Emmanuelle Kalya Tall : Le condomblé de Bahia, miroir baroque des mélancolies postcoloniales, Paris, Editions du Cerf, 2012


Recension par Louis Moreau de Bellaing

Emmanuelle Kalya Tall : Le condomblé de Bahia, miroir baroque des mélancolies postcoloniales, Paris, Editions du Cerf, 2012

Les historiens ont souvent abordé la question de la traite entre, d’une part, la Grande Bretagne, l’Espagne, l’Afrique et, d’autre part, les colonies du Sud de l’Amérique du Nord, de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud. Beaucoup moins de la traite entre le Portugal et l’Amérique du Sud. Lorsque l’auteure de ce livre prend comme sujet de recherche le condomblé de Bahia, c’est dans la perspective de cet esclavage-là qu’elle se situe.
Une première difficulté se présente à elle : celle du syncrétisme. Roger Bastide et Pierre Verger, anthropologues, en avaient fait l’explication du condomblé : un métissage, un mélange entre des sacrés africains, notamment celui des Yorubas, la religion catholique et des éléments de sacré venus des Amérindiens. Déjà André Mary, dans des travaux sur le Gabon (La Naissance à l’envers) et dans ceux sur le bricolage religieux, avait montré que, plutôt que d’un syncrétisme, il s’agissait en Afrique d’une superposition entre des éléments de sacrés africains et la religion chrétienne apportée par les missionnaires. Travail symbolique, donc, beaucoup plus que bricolage ou syncrétisme.
Emmanuelle Kalya Tall nous offre, elle, deux perspectives nouvelles : la première c’est qu’il faut replacer le condomblé dans un axe historique qui est celui des relations, au XVI° et XVII° siècles, entre la colonisation portugaise, le Concile de Trente et le rapt, en Afrique, de populations esclavagisées et déportées.
Tout le début du livre est une description minutieuse des cérémonies du condomblé, dans l’une des «maisons» à Bahia, où il est montré, à travers un personnage Toluayê qui assure la charge cérémonielle, comment se côtoient différentes pratiques religieuses dont la transe. La deuxième partie traite plus précisément de cet axe historique qui, au XVI° siècle, a mis en relation esclaves africains, populations amérindiennes et colons chrétiens portugais. L’auteure insiste sur le fait que la Contre-Réforme tridentine ne fut pas tant une réaffirmation des dogmes du catholicisme face au protestantisme – comme on le pense couramment – qu’une série de réformes de l’Eglise et du catholicisme lui-même.
Le troisième temps du livre qui lui donne, à notre avis, tout son sens, est l’analyse de la subjectivité née de «ces configurations baroques des croyances». S’appuyant sur les travaux de Louis Marin qui étudie des représentations en miroir, se réfléchissant les unes dans les autres et créant une nouvelle réflexivité, Emmanuelle Kalya Tall montre comment «se regardent» dans des représentations croisées en miroir les esclaves africains, les Indiens asservis et les colons portugais chrétiens. Mais ce qu’elle note, c’est la nostalgie des esclaves transplantés à fond de cale, durant une longue traversée, d’Afrique en Europe, puis en Amérique, et celle des Indiens asservis face à la toute-puissance du colon chrétien portugais. Cette nostalgie mélancolise le lien social et la subjectivité individuelle, comme le montre par ailleurs le psychanalyste Olivier Douville, et peut aboutir à des suicides. Le condomblé serait alors, peut-être, un effort, pour les exilés, vers une une recherche de sens, pour conjurer les «mélancolies postcoloniales. Mais s’agit-il réellement d’une resymbolisation?
Il faut lire ce livre riche et nouveau. Nous n’en donnons qu’un pâle résumé. L’alliance de l’anthropologie et de l’histoire dans une analyse de la subjectivité (qui aurait pu être poussée plius loin, mais ce n’était pas le choix de l’auteure) y est particulièrement réussie et pourrait orienter d’autres travaux, pour mieux comprendre ce qu’est aujourd’hui le sacré religieux.