Daniel Delanoë, Les Châtiments corporels de l’enfant, Une forme élémentaire de la violence, Toulouse, Erès, 2017, préface de Marie Rose Moro, postface de Maurice Godelier.


Recension par Louis Moreau de Bellaing

Daniel Delanoë, Les Châtiments corporels de l’enfant, Une forme élémentaire de la violence, Toulouse, Erès, 2017, préface de Marie Rose Moro, postface de Maurice Godelier.

« Frapper les enfants pour les éduquer est un fait social ». Il faut en suivant l’auteur, rappeler d’emblée deux points : les châtiments corporels sur les femmes et les enfants, les esclaves, les fous ont été reconnus, à un degré de violence variable, légitimes dans quatre-vingt pour cent des sociétés humaines, jusqu’au type de société moderne. Celui-ci a vu naître la lutte des femmes pour leur émancipation, celle des esclaves et des anti-esclavagistes pour la suppression de l’esclavage, il voit se répandre peu à peu une lutte pour l’interdiction des coups et autres violences aux enfants. Les châtiments corporels de l’’enfant se présentent, en tout état de cause, comme un fait social négatif, quel que soit le type de société, les lieux ou les époques, même si apparemment ils sont reconnus juridiquement ou coutumièrement par les sociétés dont parle Delanoë. Les sociétés matrilinéaires et matrilocales, où, semble-il, les châtiments corporels aux enfants étaient moindre qu’ailleurs et l’égalité mieux respectée – elles représenteraient 20% des sociétés humaines, d’après N.C. Mathieu – ne se dispensaient pas des supplices infligées aux jeunes hommes et femmes au moment des initiations. L‘introcision, l’infibulation, l’excision, la circoncision sont là pour en témoigner et durent encore. Les jeunes concerné(e)s étaient, sont, dans certaines sociétés, âgé(e)s de dix à douze ans. Comme la domination des hommes sur les femmes – dont l’auteur, au moins par allusion, fait état en parallèle à son objet de recherche -, la souffrance infligée, l’attaque qu’elle représente à ce qu’on pourrait appeler les fondamentaux de la condition humaines – plutôt que de la nature humaine – rendent illégitimes, constituent comme excès illégitime ce genre de châtiments, tout autant qu’au moment des initiations, les coups, brûlures, tortures physiques etc, infligés aux impétrants pour leur passage de l’enfance à l’âge adulte.

L’intérêt du livre de Daniel Delanoë est que s’impose désormais, dans le cadre de cette constante humaine qu’est le permis/défendu comme l’un des repères limite de toute vie sociale, collective (de groupe), et individuelle, à l’instar de la prohibition de l’inceste et du Tu ne tueras pas, l’interdiction des châtiments corporels aux enfants. Celle-ci relève d’une explication jamais faite dans les sociétés et les cultures dont le dispositif mettait à l’extérieur de l’humain la justification de leur propre existence..

Dès la préface, Marie Rose Moro rappelle le principe de l’interdiction absolue des châtiments corporels aux enfants dans toute société et, notamment, dans nos sociétés modernes. Elle montre surtout, à travers des exemples, les dégradations psychologiques que provoquent chez les enfants les coups même modérés. : perte de confiance en l’autre et en soi, humiliation, fantasmes négatifs, répétitions sur autrui à l’âge adulte, etc. Dans son introduction, Daniel Delanoë a le courage de dire d’abord son embarras devant des mères venant en consultation avec leurs enfants et reconnaissant qu’elles les frappent. Il ne les accuse jamais d’être de mauvaises mères, puisque les coups aux enfants font partie, le plus souvent, de leur culture, y compris en Europe, mais il fait état de ce qui légitime la référence aux législations en vigueur, ne dénonce jamais la personne, mais lui rappelle qu’elle ne doit pas frapper ses enfants. Insistant sur l’abondante législation internationale se rapportant désormais à ce fait social négatif, il fait valoir que désormais, tout comme le droit, les droits, la jurisprudence, les fondamentaux ou repères-limites tels que le permis-défendu ne s’arrêtent pas à la porte de la chambre conjugale, de la même manière ils ne s’arrêtent pas au privé, au privatif, autrement dit à la limite de l’espace et du temps familiaux.

En trois grand chapitres l’auteur présente d’abord la prise en compte juridique des châtiments corporels aux enfants comme une découverte récente, ensuite il montre les pratiques et justifications culturelles de ces châtiments, y compris encore dans nos sociétés modernes, enfin il démêle les logiques de la violence avec les formes de la hiérarchie et de la domination. , 

Dans le premier chapitre, « Une découverte récente », dès l’abord la définition des châtiments corporels fait problème. Murray Strauss les définit ainsi : » Le châtiment corporel est l’utilisation de la force physique, avec l’intention de faire subir à l’enfant de la douleur, mais sans blessures, dans le but de contrôler ou de corriger son comportement ». Delanoë rappelle les définitions du légitime et du licite : légitime, ce qui a le caractère de loi, fondé sur un droit, licite, ce qui n’est défendu par aucune loi, par aucune autorité. L’illégitime peut donc ici être défini comme contraire à la loi et au droit, et illicite comme contraire non seulement à la loi mais au permis, et relevant de ce qu’une autorité défend. Par prudence, Delanoë propose de retenir le critère de la norme sociale plutôt que celui de l’absence de blessure : « Le châtiment corporel est l’utilisation de la force physique de manière culturellement licite et légitime dans la société où vit l’enfant « (souligné dans le texte). La mention absence de blessure disparaît. En effet, dans la définition de Strauss, ce critère, dit Delanoë, trouve ses limites dans une perspective transculturelle. Mais, à l’inverse, on pourrait reprocher à sa propre définition d’être culturaliste, alors que l’ensemble de son ouvrage démontre le contraire. En fait, ce que Delanoë semble vouloir éliminer, c’est le seul critère de l’absence de blessure qui permet à la jurisprudence, lorsqu’effectivement aucune trace de coups n’apparaît, de juger le châtiment modéré. En somme, à partir des traces et des blessures, on entrerait, en tout état de cause, dans la catégorie « mauvais traitements ». « L’enfant maltraité est celui qui est victime de violences physiques, cruauté mentale, abus sexuels, négligences lourdes ayant des conséquences graves sur son développement physique et psychologique ». Cette définition officieuse du mauvais traitement n’est pas celle du législateur, puisqu’en France, par exemple, il n’y a pas de définition juridique du « mauvais traitement ». La différence entre châtiments corporels et mauvais traitement se situerait entre frapper, taper pour les châtiment corporels, et battre pour les mauvais traitements. L’auteur ne veut parler, dans son ouvrage, que des châtiments corporels chez l’enfant. Il exclut ceux réservés aux adultes, notamment aux femmes, bien qu’il fasse la comparaison entre les deux.

Il y a, semble-t-il, chez l’auteur une ambiguïté autour du terme violence. Pour moi, la violence se situe légitimement dans des formes de l’obligation qui comporte l’agressivité, la contrainte, la force, la puissance et la domination. Ce sont les degrés d’excès de ces formes de l’obligation qui peuvent les faire passer du légitime au délégitimant et à l’illégitime, et cela trans-culturellement, toujours et partout. Dans le cas des châtiments corporels de l’enfant, la violence est d’emblée, partout et toujours, illégitime ; Il suffit, dans n’importe quelle société, de se mettre dans la position de l’enfant et de ce qu’il subit – comme on peut le dire aussi pour les femmes – pour faire de cette illégitimité non plus un fait ou phénomène culturel, mais, comme Delanoë le dit, un fait social et j’ajouterai un fait social négatif et destructeur. Qu’il s’agisse d’une gifle, d’une fessée ou de coups de bâton, la transgression est accomplie. Il est difficile de justifier, après coup, les très nombreuses sociétés patrilinéaires, patrilocales et patrifocales qui, au nom d’un référent extérieur, ancestral, divin ou humain ou sacralisé, ont usé et abusé, pour, comme l’auteur, m’en tenir seulement à eux, des châtiments corporels de l’enfant. La Convention des droits de l’enfant se borne à dire que « tout châtiment corporel (infligé à l’enfant) ne peut être que dégradant ». Il n’est pas seulement dégradant, il est illégitime socialement politiquement, partout et toujours, et c’est ainsi que, dans sa souffrance et sa douleur, l’enfant le vit, même si culturellement, la société et l’enfant de cette société le reconnaissent légitime. C’est admettre, au moins par hypothèse et expliciter, j’en conviens, quelques fondamentaux ou repères limite constituants, dans leur indétermination, de la condition humaine : la liberté, l’égalité, la fraternité, la justice, la responsabilité.par exemple. La socialisation de l’enfant passe non seulement par l’appropriation et l’intériorisation de règles, mais surtout par celle de fondamentaux-repères limite, certes indéterminés et toujours à interroger, mais inhérents néanmoins à sa condition d’être humain.

L’auteur montre, par des pourcentages, le taux élevés des châtiments corporels qui vont de la tape, de la fessée jusqu’au début de la maltraitance, dans la plupart des pays d’Europe, autrement dit des pays à démocratie il est vrai oligarchique. Il insiste sur leur inefficacité en ce qui concerne l’éducation et la socialisation de l’enfant. On pourrait dire que ce n’est pas en donnant et en recevant des coups qu‘on apprend à vivre en commun,, encore moins lorsque des femmes et des enfants ne font que les recevoir. « La violence punitive, dit l’auteur, perd la légitimité qu’elle revendique en provoquant humiliation, peur et sentiment d’injustice ». Muriel Salmona note que « les cris, les injures, les coups, les menaces provoquent une sidération, une paralysie du cortex et de l’hippocampe ». En Suède, où les châtiments corporels ont été abolis depuis plus de trente ans, le pourcentage de jeunes condamnés pour viol et pour vol, et la fréquence des suicides ont diminué. On peut noter qu’en France, en 2009, 81% des parents étaient opposés à l’interdiction des châtiments corporels. A propos du maintien de la fessée, les thèmes qui positivent ce maintien sont les suivants : son innocuité (elle ne fait pas mal),l’absence d’alternative, sa nécessité absolue devant une mise en danger, elle évite une évolution désastreuse, elle est justifiée devant des comportements d’opposition ou agressifs, c‘est une pratique rare, si les parents ne donnent pas de fessée, ils vont agresser leurs enfants verbalement, l’autorité se base sur la violence physique, il n’est pas réaliste d’espérer que les parents ne donnent plus la fessée. L’auteur conclut fort justement, à mon avis, que l’autorité des parents se cherche entre ancien rapport de force et égalité démocratique.

Dans le second chapitre, « Pratiques et justifications culturelles des châtiments », l’auteur divise les modèles de pratiques éducatives en deux grandes catégories : les modèles autoritaires et violents, les modèles non autoritaires et non violents, humanistes et démocratiques. La religion est une instance majeure de justification des châtiments corporels. L’auteur cite Faizang à propos d’une autre étude sur les médicaments: « La dimension culturelle implique la marque des valeurs et des représentations véhiculées par l’appartenance ou l’origine religieuse…Cette marque s’inscrit dans les comportements de façon inconsciente ; cette imprégnation joue à divers niveaux et notamment au niveau du rapport au corps (S. Faizang, Médicaments et société,Paris, PUF, 2001). Cette remarque de Faizang est importante, ne se rapporte pas seulement au corps, mais à de très nombreux phénomènes dans les société modernes et notamment aux châtiments corporels infligés  aux enfants.

Daniel Delanoë donne l’exemple de deux sociétés, l’une polynésienne, l’autre amérindienne. Dans celle polynésienne, un principe de discrimination absolue sépare la masse des gens sans rang, sans titre, d’une sorte d’aristocratie entourant les lignées royales qui possèdent dans leur corps le mana, cette puissance qui témoigne de leur origine divine; Ils ont autorité sur une portion du territoire. Cette autorité prend sa source en la personne d’un chef suprême, descendant direct du plus grand des dieux polynésiens. L’enfant est considéré comme sans raison, insensé, ignorant, méchant, et devient bon, obéissant, respectueux grâce à l’éducation. Les châtiments corporels sont réputés comme la méthode la plus efficace. C’est la mère qui frappe très souvent. Les enfants sont aussi frappés à l’école. On rit, on se moque de l’enfant en le frappant, on lui dit que c’est pour l’aider, mais cela augmente cruellement sa honte. Un changement des pratiques punitives remettrait en cause la tradition et l’identité.

La société amérindienne est située au Brésil, en Amazonie. Sa population est composée d’Amérindiens, de Portugais et de Brésiliens venus d’autre régions du Brésil. Elle parle deux langues : le portugais et une langue créée par les Jésuites et instituée dans les missions. Convertie à un catholicisme populaire, elle a gardé néanmoins des croyances traditionnelles en des entités surnaturelles. Les relations sociales sont caractérisées par une forte hiérarchie entre les générations. Les plus jeunes sont censés respecter, servir et obéissent aux plus âgés. Les femmes ont la responsabilité de la garde et du soin des enfants. Ce sont des mères, des grands-mères ou des soeurs plus âgées. Ce sont elles qui infligent les châtiments corporels aux enfants. Les hommes interviennent ponctuellement lors d’une faute grave. Les punitions se donnent le plus souvent avec un instrument : fouet, liane. Les parents expriment une gêne, une souffrance à frapper l’enfant. Le discours parental minimise la violence effective. On ne sait si la structure hiérarchique de la société a pour origine des colons portugais ou des groupes amérindiens.

La violence punitive est légitime dans l’enfer bouddhiste C’est le dieu de l’enfer qui décide si l’on va en enfer ou au paradis. Il y a de nombreuses tortures. La tradition culturelle repose sur la tradition religieuse. Dans l’hindouisme, les Vedas permettent explicitement de frapper l’enfant. En Chine, l’exigence confucéenne du respect des enfants vis à vis de leurs parents se maintient, malgré une certaine déculturation. 78% des enfants âgés de 14 ans auraient subi des violences psychologiques, 23% des violences physiques mineures, 18% des violences sévères. Dans l’Antiquité gréco-romaine, la violence physique était omniprésente dans les institutions éducatives. Dans les Lois, Platon recommande les châtiments corporels. Dans la République, il les condamne. Les Lois sont postérieurs à la République. A Rome, , l’école était un lieu de terreur. Les parents avaient le droit de vie et de mort sur leurs enfantsL Les enfants étaient frappés sur la paume des mains avec la férule, ou flagellés, nus, avec un martinet ou une lanière de cuir ou une peau d’anguille séchée. Cicéron, Quintilien, Plutarque critiquent les violences envers les enfants.

A propos des religions monothéistes, Godelier note que le christianisme est toujours à l’arrière-plan des morales en Occident et particulièrement aux Etats-Unis. Dans le judaïsme, l’Ancien Testament recommande les châtiments corporels. Mais, en 2000, la Cour suprême de justice d’Israël les a condamnés.En 2010,, Israël les interdit définitivement. Le judaïsme ignore le péché originel. Daniel Delanoë énumère un certain nombre d’exemples de violences physiques sur enfants datant des année 60, 70 ou 8O, voire plus proches et fort semblables à celles que j’ai connues dans les années 40. Il note que l’on ne trouve, dans les Evangiles, aucune mention de châtiments corporels. En revanche, Paul de Tarse ne se cachera pas d’y être favorable, imitant sur ce point les Romains. Mais c’est Augustin d’Hippone qui, en inventant le péché originel, a fait basculer jusqu’à aujourd’hui tout l’Occident dans la répression. L’homme nait mauvais et le baptême ne l’assure pas, mais lui permet d’être sauvé. Origène, Pélage et Céleste refuseront cette invention et seront persécutés par les papes. Il faudra attendre Rouseau pour entendre : « Il n’y a pas de perversion originelle dans le coeur humain ».

Pour l’Islam, chaque enfant naît naturellement musulman, mais, après sa naissance c’est l’éducation non musulmane de son entourage qui le corrompt, l’éloigne de la fitva, sa nature originelle.Il faut corriger l’(enfant par les châtiments corporels. Du fait de l’indistinction entre le corps et l’âme, c’est par la correction physique qu’on agit sur l’âme.

Au Moyen Age, Saint Benoît déclare : « Toutes les fois que des enfants, des adolescents commettent une faute, ils sont astreints à des jeûnes sévères ou fouettés avec rudesse ». A la Renaissance, Erasme, Montaigne tentent de donner à l’homme sa pleine responsabilité ; Ils refusent les châtiments corporels. Dans les Temps modernes, les éducations les cont toutes comportés notamment dans l’aristocratie. Au XVIII° siècle, chez les Frères des Ecoles Chrétiennes (qui serviront de modèle, à la fin du XIX° siècle, à l’Ecole républicaine), la fréquence de la férule et des verges est limitée, mais le système disciplinaire demeure le même et recourt aux pénitences et aux corrections très ritualisée. Chez les Jésuites, il est dit que « ceux qui refusent les châtiments corporels y seront forcés ; si cela ne peut se faire sans scandale, on les chassera de notre collège ». Balzac raconte dans Louis Lambert comment les oratoriens avaient repris, dans leur collège de Vendôme, les punitions inventées par la Compagnie de Jésus. Dans les Ecoles d’Etat, la jurisprudence a admis au début du XX° siècle, une certaine violence physique de la part des enseignants, au nom d’ »un droit de correction «  « raisonnable », par délégation de l’autorité paternelle. Au XXI° siècle, le pape François déclare « J’ai entendu un père déclarer : Parfois je dois frapper un de mes enfants, mais jamais sur le visage pour ne pas l’humilier. C’est beau, dit François, le sens de la dignité et il avance ». Quant au monde orthodoxe, si les études sur la question manquent, les exemples de pratiques punitives abondent. En ce qui concerne le protestantisme,, sa devise est : « Frappez-les pour chasser le Diable ». La plupart des Américains « y croient, l‘ont vécu, l’ont fait » avec des ceintures, des baguettes, des planchettes et tout ce qui peut être utilisé  pour infliger de la douleur à l’enfant au nom de la discipline et de la punition. Calvin a donné une seconde vie à la théorie du péché originel selon lequel l’enfant est pourvu d’une nature corrompue et encline au mal, égoïste, qui le prédispose à la rébellion (souligné dans le texte) contre toute forme d’autorité La tâche première des parents est de le sauver du mal qui l’habite. aux moyens de châtiments corporels administrés avec un instrument. Les protestants fondamentalistes sont favorables à une doctrine pénale « Oeil pour oeil ». « Les parents qui frappent leurs enfants, dit un pasteur, leur évitent d’aller en enfer ». Daniel Delanoë remarque, avec beaucoup de justesse, selon moi, que « les mêmes processus à l’oeuvre dans la pratique des châtiments corporels génèrent la violence dans l’espace social ». Le protestantisme recommande la punition donnée en denier recours (souligné dans le texte). Spock dit que la fessée est moins nocive qu’une longue désapprobation parce qu’elle est claire pour les enfants et pour les parents Mais, plus tard, il change d’avis et dit que, pour avoir une société moins violente et un monde plus sûr, le rejet des châtiments corporels serait un bon début.

Dans l’esclavage, la relation de propriété nécessite la violence physique. Paradoxalement, en référence à l’esclavage et à l’oppression, les châtiments corporels sont entrés dans la culture noire. Une jeune antillaise dit : »Quand ma mère me donnait des coups de ceinture, elle me disait : c’est pour faire sortir de toi le vieux nègre ». Le vieux nègre, celui de la savane, de l’Afrique, le rebelle, celui qui n’est pas passé par l’esclavage.

A la Renaissance, les méthodes éducatives entendent adopter la civilité et la non violence, par une pédagogie de la douceur, et proscrivent les punitions brutales. « La première tâche d’un maître est de se faire aimer », dit Erasme. Deuxième étape, le XVIII° siècle a ouvert un nouveau monde pour les enfants, avec John Locke et Rousseau. A partir de 1830, on observe moins d’insistance sur les punitions corporelles et plus d’importance accordée aux approches psychologiques. A la fin du XIX°siècle, le mouvement de la pédagogie active et de l’Ecole nouvelle se démarque des punitions.

Freud n’a pas recommandé les châtiments corporels, mais, même quand ils étaient signalés par le patient, il n’a pas envisagé qu’ils puissent avoir des conséquences psychiques notables. La théorie du fantasme et celle de l’Oedipe font porter la faute sur l’enfant coupable de ses désirs. En laissant au fantasme de fustigation traumatique une place incertaine, Freud minimise d’autres traumatismes comme les violences physiques et les châtiments corporels. Dans « Un enfant est battu », Freud privilégie le fantasme par rapport au traumatisme. Julia Kristeva revient à une culpabilité originelle, quand elle suppose que le fantasme de fustigation est plutôt un fantasme originaire. Déjà en donnant au traumatisme de l’enfant battu toute son importance, Ferenczi est en désaccord frontal avec Freud et ses collègues. Foucault dit, lui, que Freud ne découvre pas la sexualité de l’enfant, il découvre des enfants sexualisés (par la masturbation). L’affaire d’Outreau a entraîné une perte de crédibilité de la parole de l’enfant. Dolto déclare « Ecoutez, des parents qui se maintiennent comme çà parce qu’ils ont besoin de battre leur enfant, il faut croire que l’enfant a besoin d’être battu, on ne sait pas, mais ce n’est pas de l’éducation ». Une psychanalyste, Caroline Thomson, déclare : « Je ne dis pas que la fessée est une bonne ou une mauvaise chose, je dis juste que c’est normal que les parents aient un accès d’énervement et qu’ils n’ont pas à se sentir coupables de la colère qu’ils éprouvent. Je dirai même que la colère, parfois, est saine ». Elle admettra, un peu plus tard, que « donner une fessée c’est user et abuser d’un rapport de force inégal entre l‘adulte et l’enfant »; Caroline Eliacheff juge que »l’atteinte corporelle est humiliante. Elle blesse. Il faut exercer une autorité qui ne soit pas un dressage ». Finalement elle ne prend pas réellement position sur l’interdiction des châtiments corporels.

La construction sociale des violences est hors du champ de la psychanalyse et relève de l’anthropologie, bien que la psychanalyse recourt à des modèles accordant un rôle important à l’environnement et à celui familial.

Le problème est de tenter de savoir et de comprendre quelles logiques sociales ont produit les discours et les pratiques de la violence éducative.

Les modèles de l’enfant doté d’une nature mauvaise appellent les châtiments corporels. L.a violence envers l’enfant s’impose pour corriger cette nature. A l’inverse, dit l’auteur, des modèles non violents attribuent à l’enfant une indétermination ou une nature non menaçante, mais menacée par la violence. Après un détour par des sociétés anthropologiques qui ne frappent pas les enfants, l’auteur analyse les rapports sociaux qui produisent la culture et la pratique des châtiments corporels de l’enfant.

La violence éducative est socialement construite. Il n’y a pas de châtiments corporels chez d’autres mammifères que  l’être humain. Chez les Arapesh (Margaret Mead), l’enfant ignore les coups. Les rôles féminin et masculin sont peu différenciés. La guerre y est pratiquement inconnue, de même que la chasse aux têtes. En revanche, chez les Mandugumor, les enfants sont malmenés. Les Mandugumor sont guerriers et chasseurs. Il y’a rivalité entre le père et le fils pour une même femme que le père veut prendre comme nouvelle épouse et le fils comme première épouse. La structure sociale, ici le système d’alliance, joue un rôle déterminant dans l’attitude envers la violence notamment à enfant. Aux îles Samoa, société hiérarchisée sous la forme d’une grande chefferie et d’un royaume, les enfants reçoivent des taloches et peuvent être fouettés lors de certaines transgressions. Les Mohave (Devereux) , société amérindienne, attribuent un psychisme complexe à l’enfant et pratiquent une grande liberté sexuelle. La notion de commandement ou d’obéissance absolue, dit Devereux, n’existe pas (chez les Mohave). Il n’y a même pas de mot mohave qui veuille dire punition. Personne ne songe à frapper un enfant. Chez les Sedang (au Vietnam), un psychisme rudimentaire est attribué aux enfants et il n’y pas de liberté sexuelle. Ils punissent cruellement leurs enfants jusqu’à mettre du piment rouge dans le vagin d’une fillette ou d’en barbouiller le gland d’un garçon. L’auteur note que les Sedang ont une structure sociale hiérarchisée, plusieurs niveaux de chefferie, pratiquent l’esclavage et forment une société guerrière agressive. Daniel Delanoë insiste sur l’organisation sociale (la structure sociale) et ses rapports avec les châtiments corporels. Il note que l’interprétation prévalante dans la plupart des cultures – y compris celles occidentales, – est que enfant est un être incomplet, pas encore engagé dans les relations sociales. Pour les Fidjiens (Sahlins), les enfants ont « une âme d’eau », ce qui signifie qu’ils ne sont pas encore des êtres humains complets capables de maîtriser les coutumes de leur culture. En revanche chez les Hagen de Papouasie-Nouvelle Guinée, et dans d’autres peuples et sociétés régis par les relations de parenté, l’esprit, la volonté, la connaissance deviennent visibles lorsque l’enfant exprime des sentiments pour ses proches, l’interdépendance et la réciprocité des relations et l’humanité par la réciprocité. Certains conçoivent la nature humaine comme un devenir doté de la capacité à comprendre un système culturel et à agir sur lui. La nature humaine n’est pas une illusion réservée à l’Occident, mais elle est partagée par bien des cultures non occidentales. Personnellement, je n’emploie pas ce terme de nature humaine à cause du mot nature qui, en sciences sociales, renvoie trop vite au biologique, je lui préfère le terme de condition humaine moins connoté. Un anthropologue, Montaigu, relève seize sociétés humaines sans violence, ni entre adultes ni entre enfants. Que l’agression ne soit ni innée, ni universelle, comme le croyait Konrad Lorenz, je ne peux qu’en convenir. Demeure cette énergie humaine énigmatique qui, d’un socle commun (lequel ?), fair jaillir littéralement et cela trop souvent, dans l’excès le plus illégitime, la nuisance illégitime à autrui et le meurtre par confusion ou par destruction. Selon moi, il faut en revenir aux fondamentaux de la condition humaine et au libre arbitre, mot vieilli mais qui indique bien le choix et la décision conscients, suffisamment conscients et mesurables dans leurs degrés d’excès, pour éviter aux individus, aux groupes, aux nations-Etats actuelles, le pire.

Que, par exemple, chez les Fore de Papouasie-Nouvelle Guinée, la diminution de l’espace disponible, ait entraîné la rivalité pour les territoires et des conflits violents entre des groupes, est difficilement contestable. En faire la cause de l’apparition de la violence là où il n’y en aurait pas eu ou peu me laisse sceptique. Les formes de l’obligation (agressivité, contrainte, force, violence, puissance, domination), lorsqu’elles passent à l’excès illégitime c’est à dire au meurtre, à l’esclavage ou aujourd’hui à l’actuel asservissement économique pour une grande partie des populations, sont, lorsque cela ne se produit pas ou peu, nécessairement contenues, maîtrisées, suffisamment légitimées pour qu’elles n’entrainent pas pour autrui des dommages tels que non seulement ils lui nuisent, mais peuvent le détruire. A mon sens, les Fore n’échappaient pas à cette condition qui est celle de tous les êtres humains. Mais ils se battaient pour que l’excès de l’excès ne prenne pas, comme en Occident, à travers de pseudo-religions séculières (comme le libéralisme économique), l’apparence d’une légitimité sociale et politique au sens du politique. iIs se battent non seulement pour des éthiques, des morales et des valeurs, mais pour des fondamentaux, repères limite de la condition humaine (permis/défendu, don, transmission, renoncement, autorité, reconnaissance, etc.) approximativement légitimes, dont Daniel Delanoë cite, en faisant référence aux sociétés non ou peu violentes, les principaux. Chez les Inuits, il montre que l’ambivalence joue un rôle important dans l’inhibition de la violence en renforçant la crainte de détruire la fragile et précieuse relation.« Corriger, frapper le fils qui se rend insupportable apparaît presque comme scandaleux » écrit Malaurie.

Daniel Delanoë fait défiler ainsi plusieurs sociétés qu’il appelle non violentes tout en reconnaissant que la violence y apparaît, mais qu’elle est sans doute mieux jugulée que dans d’autres sociétés du même type, mais avec une organisation sociale différente. Il semble néanmoins que la domination masculine se maintient, depuis le néolithique et peut-être avant, au paléolithique supérieur, dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs comme elle se maintient dans toutes les autres sociétés.. Elles connaissent donc la hiérarchie entre les sexes, mais il semble que la domination masculine soit moins marquée dans les sociétés où la division du social ne se manifeste pas entre des classes à hiérarchie unique et peu mobile, comme c’est le cas en Occident. Néanmoins Daniel Delanoë note, à propos des Baruyas, qu’ils frappent et violentent les enfants au moment des initiations, comme c’est le cas également dans des sociétés amérindiennes et dans dans celles australiennes. Mais le renforcement de la hiérarchie, sa tendance à s’unifier semble contribuer, avec la domination masculine, à l’augmentation des châtiments corporels aux enfants.

Daniel Delanoë recherche ensuite les traits sociaux de ce qu’il appelle la violence éducative et que, pour ma part, j’appellerai plus volontiers l’excès illégitime de violence éducative, celui qui nuit à autrui.Or les châtiments corporels aux enfants sont toujours et partout nuisibles et illégitimes. Et les enfants le savent. Il y a une corrélation entre les châtiments corporels de l’enfant et les violences envers les femmes.

Les trois principaux modes d’éducation sont l‘encouragement, la récompense et les punitions corporelles. Delanoë reprend la division des trois mondes d’Alain Testart. Le monde I (Australiens, Bushman, Inuits, Pygmées(, Amérindiens) est celui des sociétés sans richesses. Elles ne produisent pas de surplus, il n’y a ni accumulation ni inégalité. (au moins matériellement). Le monde II (big men de Nouvelle Guinée, Trobriandais, Indiens de Plaines, sociétés africaines) produit des richesses, mais elles ne servent pas à assurer la possession de biens socialement utiles, mais seulement au paiement d’obligations sociales imposées par le droit et la coutume, en particulier le droit sur les femmes. Le monde III est celui des chefferies, royaumes, empires. Il apparait au Proche Orient et dans le Nouveau Monde. il se caractérise par la propriété des moyens de production, de la terre ou, aujourd’hui, de l’industrie. Il peut être « asiatique » (despotisme asiatique), féodal ou capitaliste. Le passage du monde I au monde II avec le développement de l’agriculture et de l’élevage, la séparation entre ville et campagne, les hiérarchies sociales a modifié le statut de l’enfant. L’enfant dans les sociétés organisées en chefferies héréditaires, en castes et en classes devient un enjeu stratégique tout autant pour la reproduction des groupes particuliers qui les composaient que pour celle de la structure hiérarchique globale. Mais des sociétés du monde I, égalitaires, frappent les enfants, alors que des sociétés du monde II, inégalitaires, ne les frappent. pas. Une autre logique sociale est à l’oeuvre. Françoise Héritier écrit : « La situation des femmes est dominée dans le monde, brutalement et massivement dans certaines parties, de façon plus masquée dans d’autres parties comme le monde occidental contemporain, dans la totalité du monde antérieur et actuel » .« Au cas où la femme résiste, dit Nicole-Claude Mathieu, la violence principale est qu‘il n’existe pas de possibilité de fuite pour les femmes sinon pour retomber du pouvoir d’un groupe d’hommes à un autre ». On peut en dire autant pour l’enfant, conclut Delanoë, pour qui il n’existe (et n’existait ) que rarement une possibilité de fuir la violence de sa famille. Déjà, dans les sociétés de chasseurs, la domination masculine introduisait des disparités entre sociétés en ce qui concerne les enfants. Aujourd’hui domination de caste et domination de classe combinée à la domination masculine se conjuguent dans la domination des enfants. Mais, dans le monde II et le monde III, les violations à l’ordre moral social se sanctionnaient par une dette dont le groupe devait s’acquitter, non par une faute que l’individu devait expier (Fassin). C’est à l’ère chrétienne qu’on est passé d’une logique de la réparation à une logique de la punition. Le châtiment de l’adulte vise des infractions légales. Le seul point commun avec les châtiments corporels à l’enfant : infliger de la souffrance. Mais tous les enfants sont susceptibles d’être frappés par leurs parents, pour des motifs laissés à l’entière appréciation de ces derniers.

Daniel Delanoë date du XVIII° siècle l’adoucissement des violences physiques, des châtiments judiciaires (tortures, etc-). Mais ll reste à montrer que cet adoucissement dans le châtiment commence peut-être au XIII° siècle, est repris à la Renaissance à partir de laquelle va apparaître peu à peu, mais non actualisée tant que la Révolution n’a pas eu lieu, la société moderne. Que la démocratie, la société démocratique et le régime politique de démocratie représentative finissent par l’accompagner, ne fait qu’accuser la rupture entre des sociétés à référent justificatif extérieur à elles et celles qui veulent expliciter à la fois les fondamentaux de la condition humaine (qui apparaissaient déjà dans les sociétés à référentiel extériorisé à elles-mêmes) et les repères spécifiques qu’en tant que société moderne, elle se donne : non seulement les droits de l’homme, mais un politique radicalement transformé, une politique nouvelle, même si elle demeure oligarchique. De l’humanisme de la Renaissance à Rousseau et à l’époque contemporaine, dit l’auteur, l’histoire de l’enfant est donc l’histoire de ses droits et de son statut de sujet.

La première loi en France sur la protection de l’enfant date de 1889. Elle le protège contre ses parents, condamne les mauvais traitements qui nuisent à sa santé, à sa sécurité, à sa moralité. Il paraît évident que les châtiments corporels furent, de tout temps et en tout lieu, intolérable pour ls enfants. Mais ce qui était demeuré, depuis toujours, implicite, non dit, quasiment non exprimé, devient explicite, nommé par la société. La politique démocratique, par l’entremise du législatif et de l’exécutif, c’est-à-dire de l’Etat, prend en compte un politique lui-même en transformation, réduit la toute-puissance paternelle, défend le principe d’égalité et, à la fois, le droit, les droits de l’individu jusques et y compris contre ses proches, dit l’auteur. Déjà en 1860, un article de Ambroise Tardieu avait attiré l’attention sur ce qui était le plus perceptible : l’atteinte physique dans les châtiments corporels. Mais subsiste une indétermination : aucun seuil n’est précisé, autrement dit, dans mon propre langage, je dirais que, si l’enfant, sait, lui, et a toujours su que sa souffrance et son humiliation commencent aussitôt qu’il est frappé, le Code civil, au début du XX° siècle, évoque , à propos des châtiments corporels, une « modération convenable ». La loi pénètre dans l’espace domestique pour régler des conflits entre individus devenus des personnes. En 1929 , un rapport d’un juriste et d’un psychiatre sur la question demeure néanmoins sans effet. A partir de 194O, mais surtout de 1962, les mauvais traitements entrent dans la pathologie pédiatrique et sociale. La radiologie va jouer un rôle important, en objectivant des lésions osseuses traumatiques, en offrant une preuve médico-légale et une mémoire de l’histoire des violences subies par l’enfant qu’il ne pouvait ou ne voulait pas dire. Jusqu’en I987, l’immaturité nerveuse du bébé et du nourrisson était censée lui permettre de ne pas ressentir la douleur. Il était opérés sans aucune anesthésie. Même si la loi écrite condamne la violence à enfant quelle qu’elle soit, même légère, la coutume – c’est-à-dire, en l’occurrence, selon moi, une illégitimation et une illégitimité sociales et politiques – reconnait un « droit de correction » sur l’enfant (gifle ou fessée). Une jurisprudence d’un tribunal va jusqu’à dire que des violences à enfant seraient sanctionnée si elles n’étaient pas le fait de parents. Tout comme autrefois l’épouse, l’enfant, la domestique, l’esclave pouvaient être battus par le chef de famille ou par leur maître et par nul autre .Conclusion de l’auteur confirmée par une jurisprudence de la Cour de Cassation de 1995 : les violences légères des parents envers les enfants demeurent exceptionnellement sanctionnées en France. Claude Lefort, dit l’auteur, « évoquait la rémanence du théologique dans le juridique et le politique (souligné dans le texte) ». Le « droit de correction », coutume illégitime, atteste un certain maintien de la famille hors du droit général et la volonté de garder un certain droit de propriété sur l’enfant. Christine Delphy, dans une perspective sociologique féministe matérialiste, note que « les enfants en tant que mineurs ne sont pas sujets de droit. Leur statut les apparente plus à de choses qu’à des êtres humains. Ils sont sous certains aspects assimilables à des propriétés. Le droit d’abuser fait partie des droits détenus sur eux ». L’auteur achève ce troisième chapitre de l’ouvrage par l’histoire de l’abolition et du maintien de cette abolition des châtiments corporels en Suède, à partir de 1979.

Dans un bref chapitre, le quatrième, l’auteur fait état des possibilités qu’offrent l’alliance thérapeutique entre parents, pédiatre ou psychiatre, pour faire cesser des châtiments corporels même légers qui nuisent par exemple à la scolarité de l’enfant. Un adolescent giflé par sa mère à chaque fois qu’il a une mauvaise note, poursuit une scolarité plus normale à partir du moment où le psychiatre consulté parvient à la convaincre, ainsi que le père, des mauvais effets de ce type de châtiment. Certains parents témoignent de leur malaise après avoir usé de châtiments corporels qu’ils ne font parfois que reproduire pour les avoir subis eux-mêmes. Il note également que, chez des enfants d’immigrés, less filles parviennent mieux à échapper aux châtiments corporels que les garçons. Ceux-ci, notamment ceux appartenant à des populations du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne, connaissent un échec scolaire massif et de grandes difficultés d’insertion, quel que soit le niveau social, ce qui constitue un fait social majeur (souligné dans le texte) que l’école publique ne peut empêcher; Est suggérée par différents auteurs l’idée de mettre en symétrie une éducation exempte de toute violence avec la responsabilité éducative sous-jacente au rapport de tutelle des parents et des tuteurs envers les enfants qui leur doivent obéissance. Mais j’ajouterai que cette obéissance, légitime juridiquement, ne peut s’obtenir – sauf cas extrême de danger pour l’enfant – que dans un rapport de confiance entre eux enfants et leurs parents ou tuteurs ; ce rapport a, lui, une légitimité sociale et politique au sens du politique.

En conclusion, Daniel Delanoë rappelle, à partir de Godelier, que des rapports sociaux qui n’ont rien à voir avec la parenté peuvent y pénétrer. En ce sens, du social non destiné à le devenir peut devenir du parental. Or ce qui est parental implique tout particulièrement les rapports entre les sexes – les rapports de sexe dirait N.C. Mathieu -, mais aussi les rapports entre parents et enfants. La question de ces derniers rapports, comme d’ailleurs des autres rapports sociaux, se posent partout, mais les systèmes de parenté ont leur propre historicité. Néanmoins la plupart des obligations des parents vis à vis de leurs enfants relèvent non seulement aujourd’hui du droit général, mais ‘en tout temps et tous lieux, de la légitimation et de la légitimité sociales et politiques au sens du politique. La suspension du droit général dans la famille traduit une relation de propriété du parent sur l’enfant autorisant des actes violents qui seraient sanctionnés hors de la famille. Une domination parentale légitime juridiquement, mais aussi socialement et politiquement au sens du politique, ne peut se concevoir sans une relation sociale et interpersonnelle entre parents et enfants. L’auteur voit dans la violence des parents sur les enfants comme dans la violence pédagogique un effet des organisations hiérarchiques, j’ajouterai avec une hiérarchie peu ou pas du tout mobile et ne pouvant être remise en question. Le refus des états démocratiques – tous de démocratie oligarchique – d’interdire les châtiments corporels constitue non seulement un déni du droit et des droits, mais une inégalité et une injustice, autrement dit une illégitimité sociale et politique – non légalisée alors qu’elle devrait l’être – qui traverse toute la société.

Dans sa postface à l’ouvrage, Maurice Godelier note qu’il est difficile d’imaginer que la suppression de toute violence éducative (ou de toute violence sur les femmes) puisse affecter, voire effacer les rapports de subordination (à hiérarchie fixe, non mobile), d’autorité-pouvoir (où l’autorité est censée légitimer seulement le pouvoir), de force (non légitimés ni juridiquement, ni pénalement ni socialement et politiquement) et d’exploitation (qui se définissent par eux-mêmes comme illégitimes) propres notamment au libéralisme économique capitaliste.

Mais l’intérêt de cette postface de Godelier réside, à mon avis, dans le fait qu’il articule les châtiments corporels au maternel négativisé par rapport au paternel positivé et qu’il montre, dans toute les sociétés, l’effet de la domination illégitime, dès les premières société humaines, des hommes sue les femmes. Les sociétés sont à 8O/% d’entre elles des sociétés patrilinéaires et patrilocales. Que l’enfant soit protégé des coups, voire même des violences psychologiques dans son enfance jusqu’à dix ans environ ou qu’il soit l’objet de coups, de violences, d’humiliations souvent par les mères à qui ils sont confiés par les pères, c’est à l’adolescence et par la cérémonie d’initiation dans les sociétés à mythe et à ancêtres ou par de tous autres procédés, dans des sociétés féodales, despotiques, impériales, ou aujourd’hui, dan le type de société moderne, sans référent extériorisé par rapport à l’humain, que ces châtiments se maintiennent. Au mieux, actuellement, c’est par la société à régime démocratique oligarchique que se fait la mise ne place des adolescents-garçons dans leur statut de dominants et celle des adololescentes-filles dans leur statut de donninées. Les femmes battues peuvent alors s’équivaloir aux enfants, garçons et filles, battues ; les enfants humiliés, victimes de violences psychologiques s’équivalent aux adultes et aux vieillards, aux, minorisés et minoritaires, aux précaires, aux handicapés physiques et mentaux, tels qu’ils continuent d’être traités, malgré les efforts des associations et des institutions internationales. Ils le sont comme des « manques », des déficiences dans l’être humains, manques à compenser, tant faire se peut, pour les enfants, par le « droit de correction », par la violence institutionnelle pour les adultes femmes, les adultes précaires, minorisés-minoritaires et les handicapés physiques et mentaux. A mon avis, c’est vers l’excès de domination illégitime des hommes sur les femmes qu’il faut se tourner, pour donner à celle des adultes parents ou non parents sur les enfants toute sa signification et son sens. Les châtiments corporels aux enfants comme manifestations visibles de l’excès illégitime de domination des adultes sur les enfants seraient, selon moi à mettre en parallèle avec la pédophilie, avec les incestes sociaux et politiques et avec l’incestocratie sociale et politique à étudier, à analyser comme tels, comme l’avait compris Philippe Girard

Maurice Godelier rappelle l’ensemble des conditions objectives qui permettent à tout être humain d’exister et qui sont partagées par tous avant même que la vie amène chacun à se comporter légitimement ou illgitimement, c’es-à-dire d’une manière justifiée ou injustifiable vis à vis des autres et de soi-même. Ces conditions ne relèvent d’aucun jugement philosophique et religieux et sont des pré-conditions à toute existence humaine. Je modifie un peu le vocabulaire utilisé par Godelier, sans mettre en cause ce qu’il dit.

1/ Un être humain n’est jamais à l’origine de lui-même. Il nait d’êtres humains appartenant à une autre génération que la sienne, êtres humains qui lui donnent son corps et qui lui attribuent son sexe.

2/ Pendant les premières années de sa vie, un être humain ne peut survivre que par les soins, la protection, voire l’affection d’autres êtres humains, des adultes ayant la possibilité de les lui procurer et se reconnaissant dans l’obligation de le faire pour diverses raisons dont l’une est de premier rang : l’existence de liens de parenté avec lui

3/ Un être humain naît toujours dans une société et à une époque qu’il n’a pas choisies et dont l’existence le précède et précède souvent ceux qui lui ont donné naissance.

4/ Un être humain nait avec la possibilité génétiquement programmée de comprendre, puis de parler la langue dans laquelle les êtres humains qui l’entourent s’adressent à lui à la naissance et qui est parlée autour de lui. langue et langues qu’il n’a pas choisies et que d’autres que lui ont inventées.

5/ Un être humain nait avec la possibilité génétiquement programmée de produire, d’émettre, de recevoir et de comprendre des signes qui font sens pour lui et pour les autres, à condition que les uns et les autres partagent le même code et qu’ils lui en livrent le sens .L’ensemble de ces signes sont des symboles dont le langage n’est qu’un domaine, et toutes les actions, toutes les oeuvres produites par des êtres humains ont de ce fait des dimensions symboliques qui en fournissent le sens pour ceux et celles qui sont concerné(e)s.

5/ Un être humain nait dans un univers à la fois culturel et social dont il va, au cours de son enfance, découvrir l’existence et le sens à travers les interactions qu’il aura avec d’autres que lui, dans tous les contextes auxquels il sera confrontés.

7/ Un être humain, du fait de l’identité, des activités et du statut de ceux qui l’ont fait naître ou adopté ou reconnu comme leur descendant va débuter sa vie à une certaine place qu’il n’a pas choisie et qui peut déterminer plus ou moins fortement la trajectoire de son existence ultérieure, son parcours de vie.

Le point de convergence de toute ces conditions ou pré-conditions est le fait qu’un être humain ne peut développer ses possibilité qu’en société. Un être humain est, dès sa naissance, à la fois et de part en part, biologique, social et culturel.

Il existe également des conditions ou pré-conditions qui concernent l’existence de l’enfant, toujours et partout, sans jugement philosophique ou religieux. Elle excluent, a priori, en toute  époque et en tout lieu, l’usage des châtiments corporels.