutation, n’es-il pas compatible avec un usage

transparent des outils numériques?  « Communisme des communs dont la nature serait le capital et l’humanité l’élue. ».

De la conclusion qu’il donne à son livre et qui constitue une synthèse des idées qu’il a développées, je retiens trois points : ce qui est dit sur la liberté, sur la nature et l’écologie, enfin ce qui n’est plus dit – ou pas de la même manière -, dans la conclusion, de la « brave bête humaine «  d’où peut émerger, appuyée sur des repères limites communs à tous les êtres humains, une démocratie qui ne soit plus ou beaucoup moins oligarchique. Sur le liberté, l’auteur a raison de dire qu’elle peut être un puissant instrument de domination; Mais elle ne l’est que lorsqu’elle passe à l’excès. Dans le quotidien, la liberté que j’ai, que nous avons de nous mouvoir, de parler librement, d’échanger entre nous etc. est un minimum non pas éthique, ni moral, mais politique (au sens du politique) dont en commun ou/et individuellement, nous ne pouvons nous priver complètement et dont on ne peut nous priver complètement. L’absolu actuel de cette privation est le prisonnier placé sous haute surveillance, seul dans une cellule, pendant des années, dans les établissements pénitentiaires. Ce traitement du prisonnier en haute sécurité constitue un excès illégitime, fondé sur le manque quasi absolu de liberté et qui transgresse, non le droit pénal qui l’autorise, mais les pivots de la légitimation et de la légitimité sociales et politiques.. Pour ce qui relève de la nature et de l’écologie et des soi-disants droits de ou droits à que l’on colle dessus, il ne faut pas oublier que ce n’est pas le fleuve, la cascade , le rivage, ou l’océan et ses profondeurs qui ont des droits. Ce sont des êtres humains qui se donnent des droits à ou des droits de sur ces éléments naturels et écologiques. Le problème posé est qu’à en abuser, ils les détruisent. L’éco-féminisme comme nouvelle perspective aidera peut-être à mieux penser ce problème demeuré depuis toujours sous l’égide du masculin. Enfin, pour en revenir aux « braves bêtes humaines « en troupeaux que nous sommes (au moins en partie, c’est à dire pour la part de nous-même qui, pour vivre physiquement, doit se soumettre plus ou moins, à un ordre imposé sur lequel elle n’a aucune possibilité de décision et d‘’action), tout se passe, dans la conclusion, comme si l’auteur les oubliait alors que lui et moi et d’autres se réclament a minima de ce statut (qui nous évite d’être de purs salauds, comme le disait Sartre). L’espoir c’est que nos descendants reprennent le flambeau et continuent ce que nous avons entrepris. Le beau livre de Bernard Hours est un jalon sur le chemin.