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Sous la direction de Mélanie Gourarier et Séverine Mathieu, Parentés contemporaines, Journal des Anthropologues, 144-145, 2016
Recension par Louis Moreau de Bellaing
Sous la direction de Mélanie Gourarier et Séverine Mathieu, Parentés contemporaines, Journal des Anthropologues, 144-145, 2016
Avant même d’aborder le problème que ce numéro s’est donné à débattre, il paraît important de rappeler, à suivre Judith Hayem, présidente de l’Association Française des Anthropologues, dans son éditorial, que les revues de sciences sociales, et le Journal des Anthropologues ne fait pas exception, sont menacées de disparition par une nouvelle loi. Malgré la numérisation des revues, leur archivage enfin accompli, malgré les possibilités financières qu’offre cette numérisation, la loi s’acharne à réduire les revues de sciences sociales à un manque de ressources qui risque de les détruire. Tous et toutes, nous avons à lutter, en sciences sociales, pour que soit maintenu, aussi bien en anthropologie qu’en histoire, en philosophie, en sociologie ou en droit, l’ouverture indispensable à une pensée du présent pour que soit assuré l’avenir.
« Les manières de faire de la parenté sont-elles vraiment une singularité contemporaine ? Si tel est le cas, comment en rendre compte avec les outils de l’anthropologie ? », telles sont les questions que se posent, dès le début, les coordinatrices du numéro Parentés contemporaines, Mélanie Gourarier et Séverine Mathieu. Comme elles le disent fort bien, y répondre suppose une analyse comparative. Effectuée dans divers pays, elle commence à rendre compte, non seulement des formes diverses de la parenté dans l’actualité contemporaines, des innovations que lui apportent les nouvelles technologies médicales, mais des polémiques importantes qu’elles suscitent, sans pour autant présupposer que s’est produite une réelle rupture dans l’ordre de la parenté..
Enric Porquerès Gené, en exorde, pose la question du rapport entre parenté et bio-technologies. Porquerès pense que « l’entrée comme utilisateur légitime dans le langage est la condition sine qua non pour toute expérience humaine, a fortiori donc pour celle de la parenté ». L’auteur emprunte ses exemples et ses appuis aussi bien à des terrains français qu’à ceux que les Etats-Unis lui donnent ou encore à l’Australie et à l’Afrique de l’Ouest. Il nous semble qu’il touche à l’essentiel (un essentiel de la parenté) quand il nous dit : « Tel que les prohibitions de l’inceste le signalent, l’Ego de la parenté inscrit sa relationnalité dans un corps qui est lieu de relations constituantes. Cependant, pour qu’il puisse habiter le système de parenté, cet Ego doit être aussi accueilli en tant que futur « je » du langage ». Voilà ce que, notamment, la post-modernité oublie.
L’article de Jérôme Courduriès s’inscrit dans la perspective qu’ouvre celui d’Enric Porqueres I Gené et en précise, sur le terrain, les composantes. Ce que Courduries montre avec acuité – et qui échappait à notre vieil esprit de lecteur trop catégorisant -, c’est que la gestation pour autrui – interdite en France- institue de la parenté . L’aspect commercial, dans la pensée tout faite, a prévalu sur toute autre considération, bannissant, au nom du naturel, de la production naturelle (mot souligné par l’auteur et doublement souligné par nous) le fait qu’à la mère porteuse est confiée la charge de « faire » l’enfant . Celui-ci peut-être conçu à partir du spermatozoïde et de l’ovocyte des parents, mais pourquoi pas, aussi à partir du spermatozoïde d’un des parents homogame et de l’ovocyte de la mère porteuse dans le cas d’un couple gay ou d’un ovocyte d’un des parents homogame et d’un spermatozoïde d’un inconnu qui, en France, le resterait puisque le CEGOS refuse la divulgation de l’origine du spermatozoïde. Ce problème, du côté de l’inconnu pose une question relativement facile à résoudre : il suffit que l’inconnu devienne connu suffisamment pour que l’enfant sache plus tard son origine. Le vrai problème que pose Courduriès , c’est celui du rapport d’échange. Il mène les couples hétérogames ou monogames/hommes ou monogames/femmes au subjectif, à l’essentiel, autrement dit à ce qui se passe entre la mère porteuse et les parents hétérogames ou monogames/hommes ou monogames/femmes et leurs enfants. C’est le problème de l’insertion de l’enfant dans une filiation, une généalogie. qui en fait, comme tout enfant, un être humain social et politique (au sens du politique). Certes, comme il est dit, mieux vaut que la mère porteuse ne soit pas trop loin, aux Etats-Unis par exemple plutôt qu’en Inde. Rarement, L’état civil accepte d’inscrire sur ses registres l’enfant né d’une mère porteuse, ce qui, à notre avis, contrevient gravement, en entérinant une erreur civique, à l’un des repères-limites du politique en toute société, celui de la transmission. Intuitivement , c’est, selon nous, ce que Porqueres I Gené et Courduriès – et, pour cette fois, ce sont des hommes – ont su comprendre.
« Le christianisme a accompagné et parfois suscité les mutations de la culture familiale occidentale » dit Sarah Scholl dans l’article qui suit, déclaration corroborée par Mélanie Gourarier et Séverine Mathieu. Il serait difficile, ici, faute de place, d’entrer dans un long débat sur ce point.
Ce que Sarah Scholl met bien en évidence, c’est la pénétration très profonde du modèle familial chrétien, toujours hétérosexuel comme on dit, avec le père, la mère, la fratrie, le pouvoir du père sur les enfants, la soumission de la mère au père-mari. La classe bourgeoise, reprend, dès le XV° siècle, à son compte ce modèle chrétien, tout en l’aménageant au moins autant que faire se peut : la famille souhaitée c’est un aîné pour hériter du patrimoine, un cadet pour remplacer l’aîné s’il meurt , et une fille pour accroître, si possible, la richesse familiale. La marque religieuse c’est aussi l’influence des congrégations catholiques et protestantes sur les vocations au célibat. Mais , quant à nous, nous pensons qu ‘une rupture se dessine – que les deux articles précédents esquissent – entre un modèle familial inspiré des sacrés et des religions hors monde humain et celui dans les sociétés modernes fondées sur des repères-limites que les religions et les sacrés encastrent en elles, mais avec des contradictions telles , notamment du point de vue de la transmission, de la liberté de transmettre, qu’on peut se demander aujourd’hui si elles ne font pas le jeu d’un excès abusif global de domination sociale et politique. Simple suggestion pour nu droit familial possible..Disons que l’excès abusif de domination bourgeoise accolé à l’excès abusif de domination familialiste ou congrégationiste est, pour certains groupes familiaux du XX° siècle, meurtrier.
Reprenant le problème de la sexualité et de la conception assistée, Noémie Merleau-Ponty propose une comparaison entre l’Inde et la France Elle analyse tout particulièrement, dans ces deux pays, trois formes de la sexualité.: l’inceste possible, le recueil de sperme et l’infertilité. sexuelle pour les couples hétérogames. En conclusion, il apparaît que, en Inde, les biotechnologies sont maniées comme des outils au service d’une négociation pratique et secrète des normes . En France, elles sont fortement régulées par la loi, pour se conformer à un modèle corporel et sexuel précis.
Mérylis Darius et Jean-Hugues Déchaux abordent le problème des familles homoparentales féminines en France, en intitulant leur article : « Les deux mères ». D’abord on peut faire remarquer qu’en tout état de cause , dans le cas de familles homoparentales féminines, se pose, comme dans les autres cas, le problème de la transmission qui est l’un des repères-limites à interroger dans la condition humaine. Mais l’intérêt de l’article nous semble être dans le fait que la famille homoparentale féminine fait l’objet, plus que dans d’autres cas, d’une réflexion préalable sur la double maternité, sur le choix du nom, enfin sur le relation future de l’enfant à un père qui, en France, est connu s’il est choisi par les deux mères, inconnu s’il est fait recours au CEGOS dont les dons de sperme sont anonymes et gratuits. Les auteurs font valoir que rien ne s’oppose à une information donnée aux mères et à l’enfant sur la fonction grandissante de la « mutualité d’existence ».
Marta Roca i Escoda présente une réflexion sur la procréation partagée des couples lesbiens en Catalogne. La dissociation sexualité/procréation qui peut apparaître dans les cas de Procréation Médicale Assistée(PMA), y compris dans la Gestation Par Autrui (GPA), trouve ici une réassociation au niveau de la filiation dans la mesure où l’une des mères fait un don d’ovocyte à l’autre. C’est, en Espagne, ce qu‘on appelle la ROPA. Le don de spermatozoïde peut demeurer anonyme ou être demandé par les deux mères à un partenaire masculin. Le renforcement biologique du côté des mères confirme leur volonté de constituer un couple et de « faire famille ». Cette volonté ne peut exclure le tiers nécessaire qui, inconnu, peut poser problème à l’enfant, mais qui, demandé à un partenaire masculin par le couple maternel, permet à l’enfant de connaître entièrement sa filiation. Là encore, c’est bien le problème de la transmission et de la « mutualité d’existence » qui prend de nouvelles formes dans la modernité, sans, pour autant, mettre radicalement en cause la parenté ni la transmission comme repère-limite de la condition humaine.
L’article suivant pose le problème de la paternité à travers les conflits qu’elle peut engendrer. Béatrice Bertho étudie ces conflits au Burkina-Fasso, en donnant comme titre à son article un adage local : »Le sang ne ment pas ». La société mossi est une société patrilinéaire dans laquelle la filiation se fait par le père, celui-ci devant être obligatoirement connu de la mère et des enfants. Or, avec le développement des unions hors mariage, au Burkina-Fasso comme ailleurs, des enfants mossi naissent de père inconnu. Devant la multiplication des cas, le ministère de l’Action sociale a pris en charge la question. Bien sûr, l’enquête sociale sur le père présupposé est poursuivie, mais , en cas d’ambiguïté, c’est la « voix du sang » qui est censée donner la solution par des tests sanguins. Or, comme le fait remarquer l’auteure, le mythe ou fantasme de la « voix du sang » n’est pas propre à la société mossi. Le problème est que, contrairement aux tests sur l’ADN, il ne donne aucune preuve. A l’heure actuelle, les mères d’enfant de père inconnu n’ont guère recours aux tests sanguins. Mais l’auteure se demande comment une métaphore comme la « voix du sang », si les techniques se démocratisent, parviendra, en société mossi, à donner la preuve de la paternité. Le problème est aussi celui de l’enfant qui, s’il cesse de croire à la métaphore, devra s’affronter, même s’il a un père légal, au problème du tiers manquant.
Ce numéro sur les parentés contemporaines s’achève, en ce qui concerne le thème, sur la question de la résidence alternée. qu’étudie Benoît Hachet. Dans les sociétés patrilinéaires et dans les sociétés matrilinéaires, le problème ne se pose pas. En cas de séparation du couple, l’enfant est attribué au lignage prépondérant.
Mais dans les sociétés modernes contemporaines, c’est le rôle du père et celui de la mère qui posent aujourd’hui problème. On peut dire qu’en France, jusqu’aux années 2000, la résidence alternée pour les jeunes enfants n’était guère admise, ni par l’opinion publique en général, ni par les tribunaux. L’infans, voire l’enfant encore jeune, était automatiquement attribué, pour des raisons dites de stabilité et de sécurité, à la mère., comme si cela faisait partie de son travail domestique. C’est cette dissociation genrée, essentialisée, mère/père, qui est mise en question. dans la co-parentalité. La résidence alternée devient possible, elle l’était juridiquement depuis 1987, les tribunaux tendent, mais insuffisamment, à l’entériner.
On pourra , en annexe de ce numéro, lire des articles qui ne relèvent pas du thème présenté, mais constituent d’excellentes analyses : l’un de Maya Leclercq, Laurent Marty, Monique Selim sur la position d’anthropologue au XXI° siècle, l’autre de Jeanne Bouyat et Chloé Malavolti sur la xénophobie en Afrique du Sud et les luttes menées contre elle, le troisième de Alice Desclaux et Koudia Sow sur des anthropologues face à l’épidémie d’Ebola.