Frédéric Reichhart, Tourisme et handicap, le tourisme adapté ou les loisirs touristiques des personnes déficientes, Paris, L’Harmattan, 2011


Recension par Louis Moreau de Bellaing

Frédéric Reichhart, Tourisme et handicap, le tourisme adapté ou les loisirs touristiques des personnes déficientes, Paris, L’Harmattan, 2011

Il faut sans doute entendre le titre dans le sens d’une alternative. En effet, le tourisme adapté concerne massivement dans les faits les personnes déficientes pour qui sont organisés des loisirs touristiques dans le prolongement des actions d’établissements ou d’associations spécialisés. Les loisirs touristiques des personnes déficientes relèvent plutôt d’un tourisme ordinaire (l’expression est de nous), mais se soucient un peu plus de celles et de ceux qui n’entrent pas dans les normes (bonne tête, bon pied, bon oeil, etc.). A ce titre, les personnes handicapées mentales ont plus de chance d’y participer que les déficients visuels et les «fauteuils roulants».
`Ces distinctions apparaissent dans le livre au fur et à mesure que l’auteur avance dans son inventaire, à  la fois anthropographique et historique, des possibilités offertes à celles qu’il appelle les personnes déficientes (en les distinguant des personnes intègres) de bénéficier, comme tout un chacun, de loisirs touristiques;
L’ouvrages est divisé en huit parties (chapitres) qui vont tenter de présenter ce que recense l’auteur, mais surtout de l’analyser. Il s’agit pour lui «d’identifier, de recenser et de thématiser l’ensemble des modalités touristiques pratiquées par les personnes déficientes», «d’analyser les idéologies qui sous-tendent ces modalités», «d’indiquer l’évolution et la constitution de ces activités en termes de continuité et de rupture» (p. 20).
Le premier chapitre est consacré aux déficiences motrices, le second aux déficiences mentales, le troisième aux déficiences sensorielles, le quatrième aux services institutionnels, le cinquième au scoutisme d’extension, le sixième aux colonies de vacances, le septième au tourisme sectoriel, le huitième au tourisme intégré.
Dans le chapitre sur la déficience motrice, l’auteur note que c’est «la mobilisation associative relative aux tuberculeux qui (a) contribué à l’apparition et au développement des loisirs des personnes déficientes» (p. 56). Mais, c’est, en 1936, l’APF (Association des Paralysés de France) qui organise des «camps» pour les personnes paralysées. En 1950, elle crée le service APF Evasion qui «diversifie une large offre de séjours pour répondre à presque toutes les situations relatives à une déficience motrice». En 1960, la pratique des transferts en séjours d’été ou d’hiver se développe dans les établissements médico-sociaux et, de 1960 à 2 000, par de multiples petites associations. Il va de soi qu’il s’agit d’un tourisme adapté et non d’une participation au tourisme ordinaire. Avec des problèmes de surcoût dus à l’accompagnement.
A propos des déficients mentaux, l’auteur montre les orientations distinctes de l’APAJH (Association pour Adultes et Jeunes Handicapés) et de l’UNAPEI (Union Nationale des Amis et Parents d’Enfants Inadaptés). L’UNAPEI préconise une signalétique qui permette aux personnes handicapées mentales de se repérer, mais surtout de «répertorier et de montrer les structures accessibles» (p. 79).Le pictogramme S3A (Symbole d’Accueil, d’Accompagnement et d’Accessibilité)- confirme cette visée informative de l’UNAPEI. Notons que l’APAJH, en lien avec des associations ou organismes, s’efforce de créer des séjours intégrés c’est-à-dire de tourisme ordinaire.
Les déficients sensoriels sont les déficients visuels et les déficients auditifs. Reichhart montre admirablement comment l’idéologie validocentriste (en l’occurrence celle de la «vue sacralisée») fait croire que, pour la personne déficiente visuelle, ne voyant pas (elle est à distinguer, note l’auteur, des mal voyants et des amblyopes), il n’y a aucune nécessité à faire du tourisme. C’est oublier qu’elle entend, qu’elle sent, peut toucher, goûter les saveurs, qu’elle parle, etc. C’est méconnaître le désir, le besoin, le plaisir des personnes déficientes visuelles. Des associations (par exemple l’association Braille et Culture) organisent des séjours et certaines se spécialisent vers des finalités sportives et culturelles. Il peut y avoir un surcoût du à la nécessité d’un accompagnateur. Pour les personnes déficientes auditives, il s’agit de communication et de rapport à l’autre. Le «tour operator» ACTIS est spécialisé dans le tourisme des personnes sourdes. L’information est faite notamment par le Centre de Protection Sociale des Adultes Sourds (CPSAS) et par sourd.info sur Internet. Là encore, il peut y avoir un surcoût dû à la nécessité d’un accompagnement. Dans les deux cas ( vue et audition), il s’agit surtout d’un  tourisme adapté dont les modalités varient selon le degré de l’incapacité visuelle ou auditive.
Les séjours institutionnels sont encadrés par des établissements médico-sociaux et hospitaliers. L’auteur nous dit « (qu’) ils relèvent de l’histoire de l’éducation et de la psychiatrie, de l’évolution et de la prise en charge de personnes déficientes au sein de notre société et surtout du développement des institutions». Ils s’articulent directement à la problématique de son ouvrage. Les séjours institutionnels destinés aux enfants sont des transferts et «s’inscrivent sous le paradigme de l’accompagnement éducatif». Les séjours adultes s’inscrivent également sous ce même paradigme  mais pas sous la même réglementation. Enfin, en milieu psychiatrique, les séjours sont dits thérapeutiques. Ils sont éducatifs dans le cadre de l’accompagnement de l’usager au sein du secteur médico-social. L’auteur insiste sur d’autres séjours qui comportent une héroïsation de l’usager en vue de «briser l’image d’incapacité, d’assisté, de fragilité associée à la déficience» (p. 140).
Le scoutisme d’extension est sans doute la plus mal connue des modalités de loisirs pour personnes déficientes. Il est marqué bien sûr par l’idéologie propre au scoutisme (ouvert à tous, mais avec une attention aux personnes faibles qu’il faut stimuler et dynamiser, selon Baden-Powell). Les actions font référence à des modalités structurées sous la forme de services ou de secteurs, mais aussi à des modalités informelles résultant d’actions localisées. Les enfants déficients  peuvent être intégrés au sein d’unités mixtes  (scouts déficients et scouts intègres). Pour ceux de plus de seize ans, les unités Vent du large, les unités sont axées sur une logique de pratiques sectorielles (non intégrées). Les EEDF (Eclaireurs et Eclaireuses de France) organisent des séjours inter-personnes déficientes (adultes et enfants) mais il peut y avoir aussi une intégration au cas par cas. La déficience mentale y domine largement la déficience sensorielle et la déficience motrice.
Les colonies de vacances, qu’elles soient laïques ou confessionnelles, mettent en lumière une bipolarité : «colonies dites intégrées, colonies dites sectorielles». Au niveau des colonies de vacances, APF Evasion ainsi que l’APAJH proposent des «colonies intégrées».
Le tourisme sectoriel (non intégré) a été influencé par les associations, notamment celles adhérentes au Conseil National des Loisirs et du Tourisme Adapté (CNLTA) et par l’intervention de l’Etat (loi du 11 Février 2005). Il marque l’importance de l’encadrement qui suppose formation, statut et reconnaissance financière. Mais la reconnaissance de l’encadrement risque d’entraîner un surcoût nuisant à l’équilibre financier des associations et des organismes.. La position du CNLTA se définit par un encadrement non rémunéré (bénévoles animés par « le militantisme, l’altruisme, la recherche d’expérience ou la construction d’un projet professionnel» (p. 227). La loi de 2005 porte sur l’organisation  des séjours, mais non sur la question de la compétence ou d’une obligation de formation de l’encadrement.
Si le tourisme intégré est un moyen d’éviter la stigmatisation des personnes déficientes, il peut avoir aussi ses propres modalités : partir seul, en famille ou avec des amis.  Mais bien sûr ces modalités sont conditionnées par l’accessibilité de l’offre touristique généralisée. Outre des offres dispersées et peu utilisées, depuis 1998 l’Etat tente de développer le droit aux loisirs et aux vacances pour tous. En 2001, est créée une délégation de compétence du Secrétariat au Tourisme, l’Association Tourisme et Handicap rassemblant des instances représentant des personnes déficientes, mais aussi celles inscrites dans le secteur touristique. Le rapport Gagneux sur le Tourisme et le Handicap, de 1999, donne lieu à l’élaboration d’une charte au nom de laquelle des labels garantissant  une accessibilité sont délivrés à des lieux, équipements, sites, etc. Ils se substituent au pictogramme «fauteuil roulant» devenu obsolète. Néanmoins la labellisation d’ATH ne parvient pas à s’imposer comme dominante et fédératrice. Enfin un module de formation apparaît dans le BTS (Brevet Technique Supérieur) Tourisme.
L’auteur note en conclusion que, dans le rapport Tourisme et Handicap, c’est la question du vivre ensemble et de la cohésion sociale qui est posée. S’y instituent le droit, la liberté, l’égalité, le libre arbitre, le choix et l’autodétermination. Les actions associatives sont progressivement complétées par l’intervention de l’Etat. La difficulté apparaît dans l’ajustement entre les caractéristiques , degré d’incapacité de la personne déficiente et  l’accessibilité à l’environnement. Il n’y pas deux blocs distincts: le tourisme adapté et sectorisé d’une part, la tourisme intégré d’autre part, mais la nécessité d’une complémentarité entre l’un et l’autre.
Ce livre – dont nous ne donnons ici qu’une brève synthèse – est non seulement une contribution importante à la sociologie et à l’anthropologie du handicap, mais un apport précieux à la socialisation des personnes déficientes.