Sous la direction de Bernard Castelli et de Monique Selim, Réparer les inégalités ?, Paris, L’Harmattan, 2O16, Questions contemporaines/ série Globalisation et sciences sociales, dirigée par Bernard Hours.


Recension par Louis Moreau de Bellaing

Sous la direction de Bernard Castelli et de Monique Selim, Réparer les inégalités ?, Paris, L’Harmattan, 2O16, Questions contemporaines/ série Globalisation et sciences sociales, dirigée par Bernard Hours.

Les ouvrages sur l’inégalité et l’égalité, l ‘égalité et la liberté sont suffisamment rares en sociologie et surtout en anthropologie, pour que soit prêtée une grande attention, notamment du point de vue théorique, à celui qui vient de paraître, Réparer les inégalités ?, dans une collection d’anthropologie des Editions l’Harmattan.  Les inégalités constituent un champ permanent et essentiel de recherche théorique, pratique et politique. Les figures de l’altérité sont  impliquées par la matrice régnante entre égalité et inégalité, se manifestant elle-même sur des espaces narratifs et de contestation. La période contemporaine est caractérisée par « l’impossible association de l’égalité et de l’inégalité ». Dans la période antérieure, les communismes concrétisaient en eux toutes les pensées possibles d’une autre construction sociale, économique et politique. Ils sont remplacés aujourd’hui par ce qu’entendent signifier « les paradigmes de la communauté et du commun ».

L’ouvrage se divise en deux parties : l’une, théorique, montrant  les caractères spécifiques de l’égalité, notamment le droit et les droits scrutés dans leurs contradictions intrinsèques et leur caractère fictif ; une deuxième partie plus concrète, où ce sont des imaginaires solidaires, « leurs amphibologies et leurs impasses » qui sont présentés.

On peut dire que les nombreux auteurs qui tentent de répondre à la question posée : Réparer les inégalités ? se donnent une visée commune, une hypothèse si l’on veut, qui, pour réveiller les esprits, se veut d’emblée négative. L’égalité n’est pas réfléchie dans  le cadre des multiples déclinaisons de la question sociale. Une pléthore de droits liés au marché ne débouche pas sur moins d’inégalités, mais fait plutôt office d’exorcisme. La notion d’équité, elle-même révèle « ses ambiguïtés intrinsèques et ses inflexions dans le jeu des rapports de domination ».  Au delà de la segmentation des phénomènes, apparaissent leur totalisation présente et les modes pluriels de subjectivation des inégalités expliquant les logiques de la révolte. La globalisation des inégalités se traduit par la fabrique et la reprise de répertoires globaux de revendications. En elles se signifie la singularité de contextes où des 1 collectifs de sujets individuels peuvent produire des sujets politiques. Le don -nous dirions plutôt, selon Mauss, le don-poison -, est producteur de perceptions d’illégitimités, il contribue à la permanence des inégalités et à s’habituer au spectacle de la misère. Sont inévitablement impliqués dans la fabrique des inégalités les ONG et les meilleures intentions solidaires. Enfin, dans la période contemporaine, l’Algérie et la Tunisie, le Pérou et l’Amérique latine, jusqu‘à l’Afrique du Sud, la Chine et la France illustrent le travail de redistribution solidaire et le problème de la santé et témoignent, pour répéter Castelli et Selim, «  de « l’impossible association de l’égalité et de l’inégalité ».

La première partie est la plus difficile à saisir et à comprendre dans sa totalité. Elle commence par un chapitre intitulé Tribulations conceptuelles de l’inégalité, chapitre écrit par Monique Selim. Il s’agit bien  de l’in-égalité. Elle ne peut être pensée et agie que par rapport à l’égalité , « vieille chimère », mais néanmoins repère, principe, pivot de légitimation et de légitimité hors de l’excès global capitaliste (dont on voit mal comment il pourrait se penser par rapport à elle). Monique Selim insiste à juste titre sur la dualité sexuelle qui est sans doute la plus ancienne « métaphore » politique des rapports hiérarchiques de domination en excès illégitime (excès de domination et autoritarisme). La réhabilitation de la différence remet en place légitime (nous dirions remet apparemment en place légitime) l’égalité complémentariste des sexes. « Gérer les inégalités, donner l’illusion de leur réparation, sont au coeur de (la) gouvernance ». Cette dernière prône la protection de communautés différentielles basées sur l’origine, l’appartenance, la   confession, le territoire, le sexe voulu. L’idée et la  pratique de l’égalité et les luttes pour l’égalité dans le cadre des classes sociales et de la rupture capital/travail sont apparemment obsolètes. Les nouvelles communautés instituent  l’inégalité (sans trait d’union). C’est l’achèvement de l’unification du monde autour de la démocratie et du marché. Ou inachèvement de cette unification autour de démocraties oligarchiques et autour d’un marché à concurrence et à profit illimités ?

Dans le deuxième chapitre L’équité érigée en principe de droit ou une nouvelle lecture du principe d’égalité, Frédéric Mertens de Wilmars s’interroge sur le principe d’équité par rapport à l’égalité, l’un et l’autre juridiques, en posant le problème de leur justification interne et de leurs limites. Mais il ne pose pas celui de leur légitimation et légitimité externes dans le politique impliqué au social. Ce qui est , il est vrai, plus le problème du sociologue que du juriste. La jurisprudence n’est pas unanime sur les variations conceptuelles de l’égalité : formelle, réelle, des chances, des résultats. Les inégalités et les injustices se rapportent également à la coexistence du principe d’égalité avec celui de liberté. Enfin, les mesures et les politiques d’actions positives dépassent le cadre traditionnel de l’égalité.

C’est pourquoi l’équité, plus proche de l’idée de justice que d’égalité au sens strict du terme, définit les actions positives comme une mesure équitable orientée  à rétablir un équilibre entre les groupes d’individus différenciés. L’équité tend à être érigée au rang des principes du droit. au même titre que l’égalité. Cela dit, l’auteur nous rappelle que le binôme égalité/équité renvoie, par le principe d’égalité, à des données non juridiques. « La combinaison des deux principes détecte les inégalités et les déséquilibres concrets ». La combinaison de l’égalité et de l’équité constitue un renforcement des liens entre droit et non-droit. Cette combinaison doit conduire à une meilleure explication et compréhension des décisions de justice. Elle constitue une protection contre les actes liberticides, contre les mesures et les politiques contraires aux principes d’égalité et d’équité. L’auteur voit dans la consécration normative du binôme égalité/équité la constitution d’un cadre permanent à travers l’égalité et flexible à travers l’équité. Actuellement le Conseil d’Etat privilégie le concept d’intérêt général, seul le Conseil constitutionnel a fait référenc,e en      plusieurs décisions, à l’équité. La justice consiste, selon les juristes, en « l’établissement d’une relation sans domination entre les sujets de droit ». Loin de l’intégrer, dit l’auteur, l’action positive participe à l’éclatement de la cohésion de la société. Il y voit une perversion, notamment du point de vue statistique. La politique d’égalité doit consister non pas en la création d’actions positives mais « à corriger les situations de discrimination prohibées ».

Du point de vue du droit et du non-droit, de la flexibilité de l’équité dans le principe d’égalité, l’argumentation de l’auteur est difficilement contestable, y compris lorsqu’il nous rappelle les inconvénients de l’action positive. Mais la sociologie et l’anthropologie, la philosophie et l’histoire  n’ont pas fait en ce domaine, leur travail  sur la légitimation et la légitimité sociales et politiques au sens du politique. Cela aurait aidé le législateur et le juriste à mieux saisir les situations partielles et globales  qui, actuellement, en grande partie lui échappent. Quelle égalité souhaitons-nous ?, se demande Frédéric Tarrit. Pas celle d’Aristote qui dit : « Le juste est le légal et l’égal, l’injuste l’illégal et l’inégal », ni celle de Rawls plus récemment, dans Théorie de la justice, qui note l’absence de cohérence entre égalité et justice et défend l’égalité comme garant de la liberté A chacun selon ses droits, à chacun selon ses besoins, à chacun selon ses mérites.  Les inégalités liées aux circonstances doivent être compensées. Selon Rawls, la justice doit élaborer un indice des biens sociaux primaires. Pour ce qui est juste ou injuste, cela relève de la façon dont les institutions traitent des faits de répartition naturelle.

Dworkin propose le critère d’opportunité du bien-être en ce qu’il permet d’intégrer la notion de responsabilité individuelle et d’éviter la chance brute, celle qui nait d’activités risquées et ne se protégeant pas d’une assurance quelconque. Amartya Sen propose un critère de capabilité en vue de dépasser l’opposition entre l’utilité et les biens premiers. Capabilité et liberté peuvent apparaître dans le cadre du débat entre égalité et liberté. Sen distingue capabilité et midface. Par exemple, un bébé n’aura pas de capabilité puisqu’il n’est pas capable de se nourrir seul, mais il acquière un  midface en conséquence des aliments qu’il consomme.

Sen et Dworkin proposent de réintégrer la subjectivité sans abandonner la possibilité de mesurer le bien-être. Dworkin veut intégrer la responsabilité individuelle dans le débat sur l’égalité. Sen voit dans la capabilité la possibilité de dépasser l’opposition entre l’utilité et les biens premiers et de garantir l’association entre liberté et égalité.

Selon l’auteur, Sen ouvre, avec le critère de capabilité, des voies vers la construction d’une égalité émancipatrice.

Pour notre part, la notion de capabilité, dont nous ne contestons pas le caractère novateur, demeure trop proche de l’économie, elle ne suffit pas à rendre compte de la fonction de l’égalité comme repère de légitimation et de légitimité politiques au sens du politique dans le social  et le  politique.

Bernard Hours considère, au moins à titre d’hypothèse, les droits humains comme une fiction de l’égalité. Comment fonder l’inégalité en justice ?, se demande Nathalie Heinich .Jusqu’où doit aller l’égalité des droits ?, se demande Piketty. Bernard Hours considère que c’est la mission  du politique d’articuler égalité et inégalité. Il analyse la globalisation des inégalités et la division du monde entre pays riches solvables et consommateurs de biens et de services, et pays pauvres peu solvables et peu consommateurs. Il analyse également la question des droits. Quels droits ? Garantis par quelles autorités ayant pouvoir de les mettre en oeuvre ? Il conclut la première analyse en disant que le creusement manifeste des inégalités à l’échelle globale et les risques de réactions et de protestations sociales ont été identifiés. Des pare-feu ont été mis en place via la rhétorique des droits.

A la  deuxième analyse répondant à la question Quels droits ? , Bernard Hours répond que les droits reconnus aux hommes et aux femmes du XXI° siècle demeurent largement abstraits vu l’affaiblissement de la souveraineté des Etats face au marché.  Les inégalités atteignent une cote d’alerte hors de toute responsabilité dans des sociétés diverses.

A la troisième question, l’égalité comme alibi   dans une société insuffisamment démocratique ?, l’auteur répond en montrant que l’égalité sert d’alibi aux institutions, comme fiction égalitaire des droits face à   des inégalités trop visibles et trop criantes. Il ajoute que « les discours et les initiatives sur la solidarité se présentent comme des issues, des sorties de l’étau mortifère des inégalités ». Les initiatives solidaires somment l’Etat d’assurer sa fonction de redistribution, sinon c’est la société qui s’effondre et le marché. Mais la société a à refuser au marché de faire société (l’économique n’est qu’une dimension dans le social et le politique). Elle a à  renvoyer l’Etat à ses missions économiques et sociales dont celle de donner un sens partagé aux inégalités légitimes qui contribuent au bien commun. Comment ne pas être d’accord avec de telles propositions ? Elles ouvrent à la légitimation et à la légitimité sociales et politiques un avenir vers un monde meilleur.

Le chapitre de Judith Hayem est à la frontière entre le théorique et les pratiques de l’inégalité par rapport à l’égalité, à la liberté et la justice. Elle introduit les notions de subjectivité, de subjectivation et de singularités subjectives. On peut analyser un conflit dont la centration est une forte hausse de salaire dans le cadre étroit d’un affrontement capital/travail. Mais il peut incarner une figure ouvrière autonome revendiquant son indépendance par     rapport aux syndicats et d’autres types de porte-parole. Pendant un conflit, il faut, outre la prise en compte de l’opposition capital/travail, identifier la teneur des singularités subjectives en présence. Il peut s’agir d’une mobilisation à distance de l’Etat. Pour saisir le processus de compétition à l’oeuvre pendant un conflit, il faut,  outre la prise en compte de l’opposition capital/travail, identifier la teneur des singularités subjectives en présence. Les gens pensent et seul l‘examen de leur pensée donne accès à leur subjectivité. Par exemple, au delà d’une hausse de salaire demandée, cela peut être la question de la dignité recouvrant à chaque fois des revendications différentes. Peut être mis en avant le principe d’être reçu, eux- mêmes en tant que grévistes, par le responsable, principe accompagné du refus de quitter un lieu tant qu’ils n’ont pas eu de réponse  par le patron, sans intermédiaires. Il s’agit pour eux d’affirmer leur rôle dans le processus de production et de ne pas être renvoyés au rang de « singes » ou d’ « enfants » par leurs interlocuteurs. Défendre ses droits au travers de ses structures autonomes. « Nous sommes des êtres humains et nous demandons à être traités comme tels ». Au delà de la négociation, c’est la reconnaissance des individus peu qualifiés comme des interlocuteurs valables pour le directeur qui se joue. C’est à l’endroit des pauvres que le refus d’inter-locution s’applique. C’est ce contre quoi peuvent exprimer, dans des formes diverses, les singularités subjectives. Tout est dit dans ce texte, selon nous, de ce qui peut être dit actuellement de l’égalité et de l’inégalité, de la liberté et de la justice. Tout commentaire nous paraît superflu. L’exemple choisi par l’auteure était celui d’une révolte d’ouvriers mineurs en Afrique du Sud.

Faute de place, nous ne pouvons insister sur la manière dont se pose le problème de l’égalité et de l’inégalité, de la liberté, de la justice dans différents pays et continents du monde. Dans son article intitulé L’emploi solidaire  générateur d’inégalités, Dominique De Facci  montre que, en Tunisie,  le milieu associatif est un champ d’accès – soutenu par l’Etat et par les bailleurs de fonds internationaux – à l’emploi et aux revenus. Fondées pour dépasser les situations de précarité de populations-cibles, les associations ne semblent pas atteindre leur objectif,  et protègent plutôt les opportunités de carrière de leurs opérateurs et de leurs membres.  Wenjing Guo situe, dans son article sur l’illégitimité des personnes sans abri en France, cette illégitimité entre le donner et le recevoir. Elle est liée à l’édification, dans le contexte socio-économique actuel, d’une figure négative de l’étranger. Un décalage et un hiatus s’établissent « entre le vécu et la conscience des sujets et les visions et pratiques extérieures d’ »aide » ». La diminution de ces écarts est la condition d’une plus grande efficacité pour les services destinés aux sans abri ; ceux-ci refusent d’être exclus tout en l’étant. Leur demande est de pouvoir donner pour accepter de recevoir. Jeanne Burgart Goutal s’efforce de définir l’écoféminisme comme une pensée de « l’égalité dans la différence ». L’égalitarisme écoféministe vise à construire une civilisation du non-pouvoir où seraient abolies les « logiques de la domination ». Le facteur   d’équité majeur est la prégnance du commun sur l’individuel. Les écoféministes insistent sur le rôle indispensable des communautés alternatives  et  des expérimentations militantes. Pour elles, rien n’est jamais acquis. Leur espoir est de remplacer la structure sociale et mentale de la pyramide par celle du cercle ( comme le recommandait Mauss à la fin de son Essai sur le don, mais en ne parlant que des hommes ). Cette exigence d’étendre le modèle de communauté démocratique s’applique  aux relations non seulement  entre humains , mais avec les autres espèces. Sororités, connexions, solidarités « se tissent dans l’infini diversité  du réel ». « Il ne s’agit plus de partager équitablement le gâteau, mais de changer la recette ». Pour notre part, nous pensons que  ce sont l’excès de domination et celui de la hiérarchie, lorsqu’ils se déploient spécifiquement et globalement dans l’illégitimité, qui sont à combattre. La vision radicale de l’écoféminisme y contribue déjà. Laurent Bazin et Monique Selim comparent la revendication masculine en Algérie et la déréliction féminine en Chine. Ils notent que, dans les deux cas, le statut d’homme est privilégié par  les individu(e)s eux/elle-mêmes. Ils/elles reprochent à l’Etat de ne pas leur permettre de se réaliser dans et par  le travail. Les auteurs, face à l’articulation symbolique de la différence des sexes, ne se  questionnent pas pour deux raisons : ils n’ont pas fait l’inventaire des inégalités de sexe, ils ne se sont pas identifiés à leur appartenance de sexe. Leur entreprise fait de l’anthropologue un individu dans et hors de la dualité sexuelle. Ils ont choisi des hommes algériens au plus bas de l’échelle sociale, des femmes chinoises sur-diplômées, tous, les uns et les autres, bornés dans leur désir d’ascension sociale. Les processus observés  articulent des logiques conservatrices et restauratrices des dominations et d’autres logiques orientées vers une « libération » inspirée par les idéologies globales de genre. Dans Politiques d’égalité de genre et féminicide au Mexique, Mathieu Gaulier  note que « objets de la violence et symboles glorifiés de la maternité, de la famille,  les femmes existent en tant qu’actrices et activistes, mais leurs voix ne semblent  pas porter  jusqu’aux plus hautes instances de l’Etat ». » Les femmes sont plus que jamais un enjeu politique, que ce soit à travers la possession de leur corps par les militaires censés punir les habitants  de supposées collusions avec les narco-trafiquants, ou par la voie de lois bio-politiques d’inspiration religieuse qui criminalisent leur choix reproductif. Claude Didry s’interroge sur le travail et les restructurations en France. Il relève quelques acquis, par exemple le parcours, à travers les différentes formes d’emplois précaires, d’accès à un .CDI, la croissance de l’ancienneté des salariés révélant un attachement à l’emploi, l’accès des tribunaux aux syndicats, aux comités d’entreprise et aux salariés pour demander la nullité des licenciements collectifs, l’ambition de la CFDT de créer des « parcours professionnels sécurisés », celle de la CGT de mettre en place une «  «  sécurité sociale professionnelle ». L’espoir est de changer l’avenir, celui de l’entreprise en tentant, pour les représentants du personnel, d’en saisir les contours, et celui des salariés, en envisageant le devenir de ceux qui perdent leur emploi, à la fois par des compensations indemnitaires substantielles et par l’association des représentants syndicaux à leur suivi. Bernard Castelli, dans le face à face des Etats latino-américains et des inégalités sociales,   fait lui aussi le bilan des acquis : redéploiement de l’Etat vers l’accès aux services publics, à la protection sociale et aux ressources monétaires, bénéfice, grâce à une croissance massive de la dépense publique,  des avantages sociaux pour des pans entiers de la  population jusque là exclue. Les crises de 2008 et de 2009 sont responsables de la baisse des revenus disponibles pour le financement des services sociaux et les transferts monétaires aux ménages. « La part d’informalité importante des économies empêche d’atténuer les risques sociaux des populations par une participation effective aux marchés du travail et à un meilleur accès aux services publics. Mais l’accoutumance à l’aide publique monétaire rend plus difficile le retour éventuel  sur les marchés du travail productifs. La chute du cours des matières premières entraine la raréfaction des flux financiers vers une population captive de l’illusion d’une abondance illimitée pérenne ». Ce qui, selon l’auteur, pourrait être visé, c’est la constitution  d’un Etat social en Amérique latine. Mais la question se pose de savoir ce qu’est un Etat social.  Pour nous, la société donne à la politique et la politique donne à la société. Elles ont l’une et l’autre obligation de donner, l’une au nom du politique l’autre, avec son instrument exécutif l’Etat, au nom de principes de la politique démocratique  inspirés par le politique, même s’ ils ne les reproduisent pas tels quels.  Najaz Zatla se demande si les politiques distributives en Algérie sont des palliatifs aux inégalités sociales. Une économie strictement tributaire de la rente pétrolière et dans laquelle la croissance est à la baisse ne  peut contribuer durablement à la résorption du chômage et des inégalités. Tout emploi subventionné est un emploi transitoire, tout comme les emplois induits par un accroissement  « administré » de la demande globale de biens et de services. La faiblesse des revenus, liée à la précarité des emplois, maintient durablement les populations concernées dans une dépendance de l’Etat via ses différentes politiques distributives.  .Elle pérennise ainsi leur incapacité à prendre en charge de manière autonome les besoins primaires et les enferme dans une posture d’assistés permanents. « Au delà  de l’inégalité dans l’ordre de l’avoir, elle pérennise les inégalités en terme de capabilité dans l’ordre du pouvoir ». Belle démonstration sur le terrain d’une inégalité pour tous et toutes, sauf les privilégiés de la rente pétrolière. Pascale Phélinas tente de  mettre en ordre les inégalités au tra
vail et les inégalités de revenu en milieu rural au Pérou. L’inégalité face à l’emploi explique en grande partie, au Pérou, l’inégalité des revenu du travail. La dynamique de la croissance, face à une amélioration de la répartition des revenus, ne peut  provoquer cette amélioration  que si elle porte sur les activités les plus accessibles aux plus pauvres et que si l’accessibilité des pauvres aux postes les plus  prometteurs s’améliore. La capacité  de l’agriculture à absorber la main d’oeuvre disponible  est limitée. Il y a peu d’emplois offerts en dehors de  l’agriculture dans les zones éloignées des grands centres urbains.   Les individu(e) ont des difficultés à se positionner sur les « segments » les plus rentables du marché. L’agriculture souffre au Pérou d’un environnement naturel peu propice. La productivité de l’agriculture n’est pas susceptible d’améliorations si ne sont pas introduites des techniques requérant la plus grande attention de la main d’oeuvre. A la faible demande locale pour les produits agricoles, s’ajoute les difficultés d’écoulement sur les principaux marchés urbains. en raison des coûts de communication dus au fait de la distance et de l’état des routes. En ce qui concerne les emplois créés hors agriculture, ils sont ceux de micro-entreprises en milieu familial. Les banques imposent à ces micro-entreprises des taux d’intérêts élevés.  Les coûts à l’international diminuent la possibilité des exportations. S’y ajoutent les lourdeurs bureaucratiques et celles des réglementations nationales. Enfin les politiques visant à accroître la scolarisation dans les familles rurales se heurtent aux multiples difficultés à promouvoir l’enseignement secondaire et supérieur en milieu rural. On pourrait dire que, comme  en France dans les années 1870-1880, l’amélioration de la qualité des routes en milieu rural peut avoir des effets puissants sur l’assiduité des enfants à l’école, et, en conséquence, sur l’accès à l’emploi. Samira Guennif tente de montrer que la licence obligatoire est un outil pour privilégier  la santé publique et réduire les inégalités sanitaires Nord/Sud. Qu’est-ce que la licence obligatoire ? Tout pays membre de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) octroyant un brevet à une invention en attend en retour  la satisfaction de quelques obligations industrielles et sanitaires. Le bréveté est tenu de produire localement l’objet bréveté pour le commercialiser à un prix raisonnable et dans des quantités satisfaisantes. La non-satisfaction de l’une ou de l’autre  de ces obligations peut donner lieu à une licence obligatoire au bénéfice d’un tiers. Cette méthode d’évaluation des licences obligatoires ainsi définie est appliquée à la Thaïlande et au Brésil qui ont benéficié de licences obligatoires. Elles ont conforté la lutte contre le VIH/Sida et l’accès gratuit aux antirétroviraux (ARV). Introduire un concurrence générique à la faveur d’une licence obligatoire  a permis d’améliorer l’accessibilité des médicaments vitaux dans ces deux pays.  Cette méthodologie d’intervention des licences obligatoires reste à étendre à un plus grand nombre de pays en développement. Actuellement, du fait des pressions collectives exercées par les pays du Nord, en comparaison de ces pays les pays du Sud n’ont que faiblement recours aux licences obligatoires. Bel exemple d’inégalités résultant de l’actuel néo-libéralisme, autrement dit du capitalisme. En conclusion, Monique Selim met en confrontation la globalisation des inégalités et la production de l’étranger. Il faut lire  en détail son texte qu’il serait trop long de commenter entièrement ici. La globalisation économique c’est-à-dire l’action du capitalisme n’a pas unifié des fragmentations, émiettements, fractures sur la carte des pays. Revendications nationalitaires, identitaires, religieuses se multiplient un peu partout sur le mode d’une répartition d’inégalités de plus en plus fortes. Elles se fondent sur l’affirmation de différences de culture, de morale et d’origine. Les Etats se légitiment en consolidant leur domination, en focalisant les frustrations partagées sur les altérités négatives,. Des mouvements ouvertement xénophobes explosent, auxquels s’ajoutent la         lutte généralisée contre le terrorisme et la mise en  place d’états  d’urgence. Ces fragmentations, émiettements, fractures ont achevé de produire la figure d’un étranger radical, menaçant, à abattre : étranger intérieur (de même nationalité), étranger extérieur (d’une autre nationalité), étranger extrême et globalisé qui constitue un  risque absolu. Trois états actuels de l’étranger sont produits par la xénophobie d’Etat et les allophobies plus ou moins spontanées. A partir de la fin des années soixante du XX°siècle, la positivité de l’altérité résultant en partie de la décolonisation s’est rapidement effondrée devant les « lézardes de la croissance ». La différence s’est estompée, mettant en scène les inégalités  et appelant de nouveaux traitements idéologiques.

Le concept d’ethnicisation a été utilisé pour rendre compte de types de rapports sociaux ayant pour source la représentation de l’altérité. Il a été remplacé par celui de racialisation /racisation. L’abandon des catégories sociales (classes, statuts, éducation, professions) et politiques (nationalité) a donné lieu à des notions caractérisées par, d’un côté, la « visibilité »,   de l’autre le postulat de la substantialité.  Le « réel » est « visible » et tout ce qui est « visible » est « réel ». Le primat de la « visibilité » annule médiations idéales, distanciation intellectuelle et réflexivité conceptuelle. Il contribue à la propagation des fictions ethnicistes et racialisées. Celles-ci se présentent comme des attributs idéologiques de la globalisation. Elles effacent la question des inégalités économiques et sociales. Plus l’étranger occupe les plateaux imaginaires de l’identité sur un mode offensif, plus la « diversité culturelle » s’étale comme le « paradigme hégémonique de la production des inégalités ». Dans une soumission de la « diversité culturelle » à l’ « universalité », les discours spécialisées évoluent vers un contrôle de l’altérité ou vers sa disparition programmée.

Des catégories nationales d’adoption d’un imaginaire subjectif de l’étranger – statistiques ethniques, voile – s’offrent en rupture pour des identités individuelles et collectives malmenées. La globalisation idéologique semble s’appuyer sur une multitude d’entreprises similaires « qui ont pour efficacité de marier les politiques xénophobes et les allophobies de populations en déshérence » ; épuisées par les inégalités qui les enferment dans l’infériorité, elles contemplent de loin « les nouveaux héros du capitalisme entourés de luxe ». La haine allophobique tient lieu d’étendard identitaire des inégalités qui affectent le sujet,  et de masque au sentiment de ne pouvoir jamais les amoindrir. Elle réunit les désirs quotidiennement observés de voir disparaître l’Autre. Dans la configuration actuelle, où la sortie des inégalités parait de plus en plus lointaine, une multitude cherche des appuis symboliques à son enfermement dans une position inférieure. Dans les temps globalisés actuels, se met en scène une rebiologisation de l’Autre, de la femme, du fou, du pauvre, transformés en avatars génétiques. Offres abusives de sécurité en trompe-l’oeil qui alimentent les marchés de l’identité et fortifient, dans l’imaginaire, des inégalités  supposées irréparables.

,Plus que jamais, l’égalité, conjointe à la liberté sert de repère pour analyser les inégalités telles qu’elle se manifestent tant dans les pensées que dans les actes. L’originalité du présent ouvrage st qu’il nous offre, d’un point de vue théorique sur lequel nous avons insisté, une actualisation sociologique, anthropologique et juridique des inégalités par rapport à l’égalité possible, et,, d’un point revue pratique,,  de terrain,  à travers les exemples de plusieurs pays  – exemples que nous n’avons que partiellement commentés – , un tableau des inégalités actuelles, économiques , sociales et politiques  Transversalement, la figure interne (femmes, pauvres, etc) et externe (Arabes, Africains, Chinois, Roms)  de l’étranger(ère), renforçant la toute-puissance sociale, culturelle, politique et économique du néo-libéralisme, nouvel avatar du capitalisme, tend à dominer, à un degré extrême d’illégitimité et d’illégalité, les liens et les rapports sociaux et politiques.