Sous la direction de Anne Querrien, Monique Selim, Monique Zerbib, Les paradoxes du rêve, Chimères, n°86, Toulouse, Erès, 2015


Recension par Louis Moreau de Bellaing

Sous la direction de Anne Querrien, Monique Selim, Monique Zerbib, Les paradoxes du rêve, Chimères, n°86, Toulouse, Erès, 2015

Qu’on n’attende pas de ce numéro de Chimères une énième resucée de L’Interprétation des rêves  de Freud. Telle n’est pas l’intention des auteur(e)s qui, tout en reconnaissant son importance notamment dans l’un des articles consacré à la Traumdeutung, se donnent l’impulsion de l’esprit freudien comme une vérité à chercher par  rapport à ce que Freud avait découvert.

« Le rêve,disent les préfacièeres Anne Querrien, Monique Selim, Monique Zerbib, est un miroir sans find, un langage de  la nuit qui ne cesse de nous captiver ». En fait, ce sont les sociétés et leurs rêves, ceux des individu(e)s et des groupes, rêves individuels et collectifs, les dimensions politiques du rêve, qui constituent le pivot de l’argumentation, plus que le rêve individuel raconté en séance.

Il s’agit de « mettre  en évidence  la dimension politique du rêve à la fois comme création et comme résultat du politique au sens propre du terme.  « Le fil d’or (le fil dort) mène à l’avènement, c’est-à-dire à la connaissance et à la reconnaissance d’un soi méconnu. Le fil d’or défie la censure et ses interdits au risque de se déplaire à soi-même ».

Dans le premier article sur la Traumdeutung, et  ses éditions successives, Sylvianne Lecoeuvre rappelle le risque couru par le livre : y voir abandonné l’accomplissement du désir dans le rêve au profit de la métaphore ou d’une clé des songes. Freud s’élève  par ailleurs contre l’affirmation  que tous les rêves doivent être expliqués par le sexuel.

Max Dorrra, dans « Pour une révolution de l’entendement », montre comment l’affect intervient, ainsi que la mémoire, pour fonder quelques certitudes dans la pensée. C’est du sens que confèrent, lors de l’interprétation, les associations issues d’un passé plus lointain sorti peu à peu de l’ombre.

Dans « Angoisse, constatations, rêves au Laos », Monique Selim étudie,  par le rêve, notamment ceux de médiums, de ,magiciennes, le « retour » du passé dans le nouveau régime. Le « retour » qui est aussi un « départ »    est celui de génies dont sont possédées les magiciennes, mais qui peuvent s’enfuir ailleurs là où l’argent abonde. Tout se passe comme si le nouveau régime politique ne pouvait se donner son propre imaginaire.

Etudiant la prostitution en Bolivie, Pascale Absi est en quelque sorte prise dans le rêve d’une prostituée qui utilise ses rêves pour dominer sinon meurtrir sa clientèle, s’assurant        ainsi d’un pouvoir sur elle. Ce rêve de  Yuli l’informatrice devient en quelque sorte un impensé commun de déchiffrement entre la chercheuse (Pascale Absi) et son interlocutrice.

Barbara Gloceewski aborde la cosmologie aborigène, notamment celle des Warlpiri. Ce n’est pas cette cosmologie qui est dominante, mais l’imaginaire. Les « itinéraires » totémiques appelés  lignes de Dreamings ou lignes de chant sont dynamiques et constamment en mouvement. Diverses formes de devenir sont propulsées dans des formes humaines et non humaines. Y participent les phénomènes atmosphériques et cosmiques.

Lucia Sagradini rend compte d’un film d’Alex Pou, Histoire de l’ombre, histoire de France. Elle nous dit en conclusion que « chassant nos rêves, en quête des rêves de l’autre, (on peut) garder de ce film un souvenir inoubliable ».

Abrahao de Oliveira de Santos revient sur le condomblé, à propos du rêve, de la résistance et de la singularisation  de la culture africaine au Brésil.Les participants du condomblé incorporent et manifestent les expressions innombrables des enchantements ancestraux  sous forme d’éléments cosmiques dans leurs pratiques de soins. Le rêve, expression ancestrale des femmes et des hommes en devenir est le vecteur d’une hybridité subjective cosmique.

Le beau poème d’Olivier Apprill se lit sans commentaires.

Olivier Douville voit dans les rêves de psychotiques une possibilité d’inclure la doxa psychanalytique. C’est l’inscription du Réel dans la vie du sujet, dans ses hallucinations, ses symptômes, dans l’ enjeu de la cure, qui est à retenir et à prendre au sérieux sans enfouir nécessairement le psychotique dans la seule folie parentale.

Danielle Roulot s’interroge sur le travail du rêve et sur le travail du deuil. Il est difficile, pour un non psychanalyste, de  commenter son texte. L’auteure montre non seulement l’extrême difficulté de la cure pour les névrosé(e)s, mais surtout pour les psychotiques. Aussi bien au niveau du transfert que du contre-transfert. Dans les cas  cités, où il y a deuil, et deuil mal vécu, mal fait, le travail du psychanalyste est encore plus complexe. Il y a, tant du côté de l’analyste que de l’analysant, une impossibilité qui se présente non comme barrière, mais comme limite indéterminée et néanmoins à reconnaître par l’un et par  l’autre. C’est sans doute là que le travail du rêve et le travail du deuil se rencontrent.

Keramanat Movallali se demande quel est le rapport entre le travail du rêve et la neuro-physiologie du sommeil. Le désir humain porte en soi sur le trauma du réel, dans la mesure où celui-ci ne cesse de se soustraire à lui en tant que rencontre. «  L’aventisation est la tentative du sujet de parvenir à l’envers du réel, c’est-à-dire de venir à bout de son impossibilité …Quoi de plus approprié qu’un rêve, pour tenter l’envers du réel ».

De Richard Abibon, dans son article intitulé L’impossible : réel de la physique ou Réel de la psychanalyse ?, ce que nos retenons, c’est que le Réel, que l’auteur distingue de l’adjectif « réel », est impossible à symboliser. IL reste dans la névrose, sans trouver ni représentation ni écriture.

Parlant d’un Rêve végétal en psychiatrie, Quentin Vergiette conclut : « Créer une lisière  à l’interface de la psychiatrie et de l’agro-écologique..   modifie les lignes de démarcation dominantes, (notamment) entre la ville et la campagne, le sujet et ses autres, végétaux et animaux ».

Rêves, hallucinations et états psychotiques, relèvent pour Monique Zerbib, autant de la psychanalyse que de la psychiatrie,. « Le rêve est, dans tout traitement analytique, dans la névrose comme dans la psychose, il est   l’idéal psychanalytique ou plutôt son paradigme. L’abord psychanalytique constitue la seule éthique  thérapeutique respectueuse du sujet dans la cure individuelle ou dans le social collectif ».

Les articles qui suivent, celui d’ Evelyne Lopez Campillo sur » La restitution de la Joconde »,  de Marco Candore intitulé « Songe rouge », de Sonia Hopf,  « Extrait de mon voyage avec Félix Livre II », les commentaires d’Emmanuel Valet au film de Viviane Perelmuter Le vertige des possibilités, le texte de Annie Vacelet-Vuitton « La déchirure » sont à lire, selon moi, beaucoup plus  en interrogation qu’en interprétation personnelles. Ces textes sont, pour moi, tous très beaux et très riches, tout comme celui de Marc Hatzfeld intitulé «  Mezzogiorno » et celui de Joani Hocquengem Songe du Jocalo.

Y a-t-il des   mesures anti-rêve ?  se demande Guy Trastour. Face à l’uniforrmisation, se pose la question de la vulnérabilité et celle des voies de recours contre elle. Il y a des déterritorialisations qui replient, d’autres qui déplient.

En note de lecture, Anne Querrien rappelle l’importance du livre collectif Rêve et sociétés auquel Roger Caillois participa et qui fut publié chez Gallimard en 1967.

 

 

Louis Moreau de Bellaing