Sous la direction de Bertrand Piret et Olivier Douville, Migrants, réfugiés, la politique interroge la clinique., Psychologie clinique N° 13, 2017-1, Paris, edp sciences, 2017


Recension par Louis Moreau de Bellaing

Sous la direction de Bertrand Piret et Olivier Douville, Migrants, réfugiés, la politique interroge la clinique., Psychologie clinique N° 13, 2017-1, Paris, edp sciences, 2017

Saisir, avec du recul, les discours politiques concernant la migration, les réfugiés, les « sans papiers », ceux sanitaires se rapportant

à la santé mentale, à la souffrance sociale et psychique, telle est l’ambition de ce numéro de Psychologie clinique et de ses co-auteur(e)s. Clinique de l’exil, mais aussi de l’exclusion., qui concerne également les attitudes et les discours de soignants, d’ administrations, de décideurs. Comment contribuent-ils à forger les représentations contemporaines de l’étranger ?. Dès l’introduction, Piret et Douville notent que le « politique met à mal l’intime ». L’espace d’inter-locution entre la personne et ses thérapeutes, lorsqu’il se reconstruit, « est mouvement de refus de la banalisation des exclusions matérielles et psychiques d’un nombre croissant de femmes, d‘hommes et d’enfants ».

Les trois articles qui suivent tentent de saisir la posture des cliniciens face aux migrants et aux réfugiés, notamment face aux évènements traumatisants qui les ont affectés. Piret présente l’association Paroles sans Frontières qui, à Strasbourg, s’efforce d’accueillir en consultation les migrants et réfugiés. L’une de ses préoccupations est d’ offrir aux consultants la possibilité de parler et d’entendre leur propre langue. Une autre préoccupation est la réflexion à poursuivre sur une clinique de l’exil. La réussite de l’ association se manifeste en particulier par l’augmentation du nombre des consultants : ils sont passés de 1000 à 5000 par an.

Pascale De Ridder présente le Service de santé mentale Ulysse à Bruxelles et note que la violence politique s’exerce sur les migrants et réfugiés en Belgique, donc par le pays d’accueil (déplacements, expulsions) . Lex thérapeutes sont coincés entre les récits des consultants rapportant les actes traumatisants qu’ils ont subis au pays d’origine et cette violence politique sur eux dans le pays d’accueil. La dynamique de l’équipe soignante, peut s’en trouver

affectée.

C’est, plus précisément de l’autre institutionnel tout puissant que parle Nicolas Vélut. Lz « psy » risque de se trouver assigné à une position d’expert juridique, Se trouvent alors plus ou moins bloqués tout aussi bien le transfert du migrant ou du réfugié vers le clinicien que le contre transfert du clinicien lui-même. L’un et l ‘autre n’ont guère d’espace symbolique où se déployer..

Cihan Gunes montre que la personne qui a été torturée ou a subi la violence dans son pays d’origine ne peut énoncer, narrer son histoire que si elle se trouve avec d’autres qui la reconnaissent et qui peuvent porter témoignage sur ce qu’elle a vécu. Y a-t-il un témoin dans la salle ?, dit l’auteur.

La question de l’interprétation se pose aussi, pour les réfugiés/exilés, à travers la langue. Elle est celle de l‘interprète traducteur. Le témoignage de Sevdalina Todorova en tant qu’interprète traductrice fait reposer la pratique de l’interprète sur la confiance en lien avec les représentations d’origine, sur la neutralité et l’impartialité, souvent difficiles à appliquer, sur ,les spécificités de la traduction en psychiatrie, enfin sur les enjeux transférentiels et la position de l’ interprète vis à vis du thérapeute comme du patient.

Jean-Christophe Weber pose le même problème de l’interprète, mais sous l’angle de la place qu’occupe la parole. Trois positions sont possibles : soigner sans paroles, soigner et communiquer avec des paroles, se tenir dans la parole hors du soin. Selon les cas, l’interprète est inutile, nécessaire, ou en position délicate dans la mesure où, la parole débordant la communication, il est à la fois aux limites de ses possibilités et celui qui « a à »manifeste l’accueil fait à la parole ».

Andrée Bauer voit dans l’interprète un catalyseur thérapeutique. Personne tierce dans l’espace clinique, il modifie le cadre des échanges. Le transfert se construit sur le clinicien et sur l’interprète, la temporalité des échanges s’en trouve modifiée.

Jennifer Griffith s’interroge notamment sur la portée du travail clinique en langue étrangère sur la langue de la psychanalyse. « D’une langue à contours plus ou moins dessinées, elle se laisse traverser par l’idiome de l’autre. Par exemple, en turc, au lieu de dire « Nous avions faim », ce qui devient possible c’est « Nous étions quatre à nous partager un verre d’eau ». Avec tout ce que cela achemine ».

La question du corps, du contact, celle de la psychanalyse confrontée à la rue est traitée par trois auteurs. Marina Koussouri pose le problème du rapport entre la médecine et le politique en Grèce. Les sujets peuvent éprouver et subir de la honte dans des processus médicaux déshumanisés. Cette honte rappelle le sujet à lui-même, mais peut l’humilier violemment. La violence, votre le crime peuvent être une réponse du corps humilié.. Pour sauver les corps, les mots doivent pouvoir retourner la violence, Les corps sauvés garantissent la possibilité d’être humain.

Lara Pennec s’appuie sur l’expérience des bénévoles du SAMU SOCIAL SDF du Mans, pour montrer que les identités « sans » et « hors » ouvrent à la possibilité d’un contact, .mais l’orientation sur des voies affectives est vouée à l’éphémère. C’est au-delà des avant-postes du soin  qu’il s’agit, dans le territoire de l’autre, de sortir de ses compartiments vers la possibilité d’un au delà du signifiant en droit d’être refusé. Le sans abri peut manifester sa volonté de demeurer là où il est, lieu où il aura à être pris en compte pour qu’il y vive.

Olivier Jan montre les difficultés du psychologue clinicien dans le Equipes Mobiles Psychiatrie/Précarité. Il pratique en clinique directe avec des personnes en galère, mais ll doit aussi aider les aidants. Les logiques sociales et culturelles sont mises à mal. Bien souvent, il n’y a pas de demande manifeste. Le travail à plusieurs peut se fonder sur une ossature psycho)pathologique et explicative autant que sur une anthropologie du monde contemporain qui est loin d’être faite et sur des formes de recherche clinique portant sur la question des populations désocialisées.

 « Vivre, c’est relatif « dit un vieux médecin en rapportant les violences sexuelles subies par des femme en Afeique. Au coeur du traumatisme, i y a dit Brigitte Haie, une jouissance mortifère, chez ces femmes, accompagnée d’angoisse. La sidération empêche la parole.Or c’est par la parole revenue que le désir peut s’infiltrer, pour que vivre ne soit pass relatif.

Pour Saverrio Tomasella, qui intitule son article « Re-subjcctivation après une catastrophe, la subjectivité dévastée », la subjectivztion, la dé-subjectivation et la re-subjectivation dé-construisent et re-construisent le sujet en mouvement; Mais la désubjectivation peut être l’effet d’un désastre vécu, marquant le sujet d’un trauma qui le désorganise. Refusant la réalité du désastre, voire la déniant,, il s’absente en quelque sorte de lui-même et délègue à in autre moi en soi, en lui, une identité qui n’est pas la sienne, dans laquelle ni le désastre, ni le trauma ne sont présents. Plus encore, un effet second de la désorganisation du subjectif par le désastre réel et le trauma – ce que l’on peut peut appeler la catastrophe – va effacer les sensations que le corps du sujet peut éprouver sous forme de souvenirs, de réminiscence et créer un vide, un creux en lui, dans sa manière d’ éprouver. La re-subjectivation peut passer par l’autre secourable de Winnicot, mais aussi par les objets transitionnels (notamment dans le jeu) ou par des objets familiers venus du temps d’avant la catastrophe. Il s’agit de redonner aux retentissements des évènements une juste place fut-elle traumatique (c’est peut-être la limite, en ce cas, de la thérapie), qui permet « de relancer la parole et le désir du lien ».

Dans on court article, Jeanine Altounian montre que, lorqu’il y a eu dans une famille, désastre et catastrophe, les grands-parents peuvent être les derniers s dépositaires de ce qu‘ils ont vécu dans l’horreur et transmettre , non à leurs enfants, mais à leurs petits enfants ce qui fut pour eux ineffaçable. Dans les cas cités par J. Altounian, il s’agit de femmes arméniennes « turquisées » de force au moment du génocide. La vieillesse, dit l’auteure, peut porter elle son anrcisisme, mais la vérité apportée pr l’ancêtre y fait intervenir, contre le mensonge narcissique,, la vérité de l’autre qui, devenant, pour le/la descendant(a), la sienne, peut lui donner sa liberté.

« La danse Sublime porte des mots ? », tel est l’intitulé que Sébastien Talon donne à son article. C’est moi qui met un grand S à Sublime porte. L‘auteur. montre comment des femmes de l’élite égyptienne, s’exilant au moment de la révolution nassérienne,, ont gardé ou perdu, selon les circonstances, l’une de leur langue d’origine,qui était, avec l’arabe et l’anglais, le français, celui des Lumières, apprise, dès l’enfance, dans les familles de niveau social élevé en Egypte, du temps de la brève colonisation française et de la longue colonisation anglaise. S’aidant de la psychanalyse, l’auteur fait voir comment, la pulsion archaïque propre au moi peut s’en arracher, créant une sorte de vide en l’être humain où, à des degrés divers, le surmoi, l’idéal du moi et le moi idéal prennent leur place. Or les femmes exilées vont en quelques sorte incarner cette coupure qu’ a représenté pour elles leur exil par un accent particulier dans l’usage du français acquis dès l’enfance, et surtout par un art du paraître, esthétique : la danse. On voit là comment après une rupture comme catastrophe psychique, après dé-subjectivation de la personne, une forme venue du moi idéal et de l’idéal du moi, autrement dit de la sublimation, forme venant combler un vide, peut contribuer à les resubjectiver Mais se joint aux propos de l’auteur, implicitement au moins, celui, dan son titre, du petit s de la Sublime porte. Je veux dire que les Ottomans, les Français, les Anglais ont été en Egypte des colonisateurs aliénant la population, y compris celle d’élite , même si elle se ralliait à eux. La recherche de l’élément « maternel » perdu, se manifestant en l’occurence par un accent en français, n’a pas le même sens que celui de la recherche des origines par des femmes arméniennes  « turquisées » de force. Autrementt dit, le choix de la danse, s’il aide à la re-subjectivation ne peut guère les aider dans leur,dé-saliénation et leur recherche de la liberté. Il me smble qu’il y avait un peu de cela dans la vie tragique de Dalida (qui elle avait choisi la chanson) .

Les auteurs qui coordonnent l’ouvrage, Olivier Douville et Nicolas Piret, ne lui donnent pas de conclusion. Peut-être parce qu’il n’y en pas, ou, plutôt parce qu’elles sont tellement diverses que le blocage par les médias et l’opinion publique sur les « réfugiés » en devient absurde. Le problème de l’accueil, de l’hospitalité donné à l’étranger(ère), quel(le) qu’il/elle soit, est un problème politique au double sens du terme politique, le politique et la politique. .Il n’est pas celui de l’hôte, de l’accueilli, mais le problème de celui qui reçoit, qui accueille. Au nom de la fraternité, dit le Conseil constitutioneL. Ce préalable, tous les auteurs et auteures de ce numéro le font leur. Ce qu’ils nous disent sur les manières et les formes de l’accueil, sur les façons de comprendre l’accueilli, grâce à ce préalable en eux et en elles auteur(ee)s, prend tout son sens.