Claude Didry , Monique Selim, Sexe et politique, Revue L’Homme et la Société, n° 2O13 3-4, Paris, L’Harmattan, 2O13


Recension par Louis Moreau de Bellaing

Dans l’éditorial de ce numéro de l’Homme et la Société sur Sexe et politique, Michel Kail pose le problème : « …Le politique est premier, l’économique second. Le discours dominant actuel …sert à renforcer la domination en masquant la vérité de la primauté du politique ; vérité que Simone de Beauvoir notamment a enseigné, offrant aux femmes et à tous les dominés les moyens de leur libération ».

C’est en ce sens que s’élabore la pensée des auteurs en charge du thème, Ils n’hésitent pas dire, dès leur introduction, que « dans l’émancipation (en ce qui concerne le rapport sexe/politique) se donnent à penser des dédoublements conscients et inconscients du désir, faisant de lordre politique un ordre sexuel imposé » (souligné par nous).

L’ensemble des articles contribue, avec des perspectives différenciées, à mettre en forme ces affirmations-interrogations de départ. Ludivine

Bantigny, dans un article portant sur les politisations de sexe dans les années post-68, s’inspire, en ce qui se rapporte à la sexualité, des textes de Marx et de Freud. Elle aligne l’équation : Marx + Freud = Reich. Y a-t-il une révolution sexuelle ? demande l’auteure. On peut dire qu’à partir de 68, la politisation de la sexualité a mis en cause, par des questionnements, les normes qui la régissaient. Leur toute-puissance a été ébranlée. Mais, selon l’auteure, il ne s’agit pas encore de révolution. L’entretien qui suit avec Tassadit Yacine, directrice d’études à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes en Sciences Sociales, est une histoire de sa vie. Ce que nous en retenons, c’est d’abord la dureté de sa jeunesse en Algérie où elle parvient néanmoins à faire son primaire et son secondaire. Nous retenons aussi son mariage avec un homme dont elle dit que, militant et progressiste en politique, y engageant même son temps et sa vie, il est réactionnaire dans son ménage, conservant vis à vis des femmes les traditions qui lui ont été inculquée. Par chance pour sa femme, il meurt dans un accident. Elle peut faire des études supérieures et, aidée par Bourdieu, devenir enseignante. L’article de Claude Didry sur les midinettes parle de leur métamorphose. Il s’agit, dans le cas de midinettes, de concevoir le salariat en deçà (souligné par nous) du contrat de travail. Ce que Didry essaie de montrer, c’est que la midinette travaille, qu’elle a, comme on le sait, une place particulière dans l’imaginaire masculin, qu’elle mène des actions pour la conquête de ses droits. Les midinettes sont des couturières qui font du travail en chambre et ont l’habitude de « faire dinette » sur les bancs publics à midi, d’où leur nom de midinettes. La prostitution étant à l’époque cantonnée principalement dans les maisons closes, celle des midinettes est peu pratiquée. Tout au plus s’agit-il d’une prostitution occasionnelle, qui vient, dit joliment Didry, « limiter ls effets de la morte-saison ». En fait, leur sort n’est pas enviable, il ressemble quelque peu, en 1900 et jusqu’aux années 30 du XX° siècle, à celui des Canuts de Lyon, artisans-ouvriers en 1830. Le travail aux pièces constitue la base du travail ouvrier moderne. L’exploitation capitaliste se fait ici par l’exploitation du travailleur par le travailleur. On retrouve aujourd’hui un problème similaire avec la sous-traitance. Le travail à domicile n’a pas d’identité claire. Le contrat de travail, le droit du travail doivent contribuer à une égalisation des conditions juridiques de l’homme et de la femme, mais le catholicisme social veut néanmoins préserver la famille. Une législation se met en place avec les lois de 1915 et de 1917 sur l’industrie du vêtement : hausses des salaires, interdiction du travail aux pièces (qui continue néanmoins en douce ici et là), absence de sanction pour faits de grève. En 1928, les ouvrières à domicile sont systématiquement assujetties, par obligation aux assurances sociales, ce qui les conforte dans leur situation de salariées. On pense aux débats actuels aux Etats-Unis sur la mise en place de l’assurance obligatoire pour chaque travailleur et travailleuse (Quel retard!). En 1935, à la suite d’une nouvelle diminution de salaires, deux cents midinettes parisiennes se mettent en grève. La victoire est obtenue dans 21 maisons sur 24 : retrait des baisses de salaires, interdiction renouvelée du travail aux pièces, annulation de sanctions pour faits de grève.   En 1936, dix mille midinettes sont victorieuses ; est signé un contrat collectif qui propose la suppression du travail aux pièces et une hausse des salaires de 12%. La convention collective réglant les rapports entre employeurs de la couture et ouvrières en Seine et en Seine et Oise est signée le 10 Juin 36. « Je préfère, dit Claude Didry, trouver ces midinettes avant-gardistes sous les traits des ouvrières de Lejaby qui se battent aujourd’hui pour recréer leur emploi ». Monique Selim ne donne pas le nom de journalistes, mais de « tâcheronnes de presse » à de jeunes femmes de la ville de Canton et tente de montrer leur position entre domination politique et assignation sexuelle. « Nos jeunes journalistes, dit-elle, sont un produit typique de la croissance capitaliste chinoise. Les logiques émancipatoires sont imbriquées dans les dynamiques marchandes, aussi coercitives soient-elles lorsqu’elles se voient légitimées par l’Etat. Néanmoins « la conscience de ces actrices (et donc « tâcheronnes de la presse ») s’agrandit,s’autonomise présentement : fin de la soumission à une idéologie monolithique, ouverture au système globalisé de communication peuplé de flux contradictoires qui les font circuler ». Gisèle Lacaze, étudiant le cas de femmes mongoles, nous les montre saisissant l’ensemble des opportunités ouvertes par la multiplicité référentielle qui les caractérise depuis le socialisme, pour prendre en main leur destin. Elles sont majoritaires par mi les commerçantes à la valise du négoce frontalier avec la Chine et la Russie. Elles sont sur les parcours circulatoires sortant de Mongolie ; beaucoup d’entre elles préfèrent divorcer, rester seules, se marier avec un étranger ou se prostituer. On retrouve d’une autre manière le problème de la prostitution tel que le pose Pascale Absi. En Mongolie, il y a « crise de la virilité » et « fuite des femmes ».

Jean-Yves Le Talec s’interroge sur le visage de l’homosexualité dans le monde politique français. Le seul parti gay et lesbien français se nomme les Mauves, nous dit-il, sans que, pour notre part, nous le sachions, alors que nous aurions du le savoir. La visibilité homosexuelle dans le monde politique français ne date que de la  fin des années 1990, avec une légitimation militante entamée depuis longtemps, une délégitimation et un mouvement délégitimant réels et symboliques de la légitimation idéologique de l’homophobie, et une relégitimation sociale et politique dont le PACS est un exemple, un questionnement sur le « communautarisme »  homosexuel et de l’idée de « normalisation universaliste », une évolution simultanée des partis politiques et de l‘opinion publique (encore très homophobe). Le naturalisme est là aussi comme idéologie, la « culture » demeure massivement hétérosexuelle. Les politiques français proposent une image désincarnée, désexualisée et privatisée de l’homosexualité. Est requise une analyse, jusqu’à maintenant peu élaborée, des liens entre sexe, genre et sexualité. Tout changera, dit l’auteur, quand les gays et les lesbiens auront le courage de dire « nous ». Certes. Mais, ajoutons-le, ce ne sera pas suffisant. Le droit, les droits, la loi symbolique/réelle (nos repères communs universalisés et universalisables, notamment, en l’occurrence, l‘identité, l’égalité, la fraternité) les concernent autant sinon plus que tous et tout un chacun, puisqu’ils sont traités comme minoritaires, sinon comme grands délinquants (la peine de mort pour homosexualité existe encore dans onze pays du monde). Catherine Deschamps intitule son article Recherches sur la sexualité et le sida, sous les fourches caudines du néolibéralisme. C’est surtout de la sexualité dans toute son ampleur qu’elle nous parle (« phénomène social total », dit Balandier). comme en témoignent ses annonces : des pratiques sexuelles à l’identité  sexuelle : du faire à l’être ; une définition du néolibéralisme, définition difficile dans la mesure où les normes invisibles du néolibéralisme nous enveloppent ; les conséquences inattendues d’une recherche sur la maladie chronique, puisqu’il apparaît que d’une part, il y a passage d’une santé vue comme entrainant un droit à la santé à une santé vue comme un dû des citoyens à la société et que, d’autre part, à l’ancienne croyance que la maladie était une punition supra-naturelle s’est substituée la croyance que les individus peuvent et doivent contrôler leur propre santé ; quand le risque se mêle à la sexualité, le risque industriel peut se comparer au risque du sida dans une société du risque (Ulrich Beck) ; des malades agents ou jouets d’un changement de paradigme : il semble en effet, que le terme d’empowerment qui signifiait appropriation du pouvoir par des personnes concernées par un stigmate durable se retourne contre elles, puisqu’elles sont alors tenues responsables des méfaits qu’elles peuvent produire (le sida par exemple) ; les impensés du retour au sujet, avec sa nécessité, mais aussi son danger:le pur interactionnisme, l’instrumentalisation par le néolibéralisme et, ajoutons-nous, la mise entre parenthèses partielle ou totale du social et du politique ; le néolibéralisme en acte sur trois terrains sexuels : les travailleuses du sexe, les femmes hétérosexuelles à multiples partenaires et les prostituées. A ces catégories empiriques peuvent s’appliquer les « définitions » du néolibéralisme : aux travailleuses du sexe la concurrence, aux femmes hétérosexuelles à multiples partenaires le crédit, le consensus et l’appréciation, aux prostituées le profit, la concurrence et l’intérêt ; au delà du néolibéralisme la dette incalculée et incalculable : « Les dons et contre-dons sont d’autant plus incalculés et incalculables que la durée et l’engagement entre deux personnes s’installent »,« Les transactions conjugales ne sont peut-être pas toujours tant le signe d’une domination que la marque de la construction de l’attachement au delà de la classe de sexe », « La dette incalculée et incalculable, symptôme des attachements longs, affectifs ou non, existe, quels que soient les modèles économiques ; cette dette précède le néolibéralisme et continue d’exister, bien qu’il soit sans doute devenu le paradigme majoritaire ». En disant qu’elle se place à contre courant de Marcel Mauss, Catherine Deschamps oublie que si Mauss parle du don dans son article, il parle surtout du don pour l’échange, en oubliant, lui, quelque peu, le don pour recevoir qui n’entraîne aucune dette sinon ce n’est pas un don pour recevoir. Mais elle reprend aussi implicitement, peut-être sans le savoir, la question de la légitimation et de la légitimité sociales et politiques (non idéologiques) où, notamment la dette incalsculée et incalculable suppose nécessairement un don, mais aussi un renoncement qui peut prendre figure de dette près du bénéficiaire du don.

Analysant sexe et genre en Guadeloupe et en Guyane, Françoise Guillemaut note qu’il ne suffit pas, en l’occurrence, d’étudier les traditions locales, La modernité regroupe les questions de genre, de sexualité et de parentalité dans ce que l’auteure appelle « un dispositif de sexe et de genre créolisé ». L’imposition de la subjectivité occidentale au détriment de celle, créolisée, construite par les populations dominées, révèle une forme de « colonialité du pouvoir » incluant un « bio-pouvoir colonial ». Il y a une dynamique du pouvoir et du contre-pouvoir : résistance à l’imposition de la norme subjective occidentale de la sexualité, forme d’adhésion, au moins dans le discours, à cette norme, le plus souvent au détriment des femmes, mais aussi, plus récemment, à celui de certains hommes. Nicolas Forstenzer aborde le problème de la revendication d’égalité des sexes dans la politique chilienne. Il montre que l’entrée des femmes dans le système politique s’est toujours produite à des moments de crise de ce système, compte tenu des attributs traditionnels de la féminité, notamment la maternité. « La prise en compte de la construction d’égalité des sexes est parcourue d’une tension entre modernité et individualité. Cette tension est devenue conflit ouvert dans le cadre d’une action publique de genre, depuis le retour de la démocratie en 1990. Cette situation a évolué au cours des dernières années. Elle se positionne, avec d’autres mobilisations, pour le rejet de l’impunité et pour les revendications d’une démocratie de qualité. A propos des controverses autour du « mariage pour tous » dans la presse nationale quotidienne française, Maxime Curville montre notamment que la vieille stratégie de l’opposition à la réforme du mariage se donne comme support les logiques qui soutiennent les discriminations ethno-raciales d’une part, la division sexuelle du travail de l’autre. La controverse donne à voir la place centrale des inégalités de sexe dans le cadre d’une légitimation (idéologique) et d’une publicité des positions au sein de la sphère publique. Zahra Ali étudie le statut des femmes dans l’Irak post-Saddam. Si l’on s’en tient aux conclusions qu’elle nous donne – la teneur de l’article les confirme largement – , il apparaît que les débats autour du code du statut personnel sont liés, en Irak, à la fragmentation de la citoyenneté irakienne (summites, chiites, arabes, kurdes, etc.). Ils sont liés aussi, dit l’auteure, à la dimension géopolitique qu’implique   la mobilisation autour des droits des femmes dans un contexte marqué par une occupation menée par les Etats-Unis. Il y a fracture entre militants laïques et militants islamistes, aussi bien du point de vue du discours politique que de la rhétorique idéologique. Mais, dans l’après 2003 en Irak, elle est marquée par une crise politique à teneur communautariste et une occupation étrangère. Cette crise joue du droits des femmes et sur-politise les positions relatives aux questions de genre. Il y avait un code en Irak, datant de 1958, code légal, séculier, d’inspiration égalitariste. Pourquoi ferait-il aujourd’hui l’objet de débats ? La réponse tient aux réalités, d’ aspects différenciés, vécues par les femmes et les hommes. Les différents aspects sont d’abord la question coloniale et post-coloniale. Or l’argumentation autour des droits des femmes est attribuée aujourd’hui à des visées venues du dominant étranger (les Etats-Unis). Ensuite, deuxième aspect, la question démocratique : les militantes irakiennes savent, en se mobilisant, que « l’espace démocratique permet l’ existence d’une société civile nécessaire à la défense du des droits des femmes ». Enfin, troisième aspect, la question des rapports de pouvoir politiques nationaux et internationaux. Il faut désislamiser notre lecture. Les questions de genre reflètent des rapports de pouvoir politiques, voire géopolitiques. Ajoutons que le choix du dispositif civil/civique relève de l’épistémologie, en présumant un déplacement de la domination par des nouvelles substantialisations et par les normes de genre.

Mathieu Gaulier, Anne Querrien et Monique Selim étudient successivement la signification des termes féminin et genre dans le cadre des politiques globales et nationales (Maroc, Mexique, Chine), les contradictions internes entre égalitarisme et dispositif propre aux femmes. les résistances à l’intégration du genre, l’inefficacité des normes de genre sur le champ du travail. Selon les auteurs, la féminisme est abandonné pour un travail expert sur le genre. Le genre devient ainsi le synonyme de femmes. Une visibilité sexuelle doit être choisie, statuée, car elle est dépositaire de l’identité et, une fois sélectionnée, elle est un support de revendications. Avec le genre, les femmes ont compris que leur appartenance de sexe est un authentique handicap et une forme d’imposition éthique altérisante. Le genre ne cesse de s’internationaliser, pour mieux séparer , être plus visible et surplomber l’organisation de la connaissance et des pratiques. On parle aujourd’hui, en différents pays, de féminisme d’Etat. En France, le gouvernement inscrit un fantasme d’intégration des femmes dans le construit d’une idéalité nationale destiné à refouler les étrangers. Les hommes et les femmes sont, sous tous les cieux, dupes de ces promotions étatiques des droits des femmes dont l’existence est précisément d’apparaître comme le fruit d’une juste utilisation, d’une part des machines économiques et, d’autre part des machines politiques – et ajoutons idéologiques LMB – dans lesquelles elles se moulent. La lecture communautariste, en imposant les appartenances et les identités, commande de fait le cadre politique de production des rapports sociaux de sexe et l’importance de la forme d’Etat – démocratique autoritaire (et, ajoutons,démocratique oligarchique LMB) – dans l’adhésion des femmes aux modèles de genre. On le devine, toute l’ambiguïté du problème du genre apparaît dans ce premier axe, comme le dit Monique Selim : « Les manières nouvelles de comportements sont proposées aux femmes, proches du monde global qui est celui des hommes. Le genre réserverait donc les postures de la réaction conservatrice à tous ceux et celles qui dénient aux autres le droit de se penser et de se dire féministe. Le deuxième axe concerne le marché. Le don serait, de façon rémanente, convoqué pour s’affranchir de la toute-puissance du marché. Dans ce cadre, la sexualité n’est pas une recherche de plaisir partagé, mais une nécessité biologique assurant la bonne tenue du corps. L’orgasme ne serait plus qu’une affaire de technique masturbatoire, du moins en théorie ». Selon les auteurs, le genre comme norme de gouvernance pourrait apparaître idéologiquement sous le jour merveilleux d’un appel à une libération dont le désir actuellement enfoui, refoulé, resurgirait éblouissant. Sous le genre se place donc la démocratie. Thématique qui s’adresse à d’autres peuplant une société civile totalisante dont témoigne aussi le développement de groupes homosexuels fondés sur la communication numérique. Au Mexique,dit Mathieu Gaulier la conception du genre serait un norme prégnante de pouvoir. Elle coordonne aujourd’hui l’intervention des minorités dans l’éducation, la santé, la politique familiale. Pourtant, le statut économique et politique des femmes n’a jamais été aussi menacé que dans les dernières années de crise sur fond de guerre civile entre les cartels. L’Etat et les militaires sont les auteurs de la violence qui touchent directement les femmes. En France, la politique du care qui oublie la présence de femmes dans d’autres secteurs que le sanitaire, contribue à l’essentialisation de la condition féminine, à son enfermement dans un « éternel féminin », alors que la lutte féministe voulait faire échapper les femmes à cet héritage pervers. Deux axes majeurs mettent en scène passions, conflits, anathèmes : le premier pousse la singularisation au delà de ce que le mot d’ordre avalise ; le second s’accompagne du meurtre contre les préceptes de la «morale » de base. Les propriétaires singularisés sont l’ avant-garde de la gouvernance globale. Les femmes, comme les pauvres, sont mises en condition dans un marché fort rentable, en mouvance permanente. Le genre a contribué à détourner individus et groupes de l’idéalité financière, pour les fixer sur leur propre narcissisme (quel sens aura ma vie ?). En soi, l’idée de genre a eu l’avantage , comme le soulignait Nicole-Claude Mathieu, de débiologiser le sexuel et la différence sexuelle, en rappelant que le sexe et la sexualité sont construits. Mais, comme le montrent les auteures, le genre a été récupéré tant par l’excès de domination sociétale que par le capitalisme. On ne peut que souscrire à leur conclusion. Dégenrer les femmes, défaire le genre pour refaire du nouveau, serait plus vu comme une construction, mais aussi comme un « désir naturel ». Remarquons que le déplacement de l’excès de domination est particulièrement à retenir, si l’excès de domination et surtout la domination passent effectivement par un désir. Ce que l’on peut admettre. En effet, on n’a jamais parlé que de domination illégitime, illégale, inhumaine, a-humaine, en oubliant la domination et le désir de domination légal, légitimant, légitime, humain.

Par exemple celui de faire   descendre quelqu’un (enfant ou adulte) du bord d’une fenêtre sur lequel il est monté, et cela sans lui demander son avis. Désir de domination s’il en fut. Il y en a d’autres. Le désir de domination dans le sado-masochisme – qui n’a rien de naturel comme l’a montré Deleuze – ne se conçoit que dans le consentement mutuel d’une part, et, d’autre part, jusqu’à un degré qui ne cause à autrui aucune blessure grave et encore moins puisse entrainer un risque de mort. Dans ce contexte, il est légal, légitime et humain et relève de pratiques sexuelles parmi d’autres Mais la pensée des auteures n’est pas là. Ce qu’ils voient bien, c’est que le déplacement de la domination vers des formes internes aux femmes, formes inhumaines, intégrées à des catégories identitaires dites post-coloniales mène vers un espace vide, hors structures, institutions, rapports sociaux, où les transgressions n’ont aucun effet sur la forme   des sociétés. Le pouvoir, la hiérarchie demeurent en circulant, conservent la domination ontologisée. L’identité financière constitue le principe fondamental de réalité dont le genre s’est à la fois emparé et détourné. Le déplacement de la domination (de ce que nous appelons l’excès de domination) laisse intact l’organisation économique. La microfinance, comme l’a montré Isabelle Guérin, a concerné au plus près des individus et des groupes minoritaires ; elle s’est dotée, au dessus des rapports sociaux, d’une efficacité autant symbolique qu’idéologique déterminante. Ledéplacement de la domination s’est fait sur d’autres formes, non plus celles du féminisme et des luttes revendicatrices contre le racisme, le sexisme et le machisme, mais sur des formes, toujours internes au femmes, mais plus intimes. Christine Delphy, dans sa critique du féminisme post-moderniste, relève que la domination a désexualisé la sexualité, métamorphosée en droit sexuel. Dans le même moment, s’opère une substantialisation de l’appartenance. Contre cette substantialisation, les Femen, qui sont à la fois anti-capitalistes, mais aussi anti-nationalistes cultivent une technique de retournement du sens usuel : les seins, dénudés en public, deviennent symbole provoquant et inversé d’une volonté de destruction des socles sociaux, politiques, économiques et symboliques du patriarcat. La forme sexuelle de leur combat est totalement désexualisée. La sexualité devient service, don, droit. Leur nudité est ici anti-sexuelle. Elle oeuvre contre des identités diffamées. La fidélité aux appartenances de sexe, de communautés substantialisées ne souffre pas le « trouble dans le genre » (Judith Butler). Le trouble dan le genre   désessentialise les sujets. Le « bon genre » doit respecter la « bonne gouvernance » globale. Dépendance et soumission, d’un côté, et, de l’autre, communautarisme et culturalisme, le genre devient une affaire de substance, d’éthique. « Dégenrer les féminismes, défaire le genre pour refaire de nouveaux féminismse pluralisés, saisissant à plein corps les dominations articulées et globalisées (nous dirions les excès de domination particularisés et globalisés), démasquant les subterfuges, retotalisant les soulèvements et les révoltes, telle pourrait être la façon, à ce jour, de découvrir les chemins transversaux de la liberté dans un monde sans frontières ni identités imposées, sans communautés ni destinées contraintes ». Les auteures ajoutent : « brassant les multitudes ». Oui, pour qu’un jour les multitudes (dont nous faisons partie) parviennent à se brasser elles-mêmes, c’est-à-dire à mieux maîtriser a minima le politique, l’économique, le social et la politique.