Olivier Douville et de Virginie Vaysse, Moments psychotiques dans le travail clinique, Psychologie clinique, Editions EDK, 2O10


Recension par Louis Moreau de Bellaing

Sous la direction d’Olivier Douville  et de Virginie Vaysse, Moments psychotiques dans le travail clinique, Psychologie clinique, Editions EDK, 2O10

Il s’agit, pour les auteurs de cet ouvrage, de montrer comment la clinique – la psychanalyse -, exigeant lieux et temps, est possible, dynamique, inventive et présente pour les psychotiques. «Le transfert, dit la Quatrième de couverture, est un opérateur de limites qui joue entre deux personnes dans la création souvent hasardeuse d’un Tiers-lieu et d’un Tiers-temps. C‘est à partir de ces limites mouvantes et dynamiques du transfert que le traitement de la psychose est considéré».
Il est impossible, dans cette brève recension,  de rendre compte de tous les articles, de grande qualité, qui composent ce livre. Nous en retenons seulement quelques-uns, ceux que, sociologue et non psychanalyste, nous pensons comprendre le mieux. Le premier article, de Teresa Pinto,  sur l’énonciation et la psychose nous paraît important en ce sens qu’il montre qu’à partir de la notion linguistique d’énonciation, Lacan peut croiser psychanalyse et linguistique dans l’analyse de l’écriture de psychotiques. «En se heurtant aux limites de l’analyse linguistique fragmentaire des textes, Lacan développe les clés de compréhension des positions énonciatives de la psychose ainsi que les balises pour l’utilisation de ces positions dans la clinique» (p. 7).
Olivier Douville s’intéresse aux rapports entre rêve et psychose, ce qui l’amène à analyser les rapports entre rêve et hallucination pour un sujet psychotique. Il conclut son article en définissant au mieux le transfert comme un opérateur de limites : «Le transfert est (dans l’analyse d’un psychotique) un opérateur de limites créant un espace orienté où les mots de la langue et les vécus du corps peuvent être supportables. Opérateur de limites entre l’engloutissement et la mégalomachine, maintenant ouvert l’appel à l’autre et le refleurissement de petites pièces pulsionnelles comme on dirait des petites pièces qui permettent aux pianistes débutants de faire leurs premières interprétations» (p. 17).
La pathologie borderline est définie par Monique Laurent comme un état clinique frontière entre la névrose et la psychose. Le psychanalyste peut aider le patient à «intégrer l’irreprésentable dans (son) rapport au réel». Cela suppose «une alliance thérapeutique solide et longue qui peut permettre au psychotique d’accéder à une autre temporalité de son histoire» (p. 88).
Dans le trouble de la     conduite alimentaire (anorexie), Pierre Gaudriault note, à partir d’une étude de cas, qu’il faut que «l’anorexique prenne le temps de ressentir sa propre initiative comme la part la plus importante du contrat de soins. C’est à ce prix que peut être construit avec lui un dispositif thérapeutique» (p. 99).
Pour les sujets en situation de grande précarité ou d’errance, au moins ceux qui sont approchables, la position clinique, disent Franck Mathieu, Marie-Hélène Bussac-Garat et Bernard Duez, doit nécessairement osciller entre une approche primaire qui enveloppe et colmate les failles narcissiques identitaires de la personnalité et une approche secondaire qui accueille la parole avec la distance nécessaire au développement de ressources internes propre à l’individu. C’est un travail de l’originaire comme fonction constante de réélaboration de l’archaïque» (p. 109). Errance et précarité apparaissent alors comme des phénomènes sociaux qui contribuent à désorganiser les individus.
Dans la deuxième partie de l’ouvrage, on peut lire l’article sur Cesare Musatti, l’un des pères fondateurs de la psychanalyse italienne, celui sur l’Iran où il apparaît que le gouvernement actuel est plus ou moins contraint de reconnaître la psychanalyse face à l’ampleur de la demande de soins.
l’article de Emile Jalley sur Psychanalyse et psychologie montre avec vigueur comment la psychanalyse est littéralement repoussée par le cognitivisme. Il évoque Fraisse et son américanisme intransigeant au niveau de la psychologie, Colette Chiland qui lui était soumise. Il fustige l’ignorance philosophique de la plupart des psychologues et surtout des cliniciens. La psychanalyse esr démunie devant ses        adversaires, «face à la perte du maniement d’une logique moderne de la contradiction (Pascal, Kant, Hegel, Marx, Freud» (p. 146).
De l’hommage à Nathalie  Zaltzman par Ghyslain Levy, nous retenons ceci : «Pour Nathalie Zaltzman, la guérison par la psychanalyse ne peut être réduite à la dimension exclusive du registre personnel ou privé…(Elle) débouche nécessairement sur l’autre concept majeur de (son oeuvre): le Kulturarbeit qui n’en est que l’autre face. L’homme est un effet de culture, comme la guérison  par la psychanalyse participe au travail de culture» (p. 186).
Enfin, de Michel Lapeyre décédé en 2009, on peut rappeler ceci qui résume l’un de ses articles : «Qu’est-ce que le corps de l’être humain pour la psychanalyse ? Il y a une ambiguïté du corps en rapport avec les espèces de la présence et de l’absence comme sous les espèces de l’apparence et de l’essence, là où faire acte de présence, prendre corps et aller à la rencontre de l’autre réel, sont la même chose, toujours unique et répétée  : dépense et don» (p. 195).
Il nous semble que, dans ce livre, l’individu singulier, dans ce qui l’enferme au plus étroit de lui-même (la psychose), retrouve, grâce à la psychanalyse, un peu d’ouverture au monde.