Sous la direction de Christine Davoudian, Mères et bébés sans papiers, une nouvelle clinique à l’épreuve de l’errance et de l’invisibilité


Recension par Louis Moreau de Bellaing

Sous la direction de Christine Davoudian, Mères et bébés sans papiers, une nouvelle clinique à l’épreuve de l’errance et de l’invisibilité

Un double problème est posé dans cet ouvrage collectif : celui de la naissance, mais surtout celui de la socialisation et de l’anthropologisation de la naissance. Réunissant un ensemble d’auteurs tous praticiens, soit en psychiatrie, soit en pédiatrie, soit en posychologie et, parfois, les trois ensemble chez une même personne, il tente de répondre à des question peu posées : que deviennent des individues ayant eu un enfant dans leur pays et venant en France avec cet enfant ? Que deviennent d’autres individues soumises à des traumatismes dans leur pays d’origine, notamment à un viol, gardant ou abandonnant l’enfant et venant en France ? Que deviennent-elles quand l’ayant abandonné au pays, elles ont eu un nouvel enfant dans la migration en France ? Quand elles gardent l’enfant né d’un viol, que se passe-t-il pour lui et pour elle (la mère) ?

Les auteurs répondent comme ils peuvent à ces questions par leur expérience de terrain. D’abord il faut noter que les migrantes avec enfant qui arrivent sur le territoire français, comme, la plupart du temps elles n’ont pas de permis de séjour, et que, s’il y a eu un traumatisme (viol), elles relèvent de l’OFPRA qui met très longtemps à leur donner, quand il le leur donne, le droit d’asile, se retrouvent presque toujours à la rue. Ce sont les associations, les services sociaux ou les PMI ou d’autres organisations qui, dès qu’elles sont en contact avec elles, s’efforcent d’assurer leur logement dans les hôtels. L’organisme auquel elles ont affaire devient pour elles une sorte de pôle ou elles viennent régulièrement ou épisodiquement. La plupart sont en attente des fameux papiers, permis de séjour, carte d’identité qui régulariseraient leur présence en France et leur fer aient quitter le statut de clandestin.

Tous les auteurs de ce livre notent leur «inexistence», et surtout celle de leur enfant, tant qu’elles n’ont pas obtenu ces papiers. L’enfant n’a pour tout repère que le prénom que lui a donné sa mère – le père, dans les cas cités, n’apparaissant jamais – . Il n «existe» pour sa mère que par son prénom, et, en cas de viol, notamment par des soldats locaux dans leur pays d’origine, il n’a pas de filiation. Ce que demandent ces femmes, ce n’est pas tant des soins psychiques qu’un existence matérielle possible. Leur détresse vient de la contradiction entre l’espoir qu’elles avaient en venant en France, en migrant, d’obtenir un statut social, économique et politique et la réalité vécue qui les plonge pour longtemps dans l’inexistence et la quasi-invisibilité.

Les personnes qui, lorsqu’elles viennent vers elles, les accueillent et qui s’efforcent de les prendre en charge, même quand parfois ce n’est pas leur rôle par exemple en PMI, savent que l’accompagnement, lorsqu’il se produit, est lié à l’obtention d’un statut reconnu pour la mère et l’enfant. Sans quoi l’un et l’autre disparaissent dans la clandestinité.

L’un des cas les plus douloureux et les plus tragiques est celui qu’évoque l’une des soignantes : une jeune femme violée dans son pays d’origine, abandonnant son enfant né de ce viol et migrant en France où elle a un nouvel enfant. Le peu d’intérêt qu’elle lui manifeste est relevé par la soignante. La jeune mère lui raconte alors l’épisode antécédent et témoigne de sa culpabilité à avoir abandonné son premier enfant. Seul un statut social et politique lui donnant existence à elle et à son enfant peut l’éloigner de sa détresse et de sa misère matérielle.

Où naît-on ? Comment naît-on ? A partir de qui, par qui et pour qui et quand la naissance prend-elle signification ? Réduite à sa matérialité, et à la protection d’enfant comme on peut dire, la naissance n’a aucun sens. Elle ne peut en prendre un que si nous le lui donnons.

Ce petit livre dont nous ne livrons ici qu’une brève esquisse restitue à la naissance, à la maternité, à la filiation, à la paternité (même absente) ses dimensions, celles d’un humain à mieux connaître.