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Georges Zimra, Les religions à l‘épreuve de la modernité, Paris, Editions nouvelles Cécile Defaut, 2017
Recension par Louis Moreau de Bellaing
Georges Zimra, Les religions à l’épreuve de la modernité, Paris, Editions nouvelles Cécile Defaut, 2017
Sur fond de rupture moderne, avec le refus de la religion dans la politique, Georges Zimra fait à la fois le bilan historique et l’état présent des trois grands monothéismes, le christianisme (et son avatar le protestantisme), le judaïsme et l’Islam. Cette rupture commencée aux Etats-)Unis et en France fut confirmée en France par la loi de 1905 séparant les Eglises de l’Etat, puis peu à peu dans des pays européens, américains du Nord et du Sud, Dans ce livre, aucune déploration sur l’effacement des religions dans la politique, voire dans le politique lorsqu’il se produit, ni tellement sur la perte des repères qu’a entraîné cet effacement, mais plutôt une insistance sur la conscience nouvelle qui s’impose : « Plus nous avançons, dit l’auteur plus nous nous éloignons de nous-même, plus augmente notre mystère, notre complexité, notre incommensurable humanité. A l’inverse, plus l’homme fait du seul passé son présent, plus il est vulnérable, plus il n’est que ce qu’il a été ».
Dès l’introduction, l’auteur présente successivement la déchristianisation et ce qu’on a appellera crise de la modernité, crise qui a marqué également les deux autres monothéismes, mais sans y mettre radicalement en cause, au moins pour certains peuples, la religion dans la politique et le politique. Mais Zimra fait remarquer que les Juifs en Europe et leur diaspora étaient à la pointe de la modernité. Ce ne fut pas par l’anti-judaïsme que le christianisme lutta, après la rupture « moderniste », contre ls judaïsme. C’est la déchristianisation qui, peu à peu, remplaça l’anti-judaïsme par l’antisémitisme, c’est-à-dire par l’idée de race. Le passage, dans la modernité, de la religion au religieux (qui s’est marquée dans les trois monothéismes) concerne encore la plus grande partie des populations dans le monde. Le confessionalisme est reconnu, au moins dans les démocraties oligarchiques, les seules ayant existé et existantes actuellement. Zimra fait un bref historique du judaïsme et de l’Islam dont l’histoire est moins connue que celle du christianisme. « Une judéité sans judaïsme est-elle possible ?, se demande l’auteur. Contribuerait-elle à définir la modernité ?. Excès sur le judaïsme, mais aussi sur les autres modes d’appartenance, ne serait-elle pas le paradigme de ce qui ne finit pas ? «. Quant à l’Islam, on peut s’interroger sur son désir, non de modernisation de l’ islam, mais d‘islamisation de la modernité. L’islam refuse l’islamisme, mais reste coincé, si l’on peut dire, comme religion du Livre, les sourates du Coran étant imprescriptibles. Mais on assiste aussi à une islamisation de la radicalité qui, dit l’auteur, n’est d’aucune racine, d’aucun sens sinon d’un nihilisme qui emprunte les voies de l’hyper-modernité, pour inventer un discours à ceux qui sont sans histoire, ni mémoire, ni culture, abandonnés sur la route de l‘histoire. A cette islamisation de la radicalité, on peut ajouter, selon moi, la radicalisation de pseudo-religions ou religions séculières telles le fascisme, le nazisme, le stalinisme, le maoïsme auxquels le libéralisme économique emprunte, comme il le fait pour les monothéismes, certains de ses modèles.
Dan son premier chapitre consacré « au christianisme face à la modernité », l’auteur montre bien, ne serait-ce que par l’articulation de ses rubriques comment, dès la Renaissance, une bascule se fait entre le divin et l’humain politique (au sens du politique), politique (au sens de la politique) et social. C’est cette rupture qui, créant dans le dispositif extériorisé à l’humain, des discontinuités et des fractures, va aboutir aux Révolutions américaine et française et à l’accomplissement du type de société moderne que nous commençons à vivre actuellement depuis deux siècles et des poussières. Voici les rubriques proposées par Zimra : l’ébranlement de la modernité, les origines religieuses de la Révolution française, la religion républicaine, le Nouveau et l’ancien, la sortie de la religion : de l’incarnation à la représentation, la République et l’étoile, l’Eglise face à la modernité, la religion : illusion ou transmission, critique de la modernité.. Je reprendrai seulement certaines de ces rubriques. Celle sur l’ébranlement de la modernité me paraît l’un des plus importantes. C’est la modernité qui ébranle l’Europe de l’Ouest, ce n’est pas la modernité naissante qui est ébranlée. La modernité ébranle par des auteurs : Jean Bodin et son concept de souveraineté qui ne met plus rien d’autre au dessus du souverain défendant l’intérêt général que la puissance de Dieu, Hobbes qui reconnait, au nom de la religion, l’autonomie de l’individu, mais qui, dans le même temps, donne, par le Léviathan, à la politique son propre statut. Le Leviathan participe quelque peu du divin, mais le Contrat se fait entre humains, Avec John Locke, « les droits de l’individu sont déliés de toute appartenance religieuse ».
Mais l’ébranlement moderne vient aussi de la Réforme. L’acquisition par les bourgeois d’indulgences leur vaut le Salut sans l‘absolution, Luther déclare que les oeuvres accomplies ne peuvent pas mener au Salut. C’est un homme bon et juste qui fait des oeuvres bonnes et justes Luther s’adresse à l’homme du commun au marché, à la femme à la maison, aux enfants dans la rue. La coupure qui traverse le christianisme affirme une autonomie du sujet, une libération de la tutelle morale, politique, spirituelle et monarchique que l’Eglise faisait peser sur le peuple. Max Weber dit que la foi ascétique constitue le plus puissant levier de l’esprit du capitalisme. Ce qui peut se discuter, si l‘on prend en compte la fraude que représente trois siècles d’enclosures. où ce n’est pas la foi ascétique qui légitime lords et marchands. Mais Weber note, à mon avis fort justement, que « l’ouvrier accepte sa condition parce qu’elle vient du décret divin ». La révolution française a commencé à chasser Dieu de la cité, mais non la Révolution américaine En Amérique du Nord il s’agit de rentrer dans un présent sans passé, un présent sans histoire, en un temps continu sans cesse renaissant. .L’Amérique est la version originale de la modernité entièrement tournée vers l’avenir. Elle est en quelque sorte la terre promise.
Zimra voit dans le jansénisme, sans doute par rapport aux travaux des historiens, l’une des origines de la Révolution française. Effectivement, le jansénisme prône l’individualité, l’autonomie personnelle, s’opposant aux Jésuites qui prêchent un humanisme beaucoup plus conforme à la royauté absolue de droit divin et adhérant pleinement aux réquisits de l’Eglise<.. Mai Zimra montre bien que, dès le XVIII° siècle , la philosophie tend à remplacer la religion, en affirmant précisément les valeurs du jansénisme et en les amplifiant. Son commentaire du Vicaire savoyard de Rousseau est, à ce titre, intéressant, puisque Rousseau réduit la religion à ses rites,, sans plus exiger la croyance. Il fait en quelque sorte du rite l’explicite, le seul explicite du lien social, sans qu’il n’y ait plus, désormais d’implicite. Selon Edgard Quinet et la préface que Claude Lefort donne à son livre, les révolutionnaires et notamment Robespierre ont peur de faire disparaître totalement le repère divin, Ils maintiennent tant bien que mal l’Etre suprême. De ce non choix résulte, dit Zimra, deux nations, le peuple du préjugé, de la superstition et du mensonge, et le peuple de la raison, de la sagesse, de la vérité. Mais les clairvoyants doivent respecter les aveugles. Zimra laisse un peu de côté la question du régime politique lorsque ce dernier se veut au moins démocratie oligarchique. La croyance et le savoir peuvent s’y opposer, sans se détruire mutuellement.
De ce chapitre sur le christianisme, je retiens la rubrique « La sortie de la religion : de l’incarnation à la représentation ». Elle reprend en grande partie la théorisation de Gauchet, initiée par Lefort, et qui montre effectivement que la Révolution Française fait table rase de l’édifice construit par le christianisme et l’Eglise, édifice qui donnait à l’Ancien Régime toute sa force. Depuis le Moyen Age, le roi l’était de droit divin, mais, comme l’avait noté Elias, le roi de France au X° siècle était celui d’un petit territoire qui couvrait à peine l’IIe de France. Sa grande préoccupation était que l’un des seigneurs locaux ne vienne pas couper les relations entre son propres territoire et la ville d’Etampes. Mais ce que Gauchet et Zimra ont bien vu, c’est qu’à partir du moment, grosso modo au XVI° s, où les Etats européens reprennent la notion d’intérêt général venue de la bourgeoisie née au XIII° siècle, la souveraineté de l’Etat prend, avec Bodin, tout son sens puisqu’elle est ce qui n’a rien au dessus d’elle hormis Dieu. Qu’est-ce qui pouvait ruiner une construction désormais aussi solide telle qu’elle s’établissait dans de grands Etats unifiés, comme la France, l’Espagne, ou la Grande Bretagne ? Il y fallut, non seulement la philosophie allant de Descartes, à John Locke et aux Lumières tendant à se substituer à la religion, philosophie qui avait partie liée avec l’essor de la bourgeoisie acharnée à entrer dans la noblesse, mais jouant aussi son propre jeu, pour qu’une partie de la population française (les paysans) acceptent 1789, mais surtout pour que 200 000 artisans combattent directement les tentatives de maintien du pouvoir royal sous son ancienne forme et parviennent à le déloger et à proclamer, en dix minutes –les archives de la Convention en font foi– la République. Mais, à mon humble avis, cela ne suffit pas à justifier l’expression « sortie de la religion « .Si les droits de l’individu-citoyen s’affirment, ainsi que son autonomie, s’il y a non seulement abolition des privilèges mais constitution de nouvelles unités territoriales, de municipalités (remplaçant le curé de village pour l’état civil), c’est que quelque chose s’accomplit qui ne s’était pas encore accompli ni en Grande Bretagne lors de la Glorieuse révolution en 1688, ni aux Etats-Unis avec la Constitution de 1787 qui sépare, pour la première fois, les Eglises (autrement dit la religion) de la politique. Mais les Etats-Unis demeurent un pays religieux. En revanche, en France, la déchristianisation qui était déjà commencée, selon l’historien Roger Chartier, depuis le début du XVIII¨siècle, notamment chez les paysans, va évacuer, dans la Déclaration des Droits de l‘Homme et du Citoyen, le Dieu créateur. Les créations politiques, aux deux sens du terme politique, le politique et la politique, se font par les êtres humains et entre eux. sous les auspices de l’Etre suprême. Autrement dit, à cet Etre suprême, il ne reste rien et Pie VI ne s’y est pas trompé en condamnant la Déclaration et la Constitution civile du Clergé.
Ce que dit un peu Zimra et que Gauchet n’a pas dit, ce que je me permet de dire, c’est que ce n’est pas seulement le théologico-politique qui s’écroule, mais le dispositif sacré/profane. Or, en 1789, c’est la première fois que cela se produit ; Gauchet a raison de dire que l’écroulement du théologico-politique est brutal, imprévu (c’est moi qui ajoute ce mot), mais Zimra a aussi raison de laisser entendre que c’est plus que le théologico-politique qui s’écroule. La révolution française est, beaucoup plus que la révolution américaine, le moment, l’accomplissement de cet écroulement, et non son commencement comme au temps de la Renaissance. C’est l’apparition d’un nouveau type de société, une société qui, dit Freud, privilégie l’objet plutôt que la pulsion. Ce n’est pas seulement le Dieu chrétien qui est vidé de sa place suprême, c’est le dispositif qui depuis des millénaires et sans qu’il y ait d’exception –il y a des religions athées, mais elles ont le même statut que la religion– avait partout et depuis toujours, commandé l’ordre des êtres humains et des choses. Ce dispositif c’est celui où le référent est toujours mis à l’extérieur de l’humain. Dès la Renaissance, ce dispositif se fendille ; néanmoins il tient bon et il faudra une série de théorisations et d’évènements, d’ailleurs en discontinuités, pour que cet écroulement s’accomplisse. Bien sûr, Gauchet, en utilisant intelligemment des intuitions de Lefort a montré, le premier, ce qu’était la sortie de la religion. Mais Zimra, trop brièvement, mais encore mieux, montre qu’il s’agit de l’écroulement du dispositif sacré/profane. Et il montre ce qui commence après cet écroulement. Une historienne, Sophie Wahnich s’efforce, de son côté, de montrer le caractère inaugural de la révolution française, que Tocqueville, répondant à Burke, longtemps après la mort de ce dernier, avait indiqué. C’est un nouveau type de société qui apparaît, ce qu’on appelle la société moderne. Si les autres types de société se maintiennent sous l’égide de l’ancien dispositif sacré/profane, la force de la société moderne, se fondant désormais sur les êtres humains et ce qu’ils sont, se manifeste un peu partout sur la planète. Mais, tout comme les sociétés régies par l’autre dispositif, sa force se manifeste aussi par des excès, les uns légitimes, les autres illégitimes socialement et politiquement quand ils ne le sont pas simultanément juridiquement et pénalement. Excès dont certains d’entre eux, illégitimes, ont tendance à s’étendre globalement, à se globaliser. Gauchet a su le monter pour les totalitarismes.
Je retiens aussi de ce chapitre sur le christianisme la remarquable démonstration sur la violence de l’antisémitisme au XIX° et au XX° siècle. La rubrique s’intitule « La République et l’étoile ». On le sait, la déclaration des droits émancipe les protestants et les juifs. Ils devinrent citoyens français. Mais les tenants de l’ancien dispositif, cramponnés à des restes du théologico-politique, vont choisir comme cible, le vieil ennemi que s’était donné le christianisme : le judaïsme et les juifs considérés abusivement comme peuple déicide, parce qu’ils auraient soi-disant crucifiés le Christ (en utilisant bizarrement un supplice romain). Les tenants de l’ancien dispositif –même s’ils sont non croyants– prennent comme emblème, non la nation, mais le nationalisme, le droit du sang opposé à celui du sol. Les juifs sont le peuple errant, sans fixation, sans nation. Les nationalistes sont sionistes, parce que la fixation des juifs sur un territoire en débarrasserait les autres. Le racisme, celui de Gobineau, de Vacher de Lapouge, de Houston Chamberlain trouve à s’épanouir dans un antisémitisme forcené, comme le montre Zimra, antisémitisme qui aboutira à la Solution finale. Ce que nous retenons de cette rubrique sur l’antisémitisme, c’est que ce dernier est un symptôme,. et non des moindres, de ce que peut être l’excès illégitime dans la société moderne : l’anéantissement de l’autre pour assurer l’Un seul tout-puissant. Pour se légitimer lui-même, l’Un seul tout puissant rejette sur l’autre (en l’occurence les Juifs) ce qu’il pratique et théorise depuis deux siècles : la rigifification, l’extensification de l’économique au point qu’il puisse recouvrir, le social, le culturel, le politique et la politique. La société moderne, nouvelle, riche de promesses, risque, dans ce type d’excès et dans ceux qui s’y agrègent, son propre avenir et, dans la mesure où elle est entrée quelque peu dans les sociétés qui se maintiennent sous l’égide de l’ancien dispositif, le destin de la planète.
Dans le second chapitre de sin livre, intitulé « Judaïsme, juifs, judéité », Zimra précipite un peu vite son lecteur dans ce qu ‘on pourrait appeler l’histoire moderne du judaïsme, sans préciser, à mon avis, suffisamment ,comme l’avait fait Max Weber dans Le judaïsme antique ce que fut, à partir du moment où il est possible de la définir, la place des Hébreux parmi les autres populations. D’abord, il faut noter que le monothéismes, dont le judaïsme, qui fut sans doute le premier à apparaître aussi nettement comme tel,, ne prend consistance qu’ au IX° siècle avant J.C. avec Josias, un roi hébreu qui demande à des lettrés de rassembler toutes les traditions écrites et orales de son peuple, ce qui constituera le premier temps de la Bible, appelée l’AncienTestament. On peut noter également que les Hébreux et leur royaume constituaient une entité peu connue et guère évoquée dans l’Antiquité, où, avant eux les royaumes assyrien,et perse dominaient en Orient, tandis que la Grèce et Rome dominaient en Occident. Leur importance stratégique était néanmoins suffisamment importante pour que les débuts de l’Empire romains soient aussi ceux, pour les Hébreux, d’une sorte de colonisation romaine. Comme on le sait, leur révolte aboutit à la conquête de Jérusalem en l’an 59 et à la diaspora des Hébreux qui deviennent les juifs.
II semble qu’après la mort de Jésus-Christ, prophète juif parmi d’autres, la secte qui lui survécut, dirigée par Pierre, ne prit de l’importance que par l’action quais personnelle au départ de Paul de Tarse, venu d’ailleurs par delà Antioche. Destiné à être rabbin et ne l’étant pas devenu, Paul de Tarse reprend les éléments laissés par les disciples de Jésus-Christ, par écrits et probablement en paroles et fonde réellement le christianisme.
Ce que Zimra analyse, c’est effectivement ce qui nous concerne au plus près aujourd’hui : d’abord la tentative de Zabbataï Levi de transformer le judaïsme, tentative qui aboutit à la conversion du réformateur à l’Islam. Zimra insiste sur le fait que les Juifs de la diaspora, se considérant comme peuple élu, en l’attente du Messie, refusent l‘histoire et ne retiennent, dans leurs manières de penser et de vivre, que la mémoire collective, autrement dit l’une des formes de la la transmission. Mais ce qui va changer leur statut historique, continuellement mis en cause par l’Eglise qui les ghettoïse, les réserve pour le sale travail, celui du maniement de l’argent et à l’occasion les massacres, c’est leur émancipation, au moins en France, obtenue en même temps que celle des protestants. Cette émancipation s’accompagne, non d’une réelle assimilation, mais d’une sorte de nationalisation de l’individu juif dans le pays où il est né, par exemple en Allemagne ou en France, le cas de la Pologne étant plus complexe. Mais, à la fin du XIX° siècle, avec Herzl et la fondation du sionisme, apparaît ce qu’on pourrait appeler un messianisme laïc, c’est-à-dire l’idée de fonder, en Palestine, terre arabe occupée par le Ottomans, un Etat d’Israël. Herzl demande à Pie IX le soutien de l‘Eglise, mais le peuple prétendument déïcide ne peut avoir un Etat. Zimra fait défiler alors les figures emblématique d’Hannah Arendt, de Walter Benjamin et de Freud. Hnnnah Arendt est d’abord favorable au sionisme laïc, mais elle ne ne peut que s’effrayer du retour du sionisme au religieux après la création en 1947 de l’Etat d’Israël-. Dans Eicchmaann à Jérusalem, s’élevant contre la sacralisation de la Shoah, elle rappelle la « banalité du mal ». Zimra évoque Walter Benjamin, juif errant, partagé entre le marxisme et sa judéité. Enfin il qualifie Freud de « Juif sans Dieu »-. Mais il ne fut pas Juif sans Père, au point d’en coller un à toute l’humanité. Zimra montre que le sionisme accompli par la création de l’Etat d’Israël –qui ne reçoit pas ses origines de la Shoah– devient un sionisme religieux, face aux Palestiniens dont il détruit, sur le territoire de l’Etat, les maisons et dont il occupe les territoires, Sionisme religieux qu’il n’hésite pas à qualifier d’intégriste, fustigeant ceux qui y adhèrent par conviction, mais plus encore, ceux qui, comme le Front National, s’y rallient pour expulser les Juifs du territoire français. Zimra rappelle, après Jean-François Lyotard (qu’il appelle, comme un ministre du même nom, François Lyotard) le caractère spécifique du massacre de six millions de Juifs parce qu’ils étaient Juifs –fait qui ne s’était jamais produit dans l’histoire où de grands massacres abondent, mais non justifiés par une soi-disant race, Cela dit, il s’oppose, comme Arendt, à la sacralisation de la Shoah au point qu’elle en deviendrait une religion, alors qu’elle est un évènement historique terrible, incontournable et d’une portée spécifique par rapport à l’humain, mais avant tout un évènement historique qu’il faut continuer d’étudier.
Dans le troisième et dernier chapitre sur l’islam, Zimra insiste, dès le début, sur l’impossibilité de modifier aujourd’hui les sourates du Coran, bien qu’elles aient subi, du temps du prophète et aussitôt après, des modifications. Plus même, à Bagdad c’est la philosophie grecque qui est reprise pour encourager l’interprétation personnelle. L’auteur oppose les Lumières médiévales à celles du XVIII° siècle en ce sens que, même chez Averroès qui introduisit Aristote en Europe médiévale, le savoir ne peut pas être diffusé à tout l monde, alors que les les Lumières du XViII° s. prônent l’inverse. Néanmoins Averroeès avait transfiguré le théologico-politique par deux actes essentiels : la liberté de pensée, la critique des théologies. Mais il sera oublié. Les théologiens médiévaux furent pourtant les premiers à tracer une frontière entre le savoir sacré et le savoir profane. mais « La certitude dogmatique contient une autre certitude que reconnaîtra Descartes : le doute. Au XIV° siècle, Ibn Tamya préconise de renverser le,gouvernement qui ne respecte pas la loi divine, la lapidation de la femme adultère, l’amputation de la main du voleur;Au XVIII° s; le wahabisme s’inspire de lui. La tentative en Egypte d’introduire, au XIX° s, .la modernité produit à la fois fascination et répulsion. La crainte d’un dissolution de la culture dans la modernité s’amplifie après la guerre de 14/18 avec la dislocation de l’Empire Ottoman. Elle se manifeste par l’idée que la raison mène au chaos et à l’interprétation, c’est-à-dire à la dé-construction de l’Un. Le travail des réformateurs qui plaident pour une analyse historico-critique est important, mais ils sont peu lus, peu suivis. En ce qui concerne la langue, il y a écart entre une langue qui ne se parle pas et l’obligation de lui emprunter des formulations, tout en prétendant demeurer extérieur à elle. Dans le même temps, tous les pays arabes se dotent de constitutions avec des objectifs nationaux, économiques et sociétaux. Mais l’identité nationale demeure indistincte de l’identité religieuse. La révolution iranienne, à la fin des années 70 du XX° siècle, vint installer la « spiritualité politique » qui détruit les catégories temporelles de l’histoire.
Dans la rubrique « Sous le voile, le voile », Zimra note que « sous quelque rubrique que l’on considère le voile islamique, il revendique une identité voilée saisie au premier coup d’oeil, qui annule l’infinité du regard. Au défaut d’intégration, le voile répond par l’exclusion de l’autr Le « politiquement correct » et l’autocensure nous font oublier ce qu’il en coûte aux femmes, chaque jour, de subir les tyrannies culturelles et religieuses.
Dans la rubrique « Loi divine, loi des hommes », Zimra pose la question du lien entre politique et religion. Il s’agit de penser les conditions du politique dans la diversité religieuse transcendée par un idéal commun, une communauté de destin. C’est parce que la loi n’est ni définitive, ni tyrannique qu’elle évolue et se transforme que la cohésion nationale est assurée. Or le changement permanent des lois et l’extension infinie des droits de l’homme en Europe ont produit le vertige (je dirai l’excès illégitime) d’un hyper-individualisme qui a perdu le sens du commun. En revanche, dans l’islam, le report des aspirations politiques sur la loi divine met fin à toute émancipation. .La laïcité, en France, n’a pas séparé la société de la religion. Elle est demeurée chrétienne, tournée vers l’avenir, engagée dans les droits de l’ homme que l’Eglise a fini par reconnaître comme siens. Je pense qu’il faut nuancer cette affirmation de l’auteur. La réaction violente à la légalisation du mariage pour tous montre les limites que l’Eglise met à sa reconnaissance des droits .Le modèle d’intégration républicain afaiblit les biens d’origine ,mais affirme la dignité des individus à vire hors de toute appartenance religieuse ou communautaire. Si les identités, dit Zimra, ne se vivent pas en commun, chacun est saisi du vertige (de l’excès illimité et illégitime) de ne vivre que pour soi et par soi, de ne rien devoir à personne, de ne succéder à personne. Un islam dépourvu de toute ambition collective se distingue mal de l’hyper-libéralisme moderne.
Le processus de dépolitisation se manifeste d’un côté par le droit illimité et exclusif de l‘individu de vivre selon ses lois, de l’autre par le pouvoir illimité de la loi divine qui interdit toute autonomie de l‘individu. Le marché mondial a fini de ruiner tout espace du commun, de la citoyenneté , chacun regarde son intérêt propre, privé de vision commune; Les associations se substituent au politique sans changer la construction sociale, servent de soupape de sécurité à la surchauffe sociale. Je pense qu’ elles peuvent être aussi, localement, un ferment pour l’avenir.
La dépendance financière est aussi une dépendance spirituelle (je dirai psychique), elles sont une contestation du politique et de la citoyenneté. Le communautarisme est le strict contraire du politique.
La république est le seul lien, certes fragile, face à l’hyper-libéralisme, le seul qui puisse tenter de le freiner; lA « chose publique » comporte appartenance et éducation, loyauté et dévouement. L’alternative n’est pas entre le communautarisme ou la globalisation, mais dans la manière de penser le politique, l’accueil de l’autre.
Le repli sur soi c’est le refus d l’autre., la substitution des valeurs communautaires aux valeurs individuelles, c’es débarrasser l’homme du fardeau (mais aussi de l’espace) de la liberté. Le modèle d’intégration républicaine affaiblit les liens d’origine, mais il affirme la dignité des individus de vivre libre de toute appartenance religieuse ou communautaire. J’ajouterai ici, comme le dit un peu plus loin Zimra, qu’il y faut un peu d’une certaine fraternité qui peut prendre des formes multiples, tant qu’elle demeure légitime., c’est-à-dire hors excès transgressif des repères limites. On peut dire avec Zimra que l’identité se construit, par excès légitime, sur elle-même, par l’invention, la création, la transformation; Less identités ne sont pas de marques indélébiles, marques de Caïn, mais des forces vives en mouvement, jamais arrêtées. Les religions ne sont pas descendues du ciel, elles ont été fécondées par d’autres cultures, d’autres langues.
Le grand oublié de la République, dit Zimra,, c’est la fraternité. Une société sans fraternité est livrée à la lutte de tous contre tous. Il y a, en Europe, fécondation des cultures accueillies par la culture européenne et réciproquement. « Nous ne sommes pas d’aujourd’hui. Ce que nous sommes nous précède et nous ne pouvons être seulement ce que nous fûmes. Nous sommes tous porteurs d’une altération infinie, expression même de notre devenir. Vouloir la suspendre ou la figer, nous suspend et nous fige tout autant. Il est urgent de sortir des conceptions qui ont enfermer les peuples dans des pièges théologiques ».