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Pierre Prades, De la sainteté à la santé, Puritanisme, psychothérapies, développement personnel, Paris, Le Bord de l’Eau, 2014, Coll. Bibliothèque du MAUSS
Recension par Louis Moreau de Bellaing
Centré sur l’individu, l’ouvrage de Pierre Prades inscrit en somme l’individualité dans un double temps, celui où le dispositif sacré extérieur à l’humain, ou, dit autrement, le sacré mythique, ancestral et religieux prédominait et celui où il se poursuit, concurrencé par le nouveau dispositif sacré civil/civique ; il est à peine visible au XIII° siècle, se précise à la Renaissance et va prédominer à partir de la fin du XIX° siècle . Si nous rappelons ce cadre possible d’analyse, ce n’est pas pour faire objection au livre remarquable de P. Prades, mais pour le situer non tant historiquement – l’auteur le fait fort bien -, mais sociologiquement et anthhropologiquement. La thèse défendu ici – qui n’est pas la nôtre – est qu’il y a en quelque sorte, dans la période pré-contemporaine, passage de la sainteté, autrement dit de la recherche du Salut par les mérites et les oeuvres dans la lignée, non seulement du puritanisme, mais – et c’est une nouveauté, une découverte de l’auteur – dans celle de l’arminianisme, à la santé, dans la période contemporaine, par des techniques de remise en état de la santé psychique principalement. L’auteur va jusqu’à analyser le subjectif, l’affectif individuel comme marqué par une foi en ces techniques, notamment celles dérivées de la psychanalyse comme thérapie, foi analogue à la foi religieuse.
D’abord disons que Ptrades ne manque pas d’arguments pour commencer à démontrer sa thèse; Effectivement, si l’on reprend la thèse de Gauchet sur la « sortie de la religion » dans Le Désenchantement du monde et dans ses trois ouvrages sur L’Avènement de la démocratie, ce sont bien des « religions séculières » qui apparaissent , selon lui, dans la modernité du XX° siècle. On pourrait dire que, pour Prades, les religions séculières prennent aussi la forme de psychothérapies, de dynamiques de groupe, de coaching, voire de techniques comportementalistes et cognitivistes. Et, si l’on réduit la psychanalyse à sa seule dimension thérapeutique, incontestablement elle subit, aux Etats-Unis comme en France, de plein fouet, qu’elle soit freudienne ou jungienne, le poids du sacré religieux plus ou moins sécularisé.
Disons-le en deux mots, pour nous, ce n’est pas le plus grand intérêt du livre de Prades, bien que ce point en ait beaucoup. Pour notre part, nous pensons qu’il y a eu quand même rupture dans le sacré et que cette rupture se voit. Notamment lorsque Prades remarque lui-même que William James est le dernier auteur à faire, en psychologie, aussi directement référence non tant au religieux qu’à la religion protestante.A partir de lui, à part les exceptions toujours possibles, les propos en sciences humaines et notamment en psychologie et en psychanalyse sont les plus souvent laïques, c’est-à-dire que, tout en respectant la croyance, la foi au sacré religieux, ils refusent, par conviction toute référence à un surnaturel quelqu’il soit.
Cela dit, restent les modèles du religieux qui, constamment redéfinis, persistent dans le langage, dans les conceptions psychologiques, voire sociologiques et anthropologiques. Reste le dédain manifesté à toute forme d’analyse de la légitimation et de la légitimité sociales et politiques (au sens du politique). Il n’est question que de légitimité idécologique, mais le terme idéologie a pris une telle ampleur qu’on ne sait plus guère où se situent la réflexion, la théorisation et la recherche de la vérité.
Venons-en à ce que nous appelons le second point de la thèse de Pierre Prades. Nous la résumons schématiquement ainsi. Weber ne s’est pas, à proprement parler, trompé sur les affinités entre l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme. Mais il n’a pas vu suffisamment les variations et les variétés qu’avait pu prendre le puritanisme entre son apparition au XVI° siècle en Grande-Bretagne et son exportation, à partir du début du XVII° siècle, dans les colonies américaines. Or ces variations et variétés sont importantes. Tout se passe chez Weber comme si la prédestination telle que l’expose Théodore de Bèze dominait en quelque sorte la question du Salut et n’assurait jamais à l’individu son Salut, quels que soient ses mérites et ses oeuvres, notamment sa réussite financière. Or cet absolu de la prédestination a été très largement amendée, si l’on peut dire, par les sectes et les auteurs puritains qui se sont succédés du XVI° au milieu du XIX° siècle. On a, par exemple, totalement minoré – et Pierre Prades le rappelle – l’importance de Jacob Arminius, un théologien hollandais de la la fin du XVI° siècle et du début du XVII° siècle, élève de Théodore de Bèze à Genève, qui s’élèvera contre la prédestination, disant que l’individu pouvait accepter ou refuser la Grâce de Dieu (ce que Saint Augustin avait déjà dit), et que s’il chutait, il pouvait être racheté. On n’est plus dans la prédestination absolue et bien des sectes puritaines sont marquées par l’arminianisme.
Mais, pour en revenir à notre premier propos, où nous postulions une rupture plus marquée que ne le dit Prades entre sacré religieux et sacré civil/civique, on peut faire référence au catholicisme – ce que l’auteur ne fait pas suffisamment -. Celui-ci assure à l’individu son Salut, quel que soit le degré de sa faute, par un sacrement, la confession, précédée et suivie de la pénitence, sacrement qui le blanchit aussitôt de tout crime, délit, manquement etc. y compris au moment de sa mort. Si l’individu se confesse et se repent, il est sauvé. Chercher son Salut notamment dans la réussite financière, ce n‘est pas, chercher à devenir riche, pour faire du bien ou la charité. Incontestablement, selon nous – et c’est ce qui demeure de la thèse de Weber -, tant qu’ils demeurent proches du puritanisme, et de l’anglicanisme, l’enrichissement de ceux qui, en Grande Bretagne, fondent le capitalisme, vise à l’illimitation, puisque, dans la la parabole des Dix Talents, la réussite financière est un gage pour l’individu capitaliste qu’il sera peut-être sauvé. Or l’assurance du Salut peut se renforcer, comme le dit à peu près Arminius, sous la forme d’une promesse de Salut, d’une possibilité pour l’individu, qu’il soit en rechute ou vertueux, d’être sauvé. Mais cette promesse n’est jamais, comme dans le catholicisme, une certitude.
Cette idée d’ illimitation, si bien mise en évidence par Caillé, est, selon nous, en germe dans l’éthique protestante, comme l’avait compris plus ou moins Weber qui ramenait trop vite à un utilitarisme à la mode de Franklin les affinités entre l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme. Le sacré religieux n’est pas remplacé par le sacré civil/civique, mais le capitalisme anglais vient déjà transgresser par les enclosures, qui durent deux siècles et demi, l’éthique protestante. Le capitalisme français, puis européen ne retiendra que l’idée d’accumulation du capital , autrement dit celle d’illimitation de la richesse s’accompagnant de la toute-puissance comme gage d’élection sur la terre. Enfin, à la fin du XIX° siècle, le capitalisme missionnaire prendra la suite de celui européen et américain, pour aboutir, dans les débuts du XXI° siècle, au banditisme dans l’affaire des subprimes.