Heide Goettner-Abendroth, Les sociétés matriarcales. Recherches sur les cultures autochtones à travers le monde, éd. des femmes, 2019. (1ère éd. 2012)


Recension par Annie Benveniste et Monique Selim

Heide Goettner-Abendroth, Les sociétés matriarcales. Recherches sur les cultures autochtones à travers le monde, éd. des femmes, 2019. (1ère édition 2012)

Ce gros livre de plus de 500 pages qui a fait l’objet d’un compte rendu extrêmement élogieux dans Le Monde des livres, entend fonder, selon son auteure, « une autre science socio-culturelle… un champ nouveau, spécifique, qui transcende les frontières des disciplines existantes » (P11). Il s’agit des Recherches matriarcales modernes auxquelles se voue Heide Goettner-Abendroth depuis plusieurs décennies. Heide Goettner-Abendroth a créé en effet en 1986 l’Académie internationale pour les recherches matriarcales modernes (HAIDA) et organisé deux colloques sur cette thématique. Disons-le, immédiatement, l’approche de l’auteure qui se veut scientifique et a l’ambition d’inaugurer une philosophie et une méthodologie spécifiques n’a aucune rigueur intellectuelle. Il s’agit moins d’une connaissance scientifique que d’une entreprise de réfutation de l’universalité du patriarcat menée à partir d’une opposition aux actions de patriarcalisation.

Le premier chapitre, censé être une lecture critique de l’histoire de la notion de matriarcat, revient sur les auteurs connus – Bachofen, Bebel, Morgan, Marx et Engels – de façon à la fois si superficielle et dogmatique que le lecteur cultivé pourrait se décourager d’aller plus loin et abandonner à ce stade l’ouvrage. Suit une série de chapitres décrivant l’existence des matriarcats autochtones de par le monde en Asie, Amérique du sud et Afrique, le matriarcat étant construit à partir de sa dissolution par l’idéologie patriarcale, ce qui enferme le projet lui-même dans une perspective purement idéologique. En effet, l’auteure précise qu’elle a commencé par étudier le contexte culturel des manifestations du matriarcat. Puis dépassant l’analyse de la mythologie, elle s’est tournée vers l’anthropologie, tout en récusant les recherches faites par des non autochtones, accusées d’universalisme et en proposant un changement de perspective qui consiste à connaître par le bas : recueillir l’histoire des femmes, des classes inférieures, des peuples autochtones, des subcultures.

Il en résulte un recueil de matériaux, basé sur des sources secondes, des références sollicitées très anciennes, montrant l’extériorité de Heide Goettner-Abendroth aux recherches académiques et son ignorance des débats et des perspectives d’analyse sur les rapports sociaux de sexe dans les sociétés étudiées par les anthropologues. Le chapitre sur les Mosuo, par exemple, que nous avons fait lire à Béatrice David, sinologue, est une synthèse de travaux datés et pleine d’erreurs. Sur le chapitre suivant concernant les anciennes populations Yue qui est son domaine de spécialité, B. David dit que l’auteure puise ses généralisations dans des travaux historiques également périmés, n’ayant aucune connaissance des travaux plus récents, et des avancées majeures. Heide Goettner-Abendroth répète à l’envi que les chercheurs occidentaux ont tort, mais pas elle qui se fie, sans vérification, aux sources autochtones aux visées plus politiques que scientifiques.

L’auteure développe ainsi une série d’affirmations mystificatrices sur les femmes et les sociétés qu’elles régiraient. Ce livre constitue un cadeau empoisonné pour les femmes dont il se réclame avec tant de force, pour les féministes qui se battent pour les droits des femmes et pour les chercheures qui ont pour objectif d’appréhender la diversité infinie des modèles hiérarchiques et des inégalités. Le lecteur se retrouve face à un discours qui encense les femmes comme premières créatrices de la culture, au commencement de tout, sans hiérarchie et dans une égalité absolue. Très loin des études dites de genre, cet ouvrage ne manque pas de relents mystiques, derrière le spiritualisme qu’invoque l’auteure. Le ton est délibérément moral ; les femmes sauraient en elles-mêmes, de par leur nature féconde, organiser des sociétés équilibrées, horizontales, axées sur le don, le partage et honorant la divinité féminine.