Philippe-Daniel Clément, Animal inc. c. Adam & Ève, Saint-Narcisse, Éditions du wampum, 2020


Recension par Louis Moreau de Bellaing

Philippe-Daniel Clément, Animal inc. c. Adam & Ève, Saint-Narcisse, Éditions du wampum, 2020

Il y a longtemps, les animaux, les plantes, la pierre, le soleil et l’eau parlaient. Il n’y avait qu’un seul monde, une seule langue. L’hôtesse était la Terre généreuse pour toutes les espèces. Jusqu’au jour où l’une d’entre elles, que l’auteur appelle race humaine, race au sens d’espèce, en abusa. Le livre est le récit d’un procès et d’un jugement. Des créatures de l’eau, de la terre et de l’air se réunissent dans un abri souterrain. Le procès dure sept jours. Un certain nombre d’éléments, d’animaux, de plantes viennent témoigner des effets désastreux des activités humaines. Le Chien et le Chat, amis des êtres humains et de l’espèce-race humaine, sont obligés de reconnaître ses abus. Adam et Ève, métaphore de l’espèce humaine, du genre humain si l’on veut, défendent leur descendance. Après délibération, un jugement est rendu : les éléments, les animaux, les plantes, la pierre abandonnent les êtres humains, Adam et Ève, l’espèce-race humaine.

On peut penser en lisant cette histoire, à un conte, une fable, un apologue, genres littéraires qui viennent à l’esprit lorsqu’on lit de tels récits. À mon avis, c’est une erreur (qui est aussi, celle, en privé, de l’auteur). En réalité, Clément a inventé un nouveau genre littéraire qui peut devenir important, en anthropologie notamment, dans l’avenir, nouveau genre que j’appellerais le récit mythique.

Clément est bien placé pour découvrir ce nouveau genre littéraire. Il sait comment un mythe est construit et il connaît son usage quasi quotidien dans les sociétés amérindiennes. Ce qu’il veut faire pour les nôtres, sociétés de l’entre nous à démocratie oligarchique, c’est commencer à construire un ou des mythes d’origine, ou, pour mieux dire, des mythes originaires qui ne soit pas originels. Ils ne peuvent être les premiers, puisque les sociétés humaines en ont accumulé beaucoup depuis leur origine. Ils peuvent être originaires en ce sens qu’à partir d’un récit mythique, ils peuvent se constituer et se reproduire dans nos sociétés actuelles de l’entre nous, par exemple sur le modèle des mythes de sociétés amérindiennes ou australiennes.

Le récit mythique de Clément peut fonctionner dans nos sociétés comme un appel à fonder, sur les modèles anciens, de nouveaux mythes originaires ne requérant pas une légitimité ou une illégitimité juridiques ‒ sauf, au pénal, les mythes fascistes, nazis et totalitaires ‒, mais plutôt une légitimité et une illégitimité sociales et politiques au sens du politique, marquée par une désapprobation commune s’ils risquent de nuire à autrui, ou, à l’inverse, par une approbation commune s’ils ne risquent pas de lui nuire.

Clément construit son récit mythique ‒ qui n’est pas un mythe ‒ de telle sorte qu’animaux, plantes, pierres, éléments qui parlent pèsent le degré d’intervention et de responsabilité, non seulement de l’être humain métaphorique qu’est l’Adam et Ève de la BibIe. mais aussi de l’espèce vivante humaine, dans les désastres que ceux et celles de diverses espèces vivantes ont subis. Convoqué, Adam rappelle l’impact de ses bienfaits, oublie les méfaits, souffrances, douleurs qu’il a imposés à l’environnement. Après un dernier débat, le jugement est prononcé. Lorsque Adam vient, dans l’abri souterrain se présenter devant ses victimes, il ne trouve plus personne. Elles l’ont abandonné.

Clément se refuse à toute indignation morale ou moralisatrice, laissant au lecteur le choix de tirer ses propres conclusions. À mon avis, il appelle à de nouveaux mythes originaires qui sont à constituer, légitimes, autant que possible ‒ sauf exception ‒, non tant d’un point de vue juridique que du point de vue social et politique au sens du politique. Donner, par exemple, des droits aux animaux ou aux plantes est parfaitement illégitime du point de vue humain, tant du point de vue juridique que social et politique. C’est les faire entrer, à mon avis, de force dans un espace qui n’est pas le leur. Du récit mythique tel que l’a conçu Clément au nouveau mythe originaire à constituer, la route peut être longue. Le livre de Clément, à la fois profond, poétique et non dépourvu d’humour, est, dans notre monde vivant et humain, un signe de reconnaissance réciproque, pour nous comprendre entre nous humains et les comprendre eux vivants.